Je me rappelle comme si c’était hier ma toute première rencontre avec le latakia voici 35 ans. C’était une boîte de Davidoff que mes parents m’avaient ramenée de Genève. Ce fut le choc pour le fumeur de semois que j’étais à l’époque : comment pouvait-on produire un tabac aussi abominable ? Pendant des années j’ai évité le latakia comme la peste. Est arrivé le jour où un homme de confiance m’a chaudement recommandé le My Mixture 965. J’ai essayé sans grande conviction et là, à ma grande surprise, c’a été le coup de foudre. Je me suis donc rué sur tous les mélanges anglais de Dunhill. La révélation. Du coup, Dunhill est devenu pour moi LA marque incontournable. Si pendant de longues années, le 965 est resté mon standard personnel en matière de latakia, le London Mixture est le mélange qui m’a révélé la grandeur de la combinaison entre latakia et herbes d’Orient. Depuis, ce tabac classique a toujours occupé une place spéciale dans mon cœur de pipophile.
Avec l’avènement de l’Internet, tout un univers inconnu et magique s’est ouvert à moi et je me suis fébrilement engagé dans un voyage de découverte tabagique qui dure à ce jour. Les Dunhill, j’ai fini par les perdre de vue. C’est donc avec curiosité et nostalgie que je m’apprête à redécouvrir le London Mixture. Il s’agit d’une boîte de l’époque Murray’s encavée depuis une décennie.
Quel plaisir inconnu aujourd’hui que d’ouvrir une boîte qui ne vous crie pas qu’elle a l’intention de vous trucider ! Et quel bonheur de retrouver la jupe plissée immaculée et parfaite qu’on ouvre religieusement à la recherche du trésor caché. Ah, qu’il est beau et appétissant, ce mélange équilibré de fauves, de bruns et de noirs. Et qu’est-ce qu’il est harmonieux et exquis, ce nez qui laisse deviner une recette élégante et subtile.
Hygrométrie parfaite, bourrage sans encombre, allumage facile. Nous voilà partis. A l’instant même où la flamme touche le tabac, pas de préambule, pas d’accordement des instruments : d’emblée, les portes du walhalla s’ouvrent aux sons d’un mélodieux trio. Des virginias nobles et suaves, des herbes turques espiègles et florales, du latakia discret et policé. Et puis, il y a le majestueux équilibre entre la gracieuse douceur, la délicate acidité, l’aérienne amertume et le subtile salé. Et tout ça forme un ensemble distingué et racé, mais en même temps chaleureux et réconfortant qui vous envoûte du début à la fin.
Le London Mixture est et reste l’un des incontournables modèles du genre. C’est la quintessence à la fois d’une longue tradition de blending britannique et de la légendaire marque Dunhill. Je viens de rechercher sur Toboccoreviews.com l’avis de Beer, mon dégustateur favori. Je cite la première phrase : The quintessential English Blend, together with My Mixture 965. This is a tobacco that I would choose if I could smoke only one blend for the rest of my life. Rien à rajouter.
Les tabacs Dunhill, je les ai toujours associés au latakia et aux herbes orientales. Je dispose donc d’un stock bien garni de My Mixture 965, de London Mixture et de Durbar et il me reste quelques boîtes de Nightcap, d’Aperitif et de Baby’s Bottom. Par contre, côté virginia, mes expériences avec les Dunhill sont limitées. J’ai goûté le déroutant Royal Yacht. Beurk. Et puis bien sûr, il y a le délicieux De Luxe Navy Rolls, mais c’est un VA/perique. Le seul virginia pur et dur que Dunhill propose, c’est le Flake. J’avoue que je suis curieux.
Pour juger de ce tabac qui est nouveau pour moi, je veux éviter l’effet de l’encavement. La boîte que je m’apprête à déguster, a donc été achetée cette année. Je découvre de beaux flakes assez foncés, en coupe classique. Malgré les quelques accents blonds, je m’attends donc à un virginia étuvé, riche en arômes. Il n’en est rien. Le nez est du genre timide et délicat. Une note médicamenteuse, des pommes séchées, du foin. Ca n’enthousiasme pas, mais ce n’est en aucun cas désagréable.
