Font-ils un tabac ? n°2

par Erwin Van Hove

19/09/11

G. L. Pease, Triple Play

Voici un tabac pour bricoleurs ou pour cuistots : avant de pouvoir bourrer votre pipe, il vous faudra un cutter ou un solide couteau de cuisine bien aiguisé. En effet, le Triple Play est un plug, c’.-à-d. un bloc de tabac pressé dont il faut découper soi-même des lamelles. Cela vous laisse beaucoup de liberté : vous pouvez découper simplement des flakes que vous fumez tels quels, vous pouvez découper des tranches assez épaisses que vous coupez ensuite en petits cubes, appelés cube cut, et vous pouvez hacher ou triturer les tranches pour obtenir les brins de tabac de la taille qui vous convient. Il va de soi que plus vos tranches seront épaisses, plus la combustion sera difficile. Ceci dit, si des rallumages assez fréquents ne vous gênent pas, il peut être intéressant d’expérimenter avec le cube cut par exemple.

L’adjectif triple se réfère à la composition du tabac : des virginias rouges et blonds, du perique, du dark-fired kentucky. L’ouverture de la boîte est une surprise. J’avais vu plusieurs photos du Triple Play et sur chacune le plug était très foncé, mais voici que malgré la présence de fragments noirs, le bloc que je découvre est dominé par des bruns nettement moins sombres que sur les images. La structure avec ses grands morceaux de feuilles bien visibles est fort appétissante. Elle me rappelle par ailleurs certaines dalles en liège ou certains panneaux agglomérés dans lesquelles on distingue facilement les composantes.

Au nez, la première impression est nette et précise : c’est l’odeur des pommes qui séchaient au grenier de mes grands-parents. Quand je hume à nouveau, je détecte une odeur de vinaigre de cidre. Remarquez, rien à voir avec le nez vinaigreux des McClelland. Non, c’est nettement plus subtil et élégant. En tout cas, c’est un parfum surprenant pour un VA/perique/kentucky : je m’étais attendu à quelque chose de plus sombre et pénétrant.

Le plug ne colle absolument pas aux doigts et cependant, il n’est pas dur comme fer, mais il conserve une certaine souplesse, ce qui trahit la présence d’un degré d’humidité assez élevé. Avec un demi-chef japonais, j’arrive facilement à trancher des flakes, puis à les hacher. Les brins s’allument sans problème et c’est parti.

Les premières bouffées me surprennent : vu le nez plutôt fruité, je m’étais attendu à une certaine légèreté estivale, mais d’emblée on est dans le registre automnal des virginias rouges et du kentucky. Il me faut très peu de temps pour être sous le charme : c’est un tabac qui me satisfait vraiment. Au cours du fumage, je comprends de mieux en mieux les raisons. C’est un mélange très agréable, mais sans être frivole. Il y a beaucoup de profondeur et un kick nicotinique, mais aucune lourdeur. Il produit un goût intense et soutenu, sans devenir écœurant. En outre, la fumée est crémeuse, sans aucune agressivité et l’équilibre entre le sucré, l’amer et l’acide est irréprochable. Bref, c’est un mélange viril fort harmonieux dans lequel les trois composantes travaillent ensemble et se complètent. Sa saveur est assez constante, mais dans le fond c’est tantôt le fruité du perique, tantôt la petite touche fumée du kentucky qui s’affirment. La finale est très belle et un exemple d’équilibre.

A condition de couper le tabac en brins classiques, la combustion n’est pas problématique. De temps à autre un rallumage, c’est tout.

Conclusion : pour moi le Triple Play est une création très réussie qui confirme le talent de Greg Pease. Ce tabac est vivement conseillé à tout amateur de VA/perique à qui un tabac pressé en bloc ne fait pas peur.

McClelland, 5100 Red Cake

Si ce tabac n’existait pas, il faudrait l’inventer. Pour moi, c’est le red virginia ultime et pourtant le Red Cake n’a rien de prestigieux : il est bon marché – entre 7 et 8 dollars pour 2oz, soit autour de €5 les 50g, il se vend uniquement en bulk et il est présenté par son producteur comme un tabac dont on peut se servir pour faire ses propres blends. Parce que, figurez-vous, le 5100 n’est pas un savant mélange. C’est du red virginia pur et dur. Ni plus ni moins. Et cependant, ce basique cake pressé transformé en ribbon cut est devenu la coqueluche de dizaines de milliers d’amateurs de VA. Une légende en quelque sorte.

