Oyez oyez, nostalgiques de l’ancien Three Nuns, aujourd’hui défunt. Arrêtez de vous tordre les mains de désespoir. Vous voilà sauvés. Dorénavant, vous ne devrez plus vous contenter du piètre ersatz sans perique qui ces jours-ci usurpe le nom des trois religieuses. Voilà que HU-Tobacco vous propose une alternative qui surclasse avec aplomb ce travesti ringard. Je dirai même plus : à mon sens, la version de Hans Wiedemann est plus équilibrée et plus complexe que la classique recette de Bell’s et a tout ce qu’il faut pour vous faire oublier les légendaires nonnettes. Ca vous en jette, hein.
Cette plus grande complexité du Director’s Cut, on la découvre à l’instant où l’on enlève le couvercle de la boîte : certes, il y a des curlies qui rappellent à s’y méprendre le Three Nuns, mais on trouve également des brins en diverses coupes qui vont du doré au noir. Et c’est pareil pour le nez : l’odeur de base évoque le Three Nuns, mais sans le côté aigre. Au contraire, on détecte des arômes de raisins secs, de chocolat et de réglisse agréablement ronds et invitants. Quand on lit la liste des ingrédients, on comprend que Wiedemann n’a pas lésiné sur les moyens pour obtenir un blend parfaitement balancé : un rope VA/perique maturé, puis découpé en curlies, du burley - et Dieu sait que Wiedemann travaille avec des burleys exceptionnels -, du virginia en loose cut, sélectionné pour sa teneur élevée en sucre, du robuste fire-cured virginia au caractère épicé qui doit procurer au mélange un certain punch.
Point besoin de sécher le tabac. Il est parfait. Je déconseille de défaire les curlies au moment du bourrage, même si ça peut rendre plus difficile la combustion. Wiedemann a consciemment opté pour un mélange de curlies et de loose cut et ce serait dommage de ne pas respecter son choix. Veillez simplement à terminer votre bourrage en déposant sur le dessus de la fournée des brins plutôt qu’une rondelle. Cela facilitera l’allumage.
L’allumage initial est un vrai plaisir. D’emblée c’est le feu d’artifice. Ca part dans tous les sens : du raisin sec, du chocolat, de la réglisse, une petite note fumée du fire-cured virginia, du poivre, des épices, l’amertume et l’acidité revigorantes du classique Three Nuns mais également une très belle douceur dans le fond. Après quelques minutes de fumage, on se rend à l’évidence : on est en plein dans les saveurs piquantes et aigres-douces et dans les caustiques sensations en bouche de l’ancien Three Nuns, mais le Director’s Cut est plus complet, notamment grâce au burley chocolaté qui arrondit les angles. Comme si souvent avec les meilleures créations de Wiedemann, le mélange est remarquablement évolutif : c’est un festival de variations et de permutations. Ceci dit, il se peut que, tout comme le Three Nuns, le Director’s Cut ne soit pas fait pour tous les palais. Il faut aimer l’acidité marquée et l’incisif piquant des épices. En outre, je peux imaginer que des âmes sensibles, habituées à des saveurs modestes et modérées, se sentent déroutées par tant de fougue et d’intensité. Par contre, niveau nicotine, même si le Director’s Cut est tout sauf léger, il doit convenir à la plupart des pipophiles.
Ce n’est pas tous les jours que je crie au chef-d’œuvre. C’est pourtant ce que je fais maintenant. Le Director’s Cut est un tour de force du blending absolument impressionnant. Je ne suis pas le seul à le penser. Hans Wiedemann m’a fait comprendre que c’est sa création favorite dont il est particulièrement fier. Il a toutes les raisons de l’être.
Pour fêter son cinquième anniversaire, le forum hollando-belge Pijprokersforum a demandé à Hans Wiedemann d’élaborer pour ses membres un mélange anglais, un aro et un virginia flake. Le blender de HU-Tobacco s’est exécuté, semble-t-il, sans grand enthousiasme : plutôt que se lancer dans la création de nouvelles recettes, il s’est borné à servir d’intermédiaire entre le groupe de discussion et Kohlhase & Kopp et à aider les forumistes à sélectionner dans le vaste stock de la maison allemande des tabacs qui correspondaient à leurs souhaits. D’après ce que j’ai pu comprendre, le projet ne s’est pas déroulé sans causer de part et d’autre une bonne dose de frustration et d’agacement. N’empêche qu’en fin de compte il s’est couronné de succès. Voilà donc les trois tabacs disponibles sur le site web de Wiedemann dans la section Sélectionné par HU-Tobacco.
Le VA/perique a été baptisé Janneman Flake en hommage à Janneman Kusters, un personnage excentrique qui a mis en ligne un livre destiné aux fumeurs débutants et qui, dès lors, passe dans ce groupe de discussion pour une incontournable autorité. Le grand connaisseur batave dispose même dans les pages du groupe d’une rubrique intitulée Savoir du fumeur de pipe exclusivement réservée à ses écrits et dans laquelle il est interdit aux autres membres de poster. Hé ho, bande d’ingrats, vous savez ce qui vous reste à faire pour honorer votre gourou à vous !
