Il m’arrive rarement d’écrire sur les tabacs. Cet exercice me met mal à l’aise parce que je ne me considère pas exactement comme un spécialiste et qu’en outre il est autrement plus difficile de parler à bon escient de tabac que de vin par exemple. Par ailleurs, quand je lis pas mal d’analyses et de jugements publiés dans Tobaccoreviews.com ou dans divers forums, je vire souvent entre l’irritation et le fou rire. Les conneries qu’on peut y lire ! De l’intox manifeste, des gaffes monumentales et surtout du blablabla grandiloquent et tiré par les cheveux sur les supposées qualités organoleptiques des mélanges testés. Bref, même si pour une fois je me sens appelé à vous causer de tabac, n’attendez de moi ni envolées lyriques, ni descriptions faramineuses, ni doctes analyses. Mon but n’est pas de vous révéler La Vérité. Des impressions et des opinions personnelles, c’est tout ce que j’ai à vous offrir.
Voici donc quelques commentaires sur une série de mélanges que j’ai récemment goûtés. Il s’agit d’une part de blends qui sont nouveaux pour moi et d’autre part de tabacs que j’ai fumés jadis et que je viens de redécouvrir. Et il y a de tout : depuis des produits de masse jusqu’à la production confidentielle d’un micro-blender. Vive l’éclectisme.
Depuis des décennies un des grands classiques américains, l’archétype du drugstore blend populaire et sans fioritures. Un aromatique à base de burley et de bright virginia. A l’ouverture, on est salué par un parfum agréable aux notes sucrées et fruitées. Rien d’écœurant, rien de caricatural. Le coupe est fine et la couleur de la composition uniforme. Il ne faut donc pas s’attendre à une grande complexité. Au toucher le tabac est assez humide et même plusieurs semaines après l’ouverture de la pochette, l’humidité est toujours aussi présente. Bonjour le propylène glycol !
Passons au fumage. Les premières bouffées confirment les impressions du nez : c’est aromatisé avec maîtrise et le goût du burley n’est pas entièrement masqué par l’aromatisation. Bien sûr, ce type de tabac n’est pas ma tasse de thé, mais il faut le dire : il existe des aromatiques nettement moins équilibrés. Le fumage se passe sans problèmes : la combustion est facile, le mélange ne produit pas de jus et, ô surprise, il n’a pas tendance à surchauffer ou à mordre la langue. A condition de fumer posément, cet aromatique ne devient pas désagréablement amer vers la deuxième moitié du bol. Au contraire, il prend un peu plus de corps et de temps en temps le burley arrive sur le devant de la scène.
Il ne s’agit pas d’une expérience inoubliable. Loin de là. D’ailleurs, je n’en achèterai plus. Mais bon, ce tabac populaire, bon marché et disponible partout mérite quand même un certain respect. Franchement, dans son genre, il y a vraiment pire.
Je me rappelle qu’à mes tout débuts sur internet, j’avais découvert les résultats d’une grande enquête internationale sur les tabacs à pipe. Pour chaque catégorie de tabac, les mélanges avaient été classés selon leur cote d’appréciation des répondants. Dunhill My Mixture 965 avait terminé premier dans la section des blends anglais et Escudo avait été élu le meilleur VA/perique. Des choix judicieux. C’est pourquoi, avec de grands espoirs, je m’étais offert une boîte de Larsen n°50, le vainqueur dans la catégorie des aromatiques. Une amère déception. J’avais fini par jeter la boîte. Or, il y a un an ou deux, une âme bien pensante a cru me faire plaisir en m’offrant une boîte de ce mélange danois. Soupir. Récemment, j’ai trouvé le courage de faire un nouvel essai.
Je vous épargne les détails et je serai concis. Pour moi, c’est infumable. C’est une punition plutôt qu’un plaisir. Une pénétrante odeur de cassonade, un goût sirupeux qui se dégrade, une sensation d’écœurement et une langue qui crie au viol. C’est tout ce que vous devez savoir.
Je n’ai jamais compris comment des pipophiles avertis peuvent préférer des aromatiques à des mélanges naturels, mais bon, c’est leur problème. Mais qu’ils aient élu cette horreur comme leur tabac de prédilection, ça me dépasse complètement. Les amateurs d’aros m’inspirent encore moins confiance qu’avant.
