Vous le savez aussi bien que moi : le Balkan Sobranie jouit d’une réputation aux proportions mythiques. Les blenders eux aussi le savent. Le terme Balkan fait vendre. Dès lors le marché est inondé de produits comme Balkan Sasieni, Full Balkan, Super Balkan, Balkan Supreme et Balkan Luxury. Or, il est de mon expérience que n’est pas Balkan qui veut. Le mot Balkan est même carrément galvaudé. Mon palais détecte immédiatement la différence entre un vrai Balkan et un mélange anglais auquel on a ajouté vite fait bien fait une bonne dose de tabacs orientaux. Un vrai Balkan est un tour de force de l’art du blending qui se distingue à la fois par la complexité et par la force de ses saveurs. C’est un mets d’un chef étoilé qui se distingue par son parfait équilibre entre le fumé, le sucré, l’acide, l’amer et le salé. Et pour y arriver, il faut impérativement des ingrédients de la meilleure qualité et le talent et la maîtrise de les traiter et de les combiner à bon escient en se servant du matériel approprié. Ce n’est pas donné à tout le monde.
Pour moi, le meilleur Balkan contemporain est Exotique Mixture, fait par J.F. Germain & Son pour Smokers’ Haven qui en est le distributeur exclusif. Cette prédilection n’a rien de surprenant quand on sait d’une part qu’il s’agit d’une recette qui date du début des années 50 et qui a été composée par la légendaire maison de Sobranie elle-même, et d’autre part que c’est J.F. Germain qui a repris l’outillage de la défunte compagnie londonienne. Chaque fois que j’essaie un Balkan Blend, c’est l’Exotique Mixture qui me sert de repère. Bref, pour me convaincre avec son Balkan Passion, il faudra que Hans Wiedemann se lève tôt.
Mes premières impressions sont franchement positives : le mélange se présente sous forme de ribbons fins, comme il se doit pour un Balkan classique. En plus, la myriade de couleurs indique clairement que Wiedemann a cherché la complexité en combinant toute une série d’ingrédients : des virginias, du latakia chypriote, des orientaux en provenance de Turquie et de Grèce, un soupçon de perique. Et ce qui me rassure également, c’est le pourcentage visiblement restreint de brins noirs. C’est donc un vrai mélange Balkan où le latakia ne joue pas le premier violon. Le nez, quant à lui, est exemplaire : quel plaisir de humer cette harmonie de notes douces et acides à la fois, ce cuir, ce sous-bois, ces épices, cette viande fumée. En un mot, ça sent le Balkan.
Dès les premières bouffées, mon palais respire d’aise : les virginias sont remarquablement sucrés alors que les orientaux contrebalancent cette douceur avec leur typique fraîcheur acide. Il y a du fumé, du champignon des bois, des épices d’Orient. C’est fichtrement bon. Le premier enthousiasme passé, je remarque que les sucres du VA se font plus discrets, alors que des notes amères montent en force et tapissent le palais. Cette nouvelle phase du fumage me plaît moins. Je trouve que les saveurs perdent en précision et je leur aurais souhaité davantage de densité. Vu la coupe fine, le mélange se consume régulièrement et assez rapidement. Voilà que j’entame la deuxième moitié du bol. La fumée se met à évoluer : telle bouffée ramène le sucre du VA sur le devant de la scène, telle autre surprend par un flash de goût plus intense. On en arrive ainsi à la finale qui gagne en profondeur et en harmonie entre le sucré, l’acide et l’amer. Cependant, je reste plutôt sur ma faim : ce tabac n’a pas le génie de l’Exotique Mixture.
Conclusion : le Balkan Passion est le tout premier pas de Hans Wiedemann dans l’univers si particulier des Balkan blends. Il faut donc une certaine indulgence. Dès l’ouverture de la boîte, force est de constater que Wiedemann sait ce qu’il fait : ce mélange est un vrai Balkan et non pas de l’ersatz, ce qui en soi mérite déjà notre appréciation. En outre, c’est un bon tabac avec une belle évolution. Il a donc indéniablement le potentiel de plaire aux amateurs du genre. Seulement, pour moi personnellement, il lui manque le caractère à la fois délicieux et envoûtant qui fait la grandeur des Balkan classiques.