Ceci dit, voici un avertissement clair et net : si la typique odeur de ketchup et de vinaigre balsamique des virginias de McClelland vous hérisse le poil, à coup sûr le 5100 n’est pas pour vous. Si, au contraire, vous aimez les arômes d’un mélange tel que le Blackwoods Flake, je suis sûr et certain que le Red Cake vous comblera. En vérité, personnellement je trouve que ce humble bulk est meilleur que la plupart des McClelland en boîtes.

Le tabac est foncé avec des brins qui vont de l’acajou au noir. Au toucher, il est plutôt moite, donc un peu de séchage ne peut pas lui faire de mal. Ceci dit, même si le tabac est légèrement humide, sa combustion ne pose aucun problème. Au contraire, il se consume facilement.

Bien sûr, il ne faut pas attendre d’un virginia pur une impressionnante complexité, ni une saisissante évolution. La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Mais pour une belle fille, c’est une belle fille ! Et ce qui plus est, d’un caractère doux et docile : pas agressive pour un sou, elle ne mord pas la langue.

Tout au long du fumage, on jouit d’un virginia mature qui combine à merveille une douceur épicée et fruitée et une belle acidité noble. La saveur est franche et pleine, mais sans aucune lourdeur. Le taux de nicotine me semble passablement bas, mais on n’a jamais l’impression de fumer du foin. C’est agréable, c’est délicieux et ça fait rougir de honte plus d’un mélange huppé dans une boîte chichi.

A €5 les 50g, c’est sans conteste une maître-achat pour tout amateur de VA bien mûr. A acheter par kilo entier, d’autant plus que, conservé dans des bocaux à stérilisation, le Red Cake se bonifie avec le temps.

Cornell & Diehl, Pirate Kake

Je vous le dis d’emblée : si vous êtes l’un de ces pantouflards qui sont indisposés par les effluves de latakia, fuyez vite et loin parce que le Pirate Kake s’adresse exclusivement aux latakiophiles purs et durs. C’est vrai qu’il y a du cavendish burley et du tabac turc, mais avec son étonnant 70% de latakia, ce cake ne fait pas exactement dans la dentelle.

Le Pirate Kake est livré en pavés pressés, mais qui le sont nettement moins que des plugs. Il est en effet très facile d’en détacher des morceaux et de les émietter à la main. C’est pour cela que ce genre de pavé est connu sous le nom de crumble cake. Certes, il y a des brins brun clair, mais évidemment c’est le brun foncé et le noir qui dominent. Le degré d’humidité convient à un allumage immédiat. Quant à l’odeur, ben devinez.

Attention, le maniement du tabac salit sérieusement les mains. En outre, pendant qu’on triture le morceau, il faut veiller à trouver la texture idéale : si l’on insiste trop, on obtient de la poussière de tabac et si l’on n’émiette pas suffisamment, il reste des fragments qui rendent la combustion difficile. D’ailleurs, si vous vous voyez forcé de rallumer plus que d’habitude, ne soyez pas surpris. C’est ce qui m’arrive également.

70% de latakia et pas de confortable assise de virginias, ça risque d’être rêche, de sérieusement manquer de douceur et de gaver le plus fanatique amateur de latakia. Et pourtant, il n’y en a rien. Bien sûr que c’est monolithique, bien sûr que le latakia règne en maître, mais ça ne devient jamais caricatural. Au contraire, grâce au cavendish et à la qualité du latakia, c’est finalement assez doux et velouté avec un sympathique petit côté épicé et piquant dû au tabac turc. Et, ô surprise, malgré l’intensité des saveurs fumées, ce bombardement chypriote ne fatigue nullement le palais. Certes, ce n’est pas un sommet de subtilité et il ne faut pas s’attendre à une évolution intéressante, mais c’est tout simplement savoureux, du début à la fin. A condition d’aimer le latakia, cela va de soi.

Bref, chapeau bas. A fumer à la fin d’un bon repas hivernal, avec un café bien tassé.

Mac Baren, HH Vintage Syrian

Je déteste à peu près tout ce que produit Mac Baren. D’accord, dans leur ample portefeuille on trouve ici et là un mélange passable, mais la plupart des blends sont gâchés par des virginias qui mordent comme des chiens enragés et par une écœurante sauce mielleuse. Dès lors, à la sortie du Vintage Syrian, le fana de la divine herbe syrienne que je suis, craignait le pire : à coup sûr, ces terribles Vikings auraient férocement violé ma Dulcinée. Aussi, le tout premier allumage fut-il un choc.

