Font-ils un tabac ? n°155

par Erwin Van Hove

18/11/25

Gawith, Hoggarth & Co, Kendal Gold

Gladora Tobacco Pesse Canoe Oriental FlakeRécemment j’ai réessayé le Kendal Dark et je peux vous dire qu’il m’a plu encore plus qu’à l’époque où j’en avais fait une revue (Font-ils un tabac ? n°56). Petite parenthèse : en relisant ce texte, j’ai noté qu’il a besoin d’une correction : désormais le Kendal Dark est également disponible en boîtes.

Vu mon appréciation pour son cousin foncé, j’ai tout espoir que le Gold me procurera du plaisir, d’autant plus que selon le texte sur la boîte, il est composé de virginias blonds brésiliens et indiens de la meilleure qualité.

Je déchante rapidement. Les ribbons en coupe très fine sont fort humides, alors que le nez semble bouché. Le peu d’odeur de virginia blond qui passe manque particulièrement de présence et de définition et me rappelle celle d’une cigarette blonde. Bref, ça me semble davantage un tabac à rouler qu’un tabac à pipe. Serait-ce peut-être un RYO (roll your own) déguisé en tabac à pipe ? Ce n’est pas impossible. C’est même devenu une pratique courante depuis qu’au Royaume Uni les taxes sur les tabacs à rouler sont presque trois fois plus élevés que sur les tabacs à pipe.

Passons au goût. Quel goût ? Certes, tout au début je décèle des notes citronnées, un peu de terre et un soupçon de pain d’épices. Ensuite, plutôt que le goût, c’est la sensation en bouche qui se démarque : ma langue se met à picoter sous l’effet d’une mordillante acidité poivrée. La saveur initiale disparaît et désormais je note la présence de sucre et surtout un arrière-goût de cendre. En vérité, si je fais abstraction du désagréable piquant, ce qui reste, c’est pas grand-chose. Franchement, c’est tellement insipide que je m’ennuie à mort. Là encore on est plus proche d’une cigarette blonde que d’un tabac à pipe.

A mon avis le Kendal Gold n’a strictement aucun intérêt pour un fumeur de pipes. D’ailleurs sur Tobaccoreviews non seulement il a obtenu le maigre score de 2,77, en plus sur 22 dégustateurs il y en a 13 dont la revue mentionne la similitude avec la cigarette ou le RYO. Plusieurs ont même fini par s’en servir comme tabac à rouler.

En désespoir de cause, j’ai fini par essayer différents mélanges. Avec un aro fruité et floral, le résultat était totalement inintéressant. Avec du kentucky ce n’était pas fameux non plus. Avec une bonne dose de perique le tabac est devenu moins barbant, mais sans pour autant procurer le plaisir qu’on est en droit d’attendre d’un VA/perique réussi. C’est clair : avec un ingrédient de base au goût ordinaire et, ce qui plus est, à la sensation en bouche désagréable, il n’est pas possible de cuisiner un plat délicieux.

Des virginias de la meilleure qualité ? Allons.

Pfeifendepot, TM 70 Flake Cut

Gladora Tobacco Pesse Canoe Oriental FlakeLa particularité de ce flake composé de trois virginias différents est que les tabacs sont conservés pendant deux ans dans des tonneaux en zinc. Ce procédé permettrait aux virginias d’accentuer leur douceur naturelle et de développer un goût à la fois suave et acidulé. Par ailleurs, selon le descriptif le Flake Cut serait un mélange à deux visages : léger et doux quand on le fume tel quel, nettement plus corsé quand on transforme les flakes en brins. A tester.

Orlik Golden Sliced. Voilà la première pensée qui me traverse l’esprit après avoir ouvert la boîte de 100g. Même présentation sous forme de longue ceinture enroulée. Mêmes couleurs. Même nez dans lequel l’abricot et la bergamote s’associent au poivre et au musc. Même conclusion : mon pif juge que ce n’est pas un mélange naturel.