Les flakes bruns produits par Orlik pour le compte de Kohlhase & Kopp, composés de red virginia, de fire-cured virginia et d’une pincée de perique, ne sont pas coupés, mais livrés sous forme de ceinture enroulée. Peu compact, le tabac s’émiette facilement. Le nez est du genre discret et introverti. Je m’attends donc à des saveurs basiques et modestes, plutôt neutres. Pourtant, à l’allumage, on découvre un tabac rond et bon enfant avec quelques épices et un petit côté fumé et avec une plaisante douceur sous-jacente. Si elle n’est pas impressionnante, cette entrée en matière est agréable et chaleureuse à souhait. Petit à petit, le tabac gagne en force et développe une carrure nettement plus baraquée avec de la nicotine, de l’amertume et de l’acidité. Désormais le fire-cured virginia et le perique occupent le devant de la scène avec du poivre et des épices, alors que la flatteuse douceur du début bat en retraite. Ceux qui affectionnent les tabacs virils et terre-à-terre apprécieront cette évolution, alors que les amateurs de sensations plus caressantes peuvent regretter cet accès de machisme et le manque de velouté de la fumée.
Le Janneman Flake n’est certes pas un mauvais tabac. Loin de là. Pourtant, personnellement j’aurais préféré un dosage légèrement différent avec un peu plus de red et un peu moins de fire-cured virginia. Je crois que cela aurait arrondi l’ensemble et jugulé le caractère dominateur de l’herbe fumée. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que si Hans Wiedemann avait lui-même composé la recette, elle aurait été autrement plus harmonieuse.
Pour ceux qui sont prêts à débourser plusieurs centaines d’euros pour une boîte de Balkan Sobranie, le prix d’un bouchon de semois peut paraître dérisoire. Mais je peux m’imaginer qu’un fumeur de pipe terre à terre hésitera devant un tabac qui coûte 2,50 euros le bol. Je vous rassure d’emblée : le bouchon de semois est davantage une friandise pour les jours où vous voulez vous faire plaisir qu’un tabac qu’on fume à longueur de journée. Le bouchon, c’est un péché mignon. Et puis, il suffit d’observer Vincent Manil à l’œuvre quand il roule à la main, tel un torcedor cubain, un de ses bouchons, pour admettre que tout compte fait, le prix de vente est vraiment modique, d’autant plus que pour le prix de quelques cigarettes, vous avez le privilège de déguster une extraordinaire relique d’un autre temps, pour ne pas dire le tabac à pipe le plus original au monde.
Il va de soi qu’au moment du fumage d’un bouchon, vos traditionnels repères en matière de bourrage et d’allumage ne servent pas à grand-chose. Or, si vous ne savez pas comment vous y prendre, attendez-vous à une amère déception. Il est donc impératif de suivre les conseils de Vincent Manil. Choisissez de préférence une pipe aux parois droites. Mouillez légèrement de votre bouche la partie la plus mince et conique du bouchon sur la longueur qui entrera dans le foyer de votre pipe. Introduisez le bouchon dans le foyer et calez-le bien en le faisant tourner jusqu’à ce qu’il s’arrête. Contrôlez le tirage. Il faut sentir suffisamment de résistance. Puis, au moyen d’un cutter ou d’un couteau parfaitement aiguisé, faites une incision en forme de croix dans le dessus du bouchon, ce qui permettra un meilleur allumage. Vérifiez si votre bouchon ne penche pas, mais se tient bien droit. Allumez uniformément le bouchon sur toute sa surface, sinon il risque de se consumer difficilement ou de brûler en biais. Fumez posément, sans jamais tasser, ce qui résultera en principe en un fumage sans aucun rallumage. Faites uniquement tomber la cendre quand elle devient instable. Tout comme un cigare, ne fumez pas votre bouchon jusqu’au bout. J’ajouterais un conseil important : choisissez une pipe sablée ou rustiquée noire, sinon le bord du fourneau risque de porter des traces de brûlure.
L’odeur raffinée d’un bouchon est nettement moins marquée que celle, rustique, d’un semois en brins. Ne vous attendez pas pour autant à des saveurs introverties. Dès l’allumage une fumée aromatique et complexe qui rappelle davantage le cigare short filler de qualité que le semois, vous enjôle le palais. C’est déroutant et profondément satisfaisant à la fois. C’est intense sans être lourd et c’est remarquablement riche en goût : un petit fond de terre et de sous-bois, une harmonieuse combinaison d’épices, de l’écorce de noix, un boisé noble. C’est suave et velouté et délicieux. Pour moi, c’est la quintessence du semois.
Après cette succulente et gracieuse entrée en matière, on change de registre : les goûts se concentrent, mais perdent en complexité et en douceur. La nicotine fait son entrée, accompagnée d’une amertume grandissante. Le poivre, le boisé, la noix et le terreux dominent désormais. Loin du suave et du velouté, la fumée finit par afficher une virilité nettement moins flatteuse.
Pour moi, les bouchons, c’est à la fois le paradis et l’enfer. Dans le premier tiers du bol, je suis toujours ébloui par tant de complexité. C’est indéniablement ce que la vallée du Semois a de mieux à offrir. C’est pour cette raison que je me sens toujours déçu et frustré quand au cours du fumage, cette voluptueuse caresse fait place aux robustes et prosaïques saveurs de cigare plutôt ordinaire. Ce n’est pas tout ce qui me dérange. Il est de mon expérience que certains bouchons ne brillent pas exactement par leur combustion régulière. A 2,50 euros la pipée, ce manque de constance dans la qualité est décevant. En plus, je n’y peux rien, mais quand je fume un bouchon, il m’arrive régulièrement que ma pipe se mette à glouglouter. Ca coupe l’appétit. Pour finir, il est à noter au moment du nettoyage que des fragments de cape collent aux parois du foyer et qu’il n’est pas simple de les enlever.
Bref, le bouchon de semois n’est pas exactement un tabac sans inconvénients. N’empêche que le premier tiers du fumage est tellement somptueux que je vous le recommande tout de même. Le bouchon est une fantaisie qu’il faut avoir essayée au moins une fois dans sa vie.