Mais avant de continuer, il convient de parler de Greg Pease. Dans mon parcours personnel il y a fondamentalement deux phases : l’époque pré-Pease et l’ère post-Pease. Pendant des années, j’ai vécu dans l’ignorance la plus crasse. J’avais évidemment fumé plusieurs mélanges présumés contenir du latakia syrien, mais je ne voyais pas très bien en quoi cette herbe-ci se distinguait de sa cousine chypriote. Puis, j’ai découvert quelques mélanges de monsieur Pease et de Cornell & Diehl au latakia syrien dont la personnalité originale me surprenait. Est arrivé le jour où le blender américain a sorti son magnum opus : le Bohemian Scandal, son hommage au tabac syrien. Et là, c’était rien moins qu’une révélation. Une gifle en pleine poire qui vous sort sec de votre torpeur. Je venais de découvir la grandeur et le faste de l’authentique shekk-el-bint, le seul, l’unique. Depuis, c’est mon graal personnel. A la même époque, grâce à un ami américain qui travaillait pour Smokers’ Heaven, j’ai pu goûter le shekk-el-bint de Pease à l’état pur. Divin ! Quelques jours plus tard, c’est le désastre. Le stock entier de latakia syrien de G.L. Pease et de Cornell & Diehl part en fumée dans un incendie. Il n’en reste plus rien. D’accord, McClelland en dispose encore, mais plutôt que de faire des blends qui mettent en exergue l’opulence de cette herbe magique, les McNeil la dégradent au rang de simple condiment.

Mais voilà donc que quelques années après le sinistre qui a frappé Greg Pease et Craig Tarler, Mac Baren lance son HH Vintage Syrian. Un tabac qui se veut un véritable hommage à la diva syrienne. Presque 50% de shekk-el-bint ! Là, on est loin du condiment. Pour le reste, il y a des herbes turques, divers virginias en provenance de trois continents et du dark fired kentucky. Et ni arômes ni sauces.

Dans ce mélange où l’on découvre à la fois des brins dorés et noirs, ce sont l’acajou et le brun foncé qui dominent. Avec ses odeurs de terre humide, de sous-bois, mais surtout avec ses effluves empyreumatiques qui rappellent davantage l’encens que le feu de camp, le nez est fait pour plaire aux latakiophiles. Appétissant comme tout.

Je vous disais que le tout premier allumage fut un choc. Parce que dès la première bouffée, mon palais retrouvait avec surprise et satisfaction les typiques saveurs du shekk-el-bint qui constituent l’âme du fabuleux Bohemian Scandal. Je ne m’y attendais absolument pas, mais il fallait se rendre à l’évidence : contrairement à tous ces producteurs qui prétendent utiliser du latakia syrien alors que le goût de leurs blends ne confirme en rien cette affirmation, Mac Baren travaille bel et bien avec une matière première authentique et noble. Quand je contacte Greg Pease à ce sujet, il me répond qu’il donnerait sa main droite pour pouvoir travailler avec cette herbe : Mac Baren a su mettre la main sur un stock âgé et mûr de shekk-el-bint de la toute meilleure qualité.

Maintenant, des années plus tard, à chaque fois que je mets le feu à une pipée de Vintage Syrian, je continue à vivre comme un moment magique : à l’instant même où le tabac s’allume, mon palais est gorgé d’une fumée riche, extrêmement aromatique, avec un parfait équilibre entre une évidente douceur sucrée, une acidité tonique et une note amère. Et c’est toujours avec le même bonheur que je salue la si typique saveur d’encens dont la fascinante complexité est impossible à décrire. C’est original, c’est déroutant, ça n’a rien à voir avec le goût du latakia chypriote.

Ce mélange est un vrai blend, c’.-à-d. que les différents tabacs collaborent intimement, ne cherchent ni à se démarquer, ni à prendre le dessus et, par conséquent, réussissent à former une unité harmonieuse et équilibrée. D’ailleurs le pourcentage élevé de latakia est parfaitement intégré dans l’ensemble et plutôt que de rouler des mécaniques, il brille par son élégance. Bien que ce tabac fumé et épicé soit bourré de goût, il n’est ni fort, ni lourd. Pour certains il pourrait même manquer de corps. C’est en quelque sorte une version light du Bohemian Scandal. Et ça, c’est le plus beau compliment qu’on puisse faire à ce Mac Baren atypique.

Grâce au HH Vintage Syrian, je suis prêt à pardonner à peu près tout au producteur danois. Je lui tire même ma révérence.