En faisant quelques recherches, je découvre sur le site du ministère de l’Agriculture que le TM 70 fait partie du portefeuille de Kopp Tobaccos. C’est le succédané du Golden Sliced que plusieurs civettes allemandes ont intégré dans leur gamme de house blends et qu’elles commercialisent sous différents noms. Désormais Kopp dispose de ses propres presses à flakes, mais avant, tous leurs mélanges pressés étaient produits par le STG. Il est donc parfaitement possible que le TM 70 que je teste, soit tout simplement du Golden Sliced déguisé. D’ailleurs, tout comme le Golden Sliced, le Flake Cut contient 13,8% d’additifs. Ça ne peut pas être le fruit du hasard.

Première constatation : il se peut que je n’aie pas le palais assez fin, mais je ne constate pas de différences notables quand je vérifie l’effet sur le goût des deux méthodes de bourrage précitées. Et c’est parfaitement compréhensible vu qu’en déchirant un bout du rouleau de tabac peu pressé, on n’obtient pas une tranche, mais des filaments. La classique méthode du pliage est donc exclue. Certes, je peux plier les filaments et les entasser dans le foyer, mais comme ils s’effritent pendant la manipulation, le résultat est fort comparable à un bourrage aux flakes transformés en brins.

Quelques bouffées suffisent pour confirmer que si ce n’est pas une copie conforme du célèbre tabac d’Orlik, c’est pour le moins un sosie. Pas étonnant donc que l’effet que le TM 70 me fait, soit identique. Au début, j’aime bien ses notes d’abricot et de bergamote, la pointe de musc et sa chaleur épicée, mais en cours de route je me sens tôt ou tard gavé par ces saveurs fort prononcées qui n’évoluent pas et par un arrière-goût qui me rappelle les 13,8% d’additifs chimiques.

Bref, ce n’est sûrement pas un tabac que je déteste, mais ce n’est pas non plus un mélange que je vais stocker. Ceci dit, pour les nombreux fans du Golden Sliced, le Flake Cut est une alternative parfaitement valable qui a l’avantage de se vendre nettement moins cher. Au moment où j’écris ces lignes, une boîte de 100g du tabac danois coûte €30, alors qu’une boîte de Pfeifendepot vaut €20,40.

Vauen, Auenland Broken Flake

Gladora Tobacco Pesse Canoe Oriental FlakeBroken flake ? Vraiment ? En vérité, si je décèle ici et là un fragment de flake, je vois avant tout de longs brins qui se prêtent à un bourrage immédiat. Bref, c’est plutôt du ready rubbed. Et je ne suis pas seul à le penser : sur la page web de présentation du tabac, Vauen précise que le Broken Flake est un ready rubbed. La logique m’échappe.

L’écurie Auenland compte six mélanges dont cinq sont des aros. Le Broken Flake, lui, ne contiendrait pas d’arômes ajoutés et est composé de dark virginia, burley, kentucky et perique. Et ça se sent. Je remarque d’abord la typique odeur du kentucky, mais en humant plus longuement, je perçois également de discrètes senteurs de croûte de pain et de terre sèche et une pointe de moisi. C’est un nez équilibré mais sans grande personnalité et qui en conséquence ne peut gêner personne.

C’est pareil pour le goût. Manquant de précision, les saveurs forment un amalgame qui n’enthousiasme guère, mais qui n’inspire pas non plus de jugement sévère. Ça se laisse fumer, d’autant plus que la fumée ne mord pas, que le taux de vitamine N se situe dans la moyenne et que la combustion ne pose aucun problème. Bref, c’est un mélange qui n’est pas sans mérites, mais qui n’a pas suffisamment d’atouts pour se distinguer.

Vauen se cantonne avant tout dans le marché des aros. Je ne peux pas me départir de l’idée que, plutôt que par passion, ce blend a été créé par acquit de conscience envers le fumeur de tabacs dits naturels. Le résultat est donc à l’avenant.