Si vous pensez que le terme “Scottish” indique qu’il s’agit d’un tabac aromatisé au whisky, vous vous trompez. Ce flake-ci est produit à partir de red virginia, de kentucky et de perique, légèrement aromatisé au rhum. En tout cas, c’est ce que je lis parce qu’à aucun moment je n’ai décelé de trace de rhum.
Les flakes brun foncé s’émiettent facilement et ne collent pas aux doigts. L’odeur discrète et naturelle n’est pas désagréable. Ca sent tout simplement le tabac et il est clair que le perique ne joue pas le premier violon. Et c’est pareil au fumage : ce n’est pas mauvais, c’est neutre, ça ne peut offusquer personne, mais ça n’enthousiasme pas non plus. Pas mal, mais peut mieux faire. C’est pourquoi j’ai opté pour une version turbo en ajoutant au mélange du perique et du kentucky. A peu près 5% de chaque condiment. Le résultat n’est toujours pas grandiose, mais quand même nettement plus satisfaisant.
Pour moi, le grand mérite de ce tabac, c’est qu’il est disponible un peu partout, en tout cas en Belgique. Toutefois, il faut ajouter qu’il y a plein d’alternatives nettement plus savoureuses et avec plus de caractère.
Latakia Flake ? Mon œil ! C’est brun clair et il faut chercher le noir du latakia. L’odeur peu appétissante et qui manque de netteté trahit la présence de quelques brins de latakia, mais alors vraiment dans le fond. C’est surtout et avant tout du virginia.
Les flakes sont beaucoup trop humides et collent terriblement. Ca n’inspire pas confiance et ça ne promet rien de bon. Ceci dit, au fumage ce n’est pas mauvais : d’accord, je dois rallumer plusieurs fois, mais le virginia ne mord pas la langue et il a une saveur respectable. Mais un latakia flake ? Allons. Ca manque de latakia, pardi ! Il faut donc des mesures drastiques : je fais un mélange de 50% du Germain’s et de 50% de Cornell & Diehl Pirate Kake, un crumble cake noir de chez noir avec un goût de latakia à ressusciter un mort. Et je dois dire que le mariage est heureux : du latakia pur et dur sur une assise de virginia doux, sans agressivité. Une réussite d’autant plus que l’extrême sécheresse du Pirate Kake équilibre l’humidité du Latakia Flake. Une expérience à refaire.
Encore un tabac mal baptisé. Ca, du virginie ? J’ai vraiment du mal à le croire. Quel virginia pour pipes est coupé si finement ? Et quel virginia rappelle par son odeur davantage les terreux tabacs bruns que le bright leaf mielleux ? Bref, l’ouverture de la boîte réserve une surprise à quiconque s’attend à un mélange à base de virginia.
Visuellement, les brins fins ne suscitent pas exactement l’appétit : ils sont uniformément bruns et tendent vers le tabac à rouler. Ca a l’air barbant. Quant à l’arôme, c’est plutôt discret, pour ne pas dire assez fade, mais on ne peut pas dire que c’est désagréable. Au toucher le tabac est légèrement humide mais sans excès.
Il va de soi qu’avec ce genre de coupe la combustion est facile et rapide. C’est un excellent choix pour pipes à parois fines. Si le goût n’est ni impressionnant ni mémorable, il est quand même fort plaisant. En tout cas pour un amateur de bruns puisqu’au niveau gustatif ce mélange se situe entre le semois et le Saint-Claude. Moins rustique que le semois et plus viril que le Saint-Claude, c’est un tabac d’homme assez riche en nicotine qui, malgré son nez peu prometteur, produit un goût plutôt intense et net qui n’évolue guère mais qui présente un bel équilibre entre des notes torréfiées, sucrées, amères et salées. Seul bémol, vers la fin je décèle dans le fond de vagues relents d’ammoniac.
Finalement, ce soi-disant Virginie, ce n’est pas si mal que ça. J’en rachèterai.