Samuel Gawith, 1792 Flake

Ce qui est sûr et certain, c’est que, tout comme l’Erinmore, le 1792 Flake est un tabac qui ne laisse pas indifférent : on l’aime ou on le déteste. Remarquez que ce n’est pas le premier tabac en provenance du Lake District qui prête à controverse : certains raffolent des virginias parfumés, dominés par des notes qu’ils disent florales, d’autres sont horripilés par ce genre d’aromatisation qu’ils qualifient de savonneuse. Or, cette fois-ci le responsable de la discorde est tout différent : il s’agit de la fève tonka de laquelle on extrait une huile riche en coumarine, un puissant aromate qui selon les uns aurait un goût vanillé, alors que les autres lui attribuent un parfum et une saveur de musc.

Quoi qu’il en soit, il convient d’ouvrir une parenthèse. Avant de continuer, il faut savoir que la fève de tonka n’est rien d’autre qu’un pis-aller. Dans un passé pas si lointain où la rentabilité n’était pas encore un fétiche, les blenders se servaient des feuilles séchées du carphephorus odoratissimus, communément appelé en anglais soit deer tongue (langue de cerf), soit vanilla leaf (feuille de vanille), pour donner à leurs mélanges un goût à la fois vanillé et musqué. C’était l’ajout de ce deer tongue qui, à l’époque, rendait le semois de chez Windels incomparable et insurpassé. Les saveurs complexes et nuancées de cette herbe sauvage étaient tellement fascinantes que pendant des années je n’ai fumé que du semois de Windels. Aucun autre tabac ne me comblait à ce point. Or, la cueillette de cette plante sauvage et le tri à la main des feuilles séchées sont bien évidemment coûteux en main-d’oeuvre et par conséquent, pour des raisons purement financières, la magique petite plante a fini par être foulée aux grosses bottes de la fève tonka.

Je pourrais bien sûr vous entretenir de la composition du 1792, de la façon particulière dont le tabac est préparé, de son comportement au cours du fumage. Je n’en ai pas envie. Ce sera à un autre que moi de le faire, non pas parce que les tabacs employés seraient de piètre qualité, bien au contraire, mais parce que, moi, je trouve l’aromatisation tellement envahissante et écœurante que je préfère m’abstenir. Le 1792 a la subtilité et la finesse d’un véhicule Hummer en plein centre-ville. Pour moi, le 1792 incarne le tape-à-l’œil, le bling-bling, l’ersatz, la vulgarité. Il n’est donc absolument pas étonnant que ce soit justement ce Samuel Gawith-ci qui se vend le mieux.

HU Tobacco

Joschi’s Oriental Sunrise

Le descriptif sur la boîte explique que cette mixture a été faite pour un copain au caractère calme et doux qui n’aime pas l’esbroufe. Et bien, ce tabac doit convenir à merveille à ce monsieur paisible et discret. Malgré le nom un tantinet trompeur du mélange, il ne faut donc pas s’attendre à une bombe orientale qui fait exploser votre palais de mille arômes exotiques. Certes, ce blend contient du samsoun, mais il sert uniquement de condiment. Et c’est pareil pour le perique dont je n’arrive pas à distinguer la présence au cours du fumage. D’ailleurs, dans la boîte où domine le fauve, les brins noirâtres sont extrêmement rares. Clairement, le cœur du mélange est un virginia doré en broken flake renforcé par du kentucky burley.

Plutôt que de tenter avec plus ou moins de succès de décrire ses saveurs, je préfère me limiter à l’essentiel. L’âme du Joschi’s Oriental Sunrise se résume en trois mots-clés : douceur, équilibre, art du blending. En effet, du début à la fin, ce tabac se montre aimable, suave, bon enfant. Difficile de trouver moins agressif et moins assertif que lui. Ce tabac chuchote plutôt qu’il ne vous parle. Pour comprendre toutes les nuances des paroles murmurées, il faut donc du calme et un esprit attentif. C’est alors que vous découvrirez son équilibre irréprochable : nul goût ne domine, aucune composante ne roule des mécaniques, tout est en parfaite harmonie. Et ça, mes amis, c’est le véritable art du blending. Ce n’est pas du virginia. Ce n’est pas du kentucky. Ce n’est ni samsoun ni perique. C’est du tabac. Du très bon tabac qui n’épate pas la galerie mais qui ne lasse jamais. C’est le parfait exemple de ce que nos amis anglophones appellent un « all day smoke ». S’il vous faut à tout prix des sensations fortes, passez votre chemin, mais si vous cherchez un fidèle compagnon réservé et capable de retenue, n’hésitez pas une seconde.

