Font-ils un tabac ? n°25

par Erwin Van Hove

18/11/13

Samuel Gawith, Chocolate Flake

Plus de 80% de virginias en provenance du Brésil, du Zimbabwe et du Malawi et des parts à peu près égales de Malawi burley et de latakia. Et puis bien sûr du chocolat noir. En voilà une recette intéressante.

Les flakes fins très foncés ne sont pas trop humides et cependant ils sont plutôt collants. Il faut donc prendre son temps pour les émietter. Il n’est pas surprenant de découvrir des odeurs chocolatées avec un soupçon de noix de coco et des arômes fumés du latakia. Ce qui surprend davantage, c’est l’évidente harmonie de cette combinaison. Franchement, ça sent bon et ça invite au fumage.

D’emblée, je suis sous le charme. Les virginias fermentés sont du genre plantureux, avec une belle douceur mais avec une pointe d’acidité bien présente. Le latakia sert de condiment qui relève le tout et de par sa nature, le Malawi burley reprend le thème du chocolat. La fumée est dense et savoureuse et évolutive. Pendant ce festival de variations et de permutations, on décèle bien sûr du chocolat, mais également des flashs de caoutchouc, de pruneau, de réglisse. La combustion est lente et stable et il y a juste ce qu’il faut de vitamine N. Vu la très forte teneur en virginia, un fumage calme s’impose, sinon on risque une légère irritation de la langue due à l’acidité.

Le Chocolate Flake est certes un tabac aromatisé. Cependant, il n’a rien à voir avec les aros chimiques tape-à-l’œil faits à partir d’herbes de qualité inférieure. Même un fumeur pur et dur de tabacs naturels peut y trouver son bonheur. Personnellement, je trouve le Chocolate Flake un blend original et parfaitement réussi.

McClelland, Yenice Agonya

Un McC de la fascinante série Grand Orientals. Tout un univers à decouvrir. Yenice Agonya, ça mérite quelques explications, n’est-ce pas. Yenidje en grec et Yenice en turc, c’est l’appellation du terroir en Thrace. Agonya, c’est le nom de la variété locale du xanthi qui à son tour est un cultivar du prestigieux basma.

Le Yenice Agonya que voici est donc un mélange de virginia et de ce xanthi cultivé dans la partie turque de la Thrace. Au niveau visuel, c’est du très beau tabac : une appétissante grosse coupe de feuilles brunes, acajou, fauves et anthracite. Au nez on découvre du VA façon McClelland, mais surtout des notes fort boisées et des odeurs du sirop d’érable et de sucre candi.

Ce n’est pas un mélange qui impressionne et qui convainc au premier contact. J’ai dû m’y habituer, mais pour finir j’ai découvert un tabac réconfortant, chaleureux, amical. Il est très doux sans être sirupeux, il contient suffisamment d’acidité pour ne pas devenir lourd et ses saveurs reprennent avec bonheur le thème du nez : le boisé et le maple syrup dominent dans cet ensemble sombre et automnal.

Attention, si vous ne réussissez pas à le fumer posément, il tend à vous mordiller la langue. Ceci dit, c’est davantage un avertissement qu’un assaut. Niveau nicotine, le Yenice Agonya trouve le juste milieu. S’il n’est pas évolutif, il n’ennuie pas pour autant. Il est tout simplement agréable et convivial du début à la fin.

Sans pour autant atteindre la grandeur du Drama Reserve, le Yenice Agonya s’en rapproche. L’harmonie entre le virginia et le xanthi est évidente et l’équilibre entre douceur goûteuse et acidité revigorante fort réussi. Recommandé parce que c’est franchement bon.

HU-Tobacco, Orient-Kentucky Flake (Flanagan)

A l’occasion de l’édition 2012 du pipe show de Lohmar, Hans Wiedemann avait créé plusieurs flakes dont celui-ci à la recette surprenante. Ce n’est en effet pas tous les jours qu’on trouve un flake qui combine du virginia et du perique avec du kentucky et des tabacs bulgares. Des tabacs d’orient avec du virginia, ça oui. Des herbes orientales et du latakia, c’est même un grand classique. Mais marier une orientale raffinée avec un redneck sudiste, ça semble une idée saugrenue. C’est donc avec une grande curiosité et une bonne dose de scepticisme que j’ouvre la boîte.

Voilà pourtant des flakes bruns avec des accents fauves qui ne semblent pas sortir de l’ordinaire. Par contre, l’odeur qui s’en dégage, est foncièrement dépaysante. On sent le fumé du kentucky, ce qui est normal, mais en même temps une indéniable odeur de confiture de framboises. Incrédule, j’ouvre et je ferme la boîte à plusieurs reprises. Chaque fois que je hume, c’est pareil : la première association qui me vient à l’esprit, c’est celle des framboises. Or, Wiedemann garantit que sa recette ne contient aucune forme d’aromatisation. Ca alors.

Je plie un flake en deux et le roule brièvement entre mes doigts avant de l’enfourner. Dès l’allumage, je découvre une fumée riche en goût. Il y a de l’amertume et du salé en une virile dose de nicotine. Je suis soulagé de constater que je ne fume pas de la confiture de framboises. Il est vrai qu’un subtile accent qui hésite entre le fruité et le floral, s’ébat espièglement dans le fond, mais c’est le caractère terreux et fumé du kentucky qui occupe le devant de la scène. De leur côté les virginias de qualité adoucissent la sévérité naturelle de l’herbe américaine. Quant au perique, je n’arrive pas à le déceler.

Une petite semaine après l’ouverture de la boîte, le surprenant arôme de framboises a complètement disparu. N’empêche qu’en bouche la petite note fruitée est toujours là, mais sa présence se fait plus discrète encore. Tout au long du fumage, le Orient-Kentucky Flake est un tabac parfaitement équilibré dans lequel le rustre campagnard qu’est d’habitude le kentucky, se montre courtois et civilisé. A condition de fumer lentement et d’être attentif, on découvre des saveurs complexes et harmonieuses avec un je ne sais quoi de mystérieux. Ce flake confirme le talent de Hans Wiedemann : c’est sans conteste un grand blender qui se distingue par son sens du dosage.

A noter que le choix d’une pipe appropriée à ce mélange insolite n’est pas évident. Faut-il une pipe dédiée au virginia, aux herbes orientales ou plutôt au kentucky ? J’ai fait plusieurs expériences avec plus ou moins de succès pour conclure que ce sont des pipes destinées au burley et au kentucky qui conviennent le mieux.

Vu le succès immédiat de l’Orient-Kentucky Flake, Hans Wiedemann a fini par incorporer cette édition spéciale dans son catalogue sous le nom de Flanagan.