En général les amateurs de flakes ou de broken flakes à base de virginia/perique considèrent le Brown Clunee, le Hal O’ the Wynd, le Marlin Flake et le Old Gowrie comme des classiques. Et pourtant, moi, j’ai toujours trouvé ces mélanges de Rattray’s un peu décevants. Ne me faites pas dire qu’ils sont mauvais, mais en comparaison avec pas mal de VA/perique de McClelland ou de Gawith avec ou sans Hoggarth par exemple, je les trouve assez quelconques, parfois même à la limite de l’insipide. Je les ai donc abandonnés depuis des années.
Mais voilà que j’ai sorti de ma cave une boîte de Marlin Flake et de Old Gowrie. Ces deux tabacs se ressemblent fort. D’ailleurs, le Marlin est présenté par Kohlhase & Kopp comme le grand frère du Gowrie : il serait plus corsé. Un peu étonnant quand on sait que le Gowrie contient du kentucky alors que pour le Marlin c’est du cavendish.
D’accord, en vieillissant, ces deux mélanges ont gagné quelque peu en corps et sont devenus plus harmonieux, mais fondamentalement mon avis n’a pas changé. Ca se laisse fumer, ça n’agresse pas la langue et c’est le genre de tabac qui ne choque personne, mais c’est en même temps ce manque de vraie personnalité qui me laisse sur ma faim. Ces tabacs n’ont ni le punch poivré du Three Nuns, ni les appétissantes notes de fruits secs de l’ancien Escudo, ni le surprenant caractère aigre-doux des McClelland. En comparaison, les saveurs des Rattray’s semblent comme étouffées.
Si je devais choisir entre ces deux mélanges, je prendrais le Old Gowrie qui me paraît le plus harmonieux des deux. Ceci dit, c’est la dernière fois que je me serai offert des VA/perique de chez Rattray’s.
J’imagine que ce tabac qui sort des sentiers battus, n’est pas pour tout le monde, même pas pour les fans des typiques blends anglais de Dunhill. Parce que ce mélange-ci est davantage oriental qu’anglais, c’est-à-dire que si le latakia est bel et bien présent, il s’efface devant les herbes orientales. Par conséquent, le goût est davantage épicé que fumé. Mais pour les amateurs du genre, quelle opulence de saveurs complexes en parfaite harmonie ! C’est riche, c’est bourré de goût, c’est viril et élégant à la fois. L’équilibre entre les virginias sucrés, le latakia suave et les orientaux espiègles et enjôleurs fait du Durbar un petit chef-d’œuvre. C’est ce genre de blend qui à la grande époque a valu à la marque anglaise sa réputation en béton.
La boîte goûtée avait été encavée pendant 6 ans et était incontestablement plus harmonieuse et intense qu’une autre goûtée juste après livraison. Un tabac à conserver religieusement et à déguster avec concentration. Et pour quiconque désire découvrir les charmes d’un oriental blend, un tabac incontournable.
Du latakia belge ! Qui l’aurait cru ? C’est donc avec une bonne dose de scepticisme que j’ai acheté cette boîte qui porte la signature de Jacques Vinche de Vinche & Koopmans. La description est plus que prometteuse : pourcentage élevé de latakia, diverses sortes de virginia, du cavendish et du perique. Avec ses arômes denses et ses intenses notes fumées, ce serait un mélange qui s’adresse à l’amateur d’anglais classiques. Espérons que Vinche dit vrai.
L’ouverture de la boîte rassure immédiatement : un bel éventail de couleurs, des brins de qualité peut-être légèrement trop humides, mais surtout et avant tout de superbes arômes de…euh…ben oui, d’un anglais classique. Feu de camp, sous-bois, vieux cuirs, vous voyez le genre. Et tout cela tout en rondeur, dans un ensemble équilibré et harmonieux. C’est le genre de parfum appétissant que je me plais à humer sans retenue. Chapeau.
À ma surprise, les premières bouffées ne sont pas sans me rappeler les saveurs et l’intensité du 965 et du Nightcap d’antan, ce qui n’est pas une mince affaire. Mais bientôt cette si flatteuse similitude se dissipe au contact de la fumée avec mon palais : cette fumée manque de velours et de velouté. Finalement, elle est trop rêche pour soutenir la comparaison avec les légendaires créations de Dunhill. Et puis, il s’avère que le V.B ne peut s’enorgueillir de la profondeur, de la complexité et de l’équilibre qui ont fait la renommée de la marque anglaise.