Le degré d’humidité des flakes est parfait et au moment du bourrage, on a le choix : soit on plie les flakes de façon à ce qu’ils remplissent le foyer, soit on les effrite. A mon avis, le choix de la méthode de bourrage n’a pas d’impact net ni sur la combustion ni sur les saveurs développées. D’emblée on découvre un virginia qui n’a rien de renversant, mais qui s’exprime avec civilité sur des notes de pommes épicées avec des accents d’agrume et sur une légère touche florale. Il y a une discrète douceur et une bonne dose d’acidité qui picote en bouche. Le taux en vitamine N est nettement suffisante pour satisfaire nos envies de kick, surtout dans la deuxième moitié du bol.
Les saveurs évoluent peu en cours de fumage et même si vers la fin elles s’intensifient, on attend en vain un feu d’artifice gustatif. C’est peut-être la faiblesse du Flake. N’empêche que c’est un tabac assez agréable et équilibré qui n’offusquera personne. Par contre, si vous êtes en quête de sensations fortes, ce flake à la personnalité introvertie ne fera pas l’affaire.
Pfffffff. Ecrire un texte sur un tabac qui vous laisse complètement indifférent, c’est le bagne. J’ai envie de vous dire : Circulez, y a rien à voir. Mais puisque devoir oblige, allons-y.
Le nom Crooner se réfère à Bing Crosby. Il s’agit d’une recette que Bob Runowski avait faite à l’époque pour le chanteur dont c’était l’un des mélanges favoris. Si c’est vrai, je crois qu’à la place de Bing, j’aurais rêvé d’un meilleur tabac plutôt que d’un Noël blanc…
Pourtant, à première vue, le Crooner n’est pas fait pour me déplaire. Je suis fan de burley et j’aime beaucoup le fascinant goût à la fois épicé et vanillé du deer tongue. Or, voici que cette combinaison de burley et de deer tongue me déçoit. Je ne dis pas que le Crooner est franchement mauvais. Non, sitôt fumé sitôt oublié, il brille par son anodine médiocrité.
Déjà à l’ouverture du sachet en plastique de ce tabac livré en vrac, j’ai senti monter la frustration. Le mélange poussiéreux et sec de petits brins de burley parcimonieusement parsemé de quelques rares et minuscules brins de deer tongue n’a pas grand-chose en commun avec le beau cube cut burley et la bonne dose de deer tongue qu’on découvre sur la photo. Et quand je me mets à humer le tabac, mon irritation monte d’un cran : rarement j’ai senti un mélange aussi fade et fatigué que celui-ci. Alors qu’un bon burley dégage des odeurs de noisette et de chocolat qui s’entremêlent avec un fond terreux et que normalement le deer tongue répand ses puissants effluves odorants, mon Crooner reste muet. Ou presque. Un chuchotement lointain, c’est tout.
À plusieurs reprises, la combustion s’est avérée très difficile dans la deuxième moitié du bol. En bourrant et en tassant comme à l’accoutumée, on se retrouve avec une croûte de cendre impossible à rallumer. Ce mélange de petits brins, il faut donc impérativement le bourrer avec délicatesse. Côté nicotine, c’est vraiment puissant. Ce n’est donc pas un tabac à fumer l’estomac vide. Et le goût alors ? Je sens la présence du deer tongue, mais sa saveur ne s’exprime pas avec franchise. Il me fait penser à ces herbes de cuisine lyophilisées et conservées au-delà de leur date de péremption et qui ont perdu leur fraîcheur et leur force. Mon palais détecte également une note alcooleuse plutôt désagréable en bouche. Vérification faite, le Crooner contient en effet de l’alcool. Il n’est pas spécifié lequel. Quant au burley, il rappelle la Suisse : neutre et barbant. (Je viens de me faire de nouveaux amis là !) J’ai régulièrement l’impression de fumer de la nicotine dissoute dans de l’air chaud parfumé au deer tongue, retrouvé dans quelque tombe égyptienne.
Encore une fois, ce n’est pas que le Crooner soit infumable, mais tant de nicotine et si peu de matière, c’est lourd et insipide à la fois. Il semblerait donc que l’ami Bing ait eu meilleur goût en matière de pipes que de tabac. A ceux qui désirent découvrir un mélange burley/deer tongue autrement plus réussi, je recommande la Gold Nugget Mixture de John Patton : artfontilsuntabac7.htm.