L’Américain John Patton est un fumeur de pipe comme vous et moi, à ceci près qu’il voue un culte à la humble corn cob. Il est d’ailleurs l’auteur de l’article de référence sur les pipes en maïs (The_Complete_Corncob_primer) et Outre-Atlantique on le surnomme affectueusement the Cobfather. Or, depuis toujours la corn cob et le burley filent un amour parfait. Il ne faut donc pas s’étonner que ce grand épris d’épis se soit lancé dans la composition de mélanges qui mettent en exergue ce tabac versatile.
Le Gold Nugget Mixture combine cinq burleys différents en cube cut avec du deer tongue. Cette petite plante sauvage aux feuilles dont la forme rappelle celle d’une langue de cerf, a servi pendant des décennies à parfumer nombre de tabacs, vu qu’elle contient de la coumarine, un puissant aromatisant. Mais voilà qu’aujourd’hui, elle est devenue extrêmement rare, d’une part parce que la cueillette et le tri à la main en font un ingrédient trop onéreux, d’autre part parce que les gourous de l’hygiénisme de l’Union Européenne en ont interdit l’emploi, étant donné qu’à forte dose, cette herbe peut causer des problèmes de santé.
Pendant que je suis en train de noter mes impressions en fumant ce Gold Nugget Mixture, ma fille s’exclame à l’instant même où elle entre dans mon bureau : « Et ben, tu fumes un nouveau tabac ! ». Décidément elle se rend compte que les arômes de mon mélange sortent de l’ordinaire. Voilà l’effet du deer tongue en action.
Ce mélange distribué en exclusivité par 4Noggins et livré en vrac, est très sec au toucher. Dans la panoplie de petits cubes et de brins fauves et bruns, on découvre des fragments verdâtres de l’herbe aromatique. Le nez est complexe, fascinant et réconfortant. Outre les notes typiques de burley, on sent de l’amande, de la cannelle, de la frangipane, une goutte liquoreuse même. C’est déconcertant et appétissant à la fois.
Rien de plus aisé que le bourrage au cube cut : on laisse tomber les cubes dans le foyer, c’est tout. Dès l’allumage le palais retrouve sous forme de saveurs les promesses du nez. C’est très burley, mais aux notes terreuses s’ajoutent les arômes susmentionnés. Et ça forme un tout cohérent et agréable qui me rappelle le parfum des petits pots de colle de mon enfance, contenant une pâte blanche qu’il fallait appliquer au moyen d’une petite spatule.
Dans ce mélange le burley, pourtant passablement austère de nature, se montre bon enfant. Bien sûr qu’il y a de l’amertume, mais également de belles notes discrètement sucrées. C’est évidemment un tabac aromatisé, mais sans les typiques inconvénients du genre : ni vapeur, ni irritation de la langue, ni sensation d’écœurement, ni finale par trop amère. L’équilibre des saveurs est au rendez-vous depuis le début jusqu’à la fin. Quant à la vitamine N, elle est suffisamment présente pour ne pas vous laisser sur votre faim, sans pour autant vous assommer. Si je devais faire un seul reproche, ce serait que la fumée pourrait être plus veloutée. Mais il s’agit là d’un détail.
Le Gold Nugget Mixture est une surprenante réussite. Les burleys sont manifestement de très bonne qualité et l’aromatisation à la langue de cerf est menée de main de maître. Ce mélange original, je le recommande donc chaudement, tout en vous avertissant que les arômes si particuliers risquent de dérouter certains.
En 2006, McClelland a introduit la série des Royal Cajun qui se décline en trois variantes, la Dark, l’Ebony et la Special. Cette ligne met en avant une herbe toute nouvelle, le Cajun Black. Il s'agit d'un virginia cultivé au Kentucky dont les feuilles sont d’abord fumées pendant quelques semaines, avant de subir un traitement similaire à celui qui jusque là était réservé au perique : quelques mois de pressurage et de fermentation dans des fûts en chêne.