Ceci dit, ça reste un mélange anglais tout à fait respectable qui peut se mesurer avec une pléthore de produits similaires de marques connues. L’assise des virginias n’est pas grandiose et pourrait être plus suave, le perique est imperceptible et le cavendish devrait davantage adoucir l’amertume un peu trop marquée, mais j’imagine que la belle présence de latakia de qualité devrait rendre indulgent tout amateur de l’herbe chypriote. Et qui sait, il se peut bien que la rugosité et l’amertume finissent par s’estomper après quelques années d’encavement.
Au moment même où j’étais en train de faire des recherches pour vous présenter correctement Hans Wiedemann et ses tabacs, j’ai reçu un courriel de Renzo dans lequel il m’annonçait qu’il était en train de préparer pour le site Fumeursdepipe un texte sur le nouveau blender allemand. Le hasard arrange bien les choses. C’est donc avec plaisir que je vous renvoie à l’article de Renzo pour vous faire découvrir celui qui depuis peu fait l’objet d’éloges unanimes dans les forums allemands et qui a surpris par la qualité de ses produits les visiteurs du dernier Chicago Pipe Show.
Je me limiterai donc à vous présenter six mélanges que je viens de tester. Il m’en reste dans ma cave encore six autres à découvrir.
Wiedemann produit trois lignes de tabacs : The Original Warehouse Blend, un éventail de tabacs dits naturels, The Blender’s Pride, une série de mélanges aromatisés, et United Passion – Homage To My Friends, une brochette de compositions faites pour et en collaboration avec des amis pipophiles.
Dissipons d’emblée un malentendu coriace. Non, pour composer un mélange complexe, il ne faut pas nécessairement ouvrir tous les registres. Même si la peinture monochrome limite consciemment sa palette, elle joue avec virtuosité sur les nuances et le fait que Miles Davis se cantonne obstinément dans le registre mineur ne l’empêche aucunement de produire des sons d’une subtilité hors pair. Et c’est donc pareil pour les tabacs : un manque de tessiture peut aisément se compenser par une parfaite maîtrise d’une unique tonalité qui permet d’en explorer tous les recoins et d’en exprimer toutes les harmonies.
Tout comme le Key Largo de Greg Pease, l’English Breakfast de Hans Wiedemann fait partie de cette catégorie de tabacs qui peuvent paraître unidimensionnels au fumeur inattentif, mais qui, grâce aux habiles et raffinées permutations et variations d’un thème, sont tout en nuances.
En créant ce blend, Wiedemann a visé deux objectifs : d’une part proposer au latakiophile un léger et agréable tabac du matin, d’autre part prendre la main du néophyte et l’introduire gentiment dans l’univers magique des mélanges anglais. Bien joué parce que la mission est accomplie.
À l’ouverture de la boîte, je commence à saliver. De la grosse coupe qui révèle de beaux brins de feuilles d’une multitude de couleurs allant du doré au noir. Un nez rond, doux, caressant et harmonieux dans lequel le fumé du latakia syrien se fait discret et parfaitement intégré dans l’ensemble. Ce qui frappe avant tout, c’est le charme flatteur et sucré de la combinaison de virginias mûrs et d’herbes orientales de qualité. Ca promet !
Ce n’est pas le genre de tabac à fumer sans y prêter attention. Il risque alors de décevoir par sa légèreté. On pourrait même dire qu’il manque de corps. Mais quand on prend la peine de le fumer avec un minimum d’attention, on est récompensé par des saveurs certes légères, mais subtiles et profondément satisfaisantes. Et comme le nez l’annonçait déjà, le point fort de l’English Breakfast, c’est l’heureuse complicité entre les orientaux et les virginies qui résulte en une onctueuse et voluptueuse douceur épicée. C’est un gâteau moelleux sur lequel le latakia fait office de cerise proverbiale. Et pourtant le mélange contient 20% de l’herbe syrienne.