Récemment Hans Wiedemann m’avouait qu’il n’était pas fumeur d’aromatiques et que dès lors, au moment de la création d’un blend aromatisé, il était obligé de se fier davantage aux jugements de ses amis amateurs d’aros qu’aux siens. Mais, ajouta-t-il, certains mélanges de sa série The Blender’s Pride, il les aimait bien, notamment à cause de la qualité des tabacs employés. Comme je n’ai toujours pas abandonné l’espoir de dégoter un jour un aromatique qui me plaise vraiment, je me suis précipité pour tester les favoris de monsieur Wiedemann.

Herbal Fruit

La composition de ce tabac m’étonne. Combiner une aromatisation fruitée avec un dark fired kentucky en broken flake, tabac puissant aux notes terreuses, boisées et fumées, relève du défi. L’aspect presque noir de ce mélange n’est donc pas dû à la présence d’un black cavendish, mais au dark fired kentucky. Le nez est très fruité mais je n’arrive pas à déterminer de quels fruits il s’agit. Je sens également des épices et un fond sucré du genre caramel ou sirop d’érable. Tout ça me rappelle certains thés aromatisés et il faut dire que c’est bien agréable.

L’allumage est un vrai plaisir. A l’instant même où les brins prennent feu, le palais est enveloppé d’une fumée riche, veloutée, fruitée et sucrée. C’est ample, c’est crémeux, ça a du corps et de la force. En contrepoint de la sucrosité, je décèle des notes salées et acides et une petite amertume au fond de la gorge. Cette impressionnante ouverture est profondément satisfaisante.

Après quelques minutes, le fruité et le sucré commencent à se retirer du devant de la scène et l’amertume s’amplifie. Cette évolution, je ne l’aime pas. Remarquez que je ne suis pas du genre facilement intimidé par l’amertume. Pardi, je raffole de madirans 100% tannat ! Mais, je n’y peux rien, quand je veux une friandise, je veux une friandise. Et quand pour une fois j’apprécie vraiment une aromatisation, je veux qu’elle dure.

Bref, soudain le tabac me déplaît et j’ai envie de déclarer forfait. Cependant, je continue. Parce qu’il faut le dire, le Herbal Fruit avec son corps noble de tabac de qualité ne devient pas dégueulasse comme tant d’autres aros. D’ailleurs dans le dernier tiers, l’amertume est domptée, le fruité s’efface davantage encore et le kentucky prend le dessus. La finale n’est pas mauvaise.

Un exercice de style intéressant, mais je me demande si les arômes fruités et épicés ne se seraient pas sentis plus à l’aise sur une assise de virginias naturellement doux.

Out of Africa

Du burley, des virginias foncés, du perique. Encore un broken flake dominé cette fois-ci par le brun foncé. Un nez appétissant basé sur des odeurs de cassonade ou de sirop de candi avec dans le fond des notes discrètes fruitées ou florales.

L’allumage n’est rien moins que prodigieux : les papilles gustatives sont bombardées d’une saveur intense, chaleureuse, envoûtante où l’on retrouve la cassonade et le sirop de candi, mais également et surtout un mystérieux et fascinant parfum entre le floral et le fruité. Serait-ce l’effet de l’hibiscus mentionné dans la description ? Quoi qu’il en soit, je suis bouleversé par cet ensemble déroutant et délicieux à la fois.

Il y a suffisamment d’acidité pour que le sucré ne devienne pas écœurant et dans le fond de la gorge il y a une amertume épicée bien présente. Peut-être un peu trop.

Deuxième acte. La frustration. La saveur si envoûtante s’estompe et se dissout petit à petit. Reste un goût de tabac avec des notes chocolatées et épicées. Du bon tabac, certes, mais qui n’arrive pas à chasser le souvenir du début grandiose.

Finale. L’amertume s’intègre mieux dans l’ensemble, les saveurs des tabacs s’intensifient et se fondent, la fascinante aromatisation fait une dernière apparition sous forme de réminiscence.

Je le dis et je le répète : si c’est pour apprécier à leur juste mesure des tabacs de qualité, à coup sûr je m’offrirai des mélanges naturels. Ce que je cherche dans un aromatique, c’est avant tout quelque chose qui satisfasse une envie de friandise. Et cette friandise, je veux la goûter du début à la fin. Est-ce tellement demander ?

J’en ai discuté avec Hans Wiedemann et il a éclairé ma lanterne. Ce qu’il cherche à faire avec ses aromatiques se trouve à l’opposé de ce que moi, j’en attends. Et justement, Herbal Fruit et Out of Africa illustrent parfaitement la vision et les objectifs de Wiedemann. Pour lui, il est impératif qu’un mélange aromatisé puisse satisfaire un amateur de tabacs naturels. Pour