Que ce blend ait été baptisé Dark, ne doit pas surprendre : bien qu’il contienne cinq virginias rouges et étuvés, c’est à peine si ici et là on distingue des accents brun foncé dans ce mélange complètement dominé par de beaux brins noirs en grosse coupe. Ses arômes sont complexes : à l’ouverture de ma boîte datant de 2006, je découvre à la fois du fumé, du truffé, du sous-bois, une petite note de ketchup et un remarquable caractère vineux. Un nez fascinant.
Hygrométrie parfaite et donc allumage facile. Voilà que les premières bouffées titillent le palais et d’emblée je me sens satisfait. On est dans les basses : des saveurs sombres qui combinent à merveille le fruit étuvé du virginia, le fumé, le boisé, le humus et le vineux. C’est sucré et acide à la fois et parfaitement équilibré. On reconnaît à la base le si typique virginia de McClelland, mais le Cajun Black l’a manifestement transformé. Le résultat est surprenant mais incontestablement agréable.
Mais voilà qu’après ces premiers instants de bonheur, mes impressions changent. Petit à petit l’acidité se fait plus persistante au détriment de la douceur. Et ce qui me frappe surtout, c’est que la fumée manque de puissance et de densité, ce qui fait que les saveurs semblent comme diluées. Et c’est dommage parce que l’arrière-goût est vraiment plaisant. J’attends donc patiemment une finale explosive qui puisse me faire oublier la fadeur du milieu de bol. En vain.
Le Cajun Black n’égale pas l’authentique perique. Il lui manque à la fois les nettes saveurs de figues ou de raisins secs, le petit côté poivré et le punch. N’empêche que le Royal Cajun Dark est un mélange intéressant qui se consume sans problèmes et qui ne mord pas la langue. Ceci dit, sa fumée peu concentrée et son goût fade m’empêchent de vous le recommander sans réserve.
Qui dit bayou, dit Louisiane et qui, en matière de tabac, dit Louisiane, dit perique. Vous l’avez donc deviné : le Bayou Morning est bel et bien un VA/perique. Dans la boîte on découvre une symphonie automnale de bruns en diverses coupes. Les brins sont très secs, ce qui correspond à la philosophie de C&D : vendre de l’herbe plutôt que de l’eau. Les arômes qui émanent de ma boîte fraîchement ouverte, sont ceux d’un blend qui a été encavé : plutôt que de déceler les odeurs des divers ingrédients, on découvre un tout. A l’âge de 3 ans, le Bayou Morning surprend par son parfum de champignon et une impression de moisi et de sous-bois. C’est clairement le perique qui domine le nez parce qu’on cherche en vain les accents fruités du virginia rouge. Certes, on les devine, mais ils sont complètement intégrés dans cet ensemble terreux et épicé qui me rappelle certains burleys. Pas étonnant quand on sait que le Bayou Morning est une création du regretté Bob Runowski, un adepte pur et dur du burley naturel.
À l’allumage on se rend immédiatement compte qu’il est bien là, ce red stoved virginia, vu que le palais détecte d’emblée une discrète note sucrée qui est par ailleurs contrebalancée par une belle acidité noble. La bouche confirme les impressions du nez: du champignon, du sous-bois. Et puis une évidente note poivrée comme il se doit dans un VA/perique. On n’est pas, comme avec l’Escudo, dans un verger de figuiers, mais bel et bien dans les brumes d’un marais boueux à la saison de l’automne. A défaut d’être flatteur, ce mélange est mystérieux et déroutant. Et un tantinet décadent. Le goût n’évolue guère, ce qui à mon avis est un défaut pour un VA/perique. Personnellement j’aurais également apprécié une douceur plus marquée qui aurait rendu le mélange moins austère. Si comme moi, vous supposez qu’il s’agit d’un tabac dont le nom semble le destiner aux plaisirs matinaux, détrompez-vous : pour supporter la teneur en nicotine, un croissant et un bol de café ne suffisent pas.
Conclusion ? Dans son genre le Bayou Morning est atypique. A condition d’aimer ses saveurs si particulières, c’est un tabac à essayer, vu qu’il se consume gentiment et sans accrocs et qu’il n’a rien d’agressif. Mais si vous cherchez un de ces VA/perique qui flattent le palais avec leurs agréables notes de fruits secs épicés, passez votre chemin. A noter que ce tabac est également disponible en flakes.