C’est le moment d’ouvrir une parenthèse. Si vous avez déjà goûté l’authentique shek-el-bint tel qu’il était employé par Greg Pease et Cornell & Diehl, et tel qu’aujourd’hui encore on le retrouve dans le McBaren HH Vintage Syrian, vous devez être capable de le reconnaître à la première bouffée. J’ai eu le privilège de le goûter à l’état pur et je peux vous dire que c’est une expérience inoubliable, tellement les fascinantes et déroutantes saveurs d’encens en font un tabac unique et incomparable. Or, à plusieurs reprises j’ai constaté que des mélanges d’origine allemande dont la description affirme qu’ils contiennent du latakia syrien, n’ont rien en commun avec l’herbe à la personnalité si marquée. Et c’est pareil pour l’English Breakfast : d’accord, le latakia est suave et savoureux, mais il ne rappelle en rien l’herbe divine qui a donné naissance au fabuleux Bohemian Scandal, pour moi le chef-d’œuvre absolu de Greg Pease.
Vu sa grosse coupe et son côté légèrement trop humide, l’English Breakfast nécessite parfois un rallumage. Ceci dit, rien d’inacceptable. Le mélange n’évolue guère mais a le mérite de mettre en avant du début à la fin cette douceur épicée affriolante mentionnée ci-dessus entremêlée aux subtils relents de fumé. Pas de basses massives, pas de criardes notes aigues. Tout se passe dans les moyennes fréquences, mais ce qui s’y passe vaut la peine. S’il vous faut des tambours et des trompettes, passez votre chemin.
Le nom du blend l’indique déjà : avec ce tabac, Hans Wiedemann explore l’univers du virginia/perique. A remarquer que ce ready rubbed flake contient également une dose de kentucky. Je vous l’annonce d’emblée : ce tabac, je l’apprécie fort.
Ce ne sont ni son aspect brun clair parsemé de brins blonds et dorés, ni son nez discret de tabac naturel avec de légères notes fruitées de perique et un petit côté qu’à défaut de terme plus approprié, je qualifierais de terreux, qui m’enthousiasment. Non, ce qui me comble, c’est le parfait équilibre entre force et subtilité, c’est sa retenue et c’est son onctuosité.
Je vous prie de m’excuser, mais je n’y peux rien, je dois me répéter. Le Louisiana Broken est un exemple supplémentaire de l’art de l’entrejeu. Il ne cherche pas l’effet facile, il se trouve à mille lieues du spectaculaire et du tape-à-l’œil. Il se limite au registre moyen qu’il fouille de fond en comble pour en extraire les nuances et les harmonies.
Un centre terre-à-terre viril. Pas de sucrerie caricaturale, mais une douceur sous-jacente de bon aloi. Une amertume bien présente, mais civilisée. Une note fruitée sobre. Une fumée veloutée. Un petit picotement dans le nez assez plaisant. Il y a de la structure, il y a de la nicotine. Un tabac qui a du bide. Un tabac d’homme. Un tabac chaleureux, généreux, amical. C’est du Baudelaire : Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Et dire que je vous avais promis de m’abstenir d’envolées lyriques !
Depuis toujours, Edgeworth Sliced est sans conteste l’un de mes tabacs de prédilection. C’était un monument érigé en l’honneur de l’humble burley. C’était, parce que ce légendaire burley flake appartient définitivement au passé. Bien qu’il me reste une dizaine de boîtes en stock, je suis toujours à la recherche d’alternatives contemporaines. Et, croyez-moi, il y en a très, très peu. C’est donc avec excitation que j’ai découvert sur le site de HU Tobacco ce ready rubbed flake qui a l’ambition de rendre hommage à l’enfant pauvre de la famille Nicotiana. 60% de kentucky burley complémenté de virginias rouges.
La boîte ouverte, toutes ces variations sur le thème du brun me plaisent beaucoup et ce n’est pas le nez qui me fera changer d’avis : c’est discret, c’est fin, c’est doux et pour moi, outre le vrai tabac, ça sent le café et surtout le chocolat. Ah, que c’est bon !
Allumage et c’est parti. Les premières bouffées confirment le nez : c’est du burley de toute grande qualité qui, malgré sa sévérité naturelle, produit une fumée douce et assez crémeuse qui véhicule des notes chocolatées extrêmement plaisantes. Remarquez que s’il vous faut à tout prix une bonne dose de confiserie, ce tabac n’est pas pour vous : le burley est ce qu’il est et, vu sa faible teneur en sucre, il ne pourra jamais satisfaire votre désir. Mais si le caractère robuste et austère du burley ne vous fait pas peur, le Nashville County doit vous combler. La structure reste rigide, pour ne pas dire monacale, mais l’apport du virginia rouge mûr et les continuelles saveurs chocolatées sur le devant de la scène l’adoucissent sensiblement et en font un ensemble parfaitement harmonieux.
À ne pas déguster dans une pipe XL vu l’extrême lenteur de la combustion. N’attendez pas non plus ni complexité, ni évolution claire et nette. C’est un mélange simple et basique, comme il se doit pour un blend qui vise à restituer le caractère rustique de l’Amérique rurale. Le Nashville County ne me fera pas oublier l’Edgeworth Sliced qui reste inégalé. Ceci dit, dans son genre, c’est une réussite. Vivement conseillé aux amateurs.
De nombreuses déceptions m’ont à tout jamais rendu méfiant envers les mélanges aromatisés. Cela ne veut pas dire que j’aie abandonné tout espoir de finir par en dénicher un qui me comble. En lisant que le Green Gold est aromatisé à la bergamote, j’ai fait l’association avec le thé Earl Grey dont le typique arôme de bergamote ne me déplaît pas. Pourquoi ne pas l’essayer ?
L’odeur de ce broken flake où domine le brun clair, me rappelle des tabacs comme le Reiner Long Golden Flake ou l’Orlik Golden Sliced, mais avec une note fruitée qui, à ma surprise, n’a pas grand-chose en commun avec le parfum de l’Earl Grey. Ceci dit, l’arôme de l’agrume est très bien intégré dans l’ensemble et s’harmonise avec les effluves des virginias.
J’ai testé le Green Gold dans quatre pipes différentes dédiées au virginia et j’ai dû constater que d’une pipe à l’autre le résultat pouvait sérieusement varier. Difficile dans ce cas de prononcer un jugement définitif. Voyons ça de plus près. Chaque fois l’allumage et les premières minutes de fumage me surprennent agréablement. Dans le fond il y a une amertume bien présente complémentée par le sucre des virginias et la touche fraîche de l’agrume. C’est espiègle, c’est estival, c’est un tabac de pique-nique. Cependant, à deux reprises, ma joie est de courte durée. Bien vite, le fumage me pèse et je commence à attendre la fin du bol avec impatience : je me sens de plus en plus écœuré et rassasié par l’amertume insistante et par les saveurs trop marquées. C’est lourd. Par contre, dans deux autres pipes, je n’éprouve nullement cet écœurement et l’expérience reste assez agréable jusqu’à la fin.
Bref, ce ne sera pas le Green Gold qui me réconciliera définitivement avec les tabacs aromatisés, mais peut-être qu’il vous faudra vous fier davantage à l’opinion d’un aficionado d’aromatiques qu’à la mienne.
Franchement, je ne sais pas trop ce qui exactement constitue un Irish blend. Tout ce que je sais, c’est que dans ma jeunesse il m’arrivait d’essayer des tabacs dont la description se référait à l’Irlande. Systématiquement il s’agissait de mélanges très mielleux et aromatisés, supposés capter les parfums des landes irlandaises.
Encore un aro, me direz-vous. Oui, pour la bonne raison que dans sa description Hans Wiedemann spécifie que ce tabac s’adresse à l’inconditionnel de tabacs naturels à qui prendrait une envie de friandise. C’est mon cas. Et, il faut le dire, divers virginias africains, une bonne dose de perique et du darkfired kentucky, ce ne sont pas exactement des ingrédients pour âmes sensibles. C’est du tabac, ça !
Le broken flake est une symphonie de teintes brunes et l’aromatisation fait montre de retenue. Difficile à définir, elle est mielleuse, fruitée et florale à la fois. Et, ma foi, elle ne me déplaît pas, d’autant plus qu’à travers ce parfum, je décèle l’odeur de virginias mûrs. Ca me rappelle vaguement certains flakes en provenance du Lake District, mais sans le côté savonneux. Cette impression se confirme à l’allumage : en effet, on a l’impression d’entrer dans l’univers de Samuel Gawith et de Gawith & Hoggarth, mais dans une version plus policée et moins extravertie. C’est bon.
La combustion est parfaite. Après les premières bouffées affriolantes, on entre dans une phase un peu unidimensionnelle, mais bientôt le kentucky et le perique commencent à percer à travers les virginias. Au fur et à mesure du fumage, le mélange gagne nettement en force alors que les arômes fruités et floraux s’estompent, se retirent dans le fond et finissent pour ainsi dire par disparaître. Malgré son statut d’aromatique, ce tabac est tout sauf douceâtre, bien au contraire. La langue décèle une certaine acidité que, personnellement, je n’apprécie pas trop, mais ça ne devient pas vraiment gênant. Il y a également de l’amertume, mais plutôt que de déranger, elle donne du sérieux au mélange. Dans les dernières minutes, le tabac semble comme transformé : le kentucky et le perique prennent résolument le dessus et la finale intense et sombre ne rappelle en rien le blend floral du début.
Il est vrai que ce mélange n’est pas fait pour indisposer les amateurs de tabacs naturels. On pourrait même affirmer que, vu sa spectaculaire évolution, c’est un tabac complet et complexe. Or, pour une fois que les premières bouffées révélaient une aromatisation parfaitement maîtrisée, assez fascinante et vraiment agréable, je regrette que cette appétissante promesse n’ait pas été tenue. Ce qui reste, c’est certes un tabac de qualité, mais qui ne me comble que moyennement.
Ce mélange a été composé pour le pipier allemand Olaf Langer qui apprécie les anglais puissants. C’est donc un tabac très foncé avec pas mal de noir et ici et là quelques brins vraiment blonds. La coupe est plus fine et donc plus classique que celle de l’English Breakfast. Le blend contient 40% de latakia syrien, 10% de latakia chypriote, du virginia, du perique, du smyrna, du darkfired leaf et du cavendish noir anglais. Tout un programme ! Pour garder toutes ces balles en l’air, il faut être un sacré jongleur et je me demande si Wiedemann a suffisamment d’expérience pour se lancer dans ce genre d’exercice ambitieux.
Le nez est classique et équilibré et devrait plaire à tout amateur de latakia. Pourtant, tout latakiophile que je sois, je ne suis pas entièrement convaincu au fumage. Il est vrai qu’avec ses notes sucrées, amères, acides, salées et fumées, le blend couvre une large palette de saveurs, mais ce qui me manque un peu, c’est la magie de l’interaction entre tous ces éléments. Il n’y a pas d’unité. Je ressens des picotements dans la gorge, mes muqueuses et mes papilles gustatives décèlent une certaine verdeur. Pour que le latakia brille, il lui faut une assise agréablement ronde. Ici, ses notes fumées sont insuffisamment soutenues et complémentées. Ce tabac manque de coffre, d’opulence, de bonhomie.
Ceci dit, quand j’ai terminé une pipe entamée la veille, j’ai constaté que le tabac avait gagné en harmonie et en rondeur. Cela me donne à penser que l’Olaf’s Favourite English mis en boîte en avril dernier doit encore se fondre et bénéficiera dès lors de quelques mois, voire années d’encavement. Il se peut bien qu’alors il réussisse à trouver un équilibre qui fera le plaisir du latakiophile pur et dur.
HU Tobacco est un nouveau projet qui mérite notre soutien. Incontestablement, Hans Wiedemann est un blender qui a du talent. En outre, en confiant la production de ses recettes à DTM, qui compose les mélanges de Dan Pipe, et à l’incontournable Kohlhase & Kopp, il dispose non seulement d’un large éventail de matières premières de qualité, il peut compter également sur l’expérience et le savoir-faire d’entreprises établies et respectées. Par contre, je me demande si c’est une bonne idée pour un blender passablement néophyte d’entrer sur le marché en proposant d’emblée dix-huit recettes. Peut-être qu’une ambition plus mesurée ne l’aurait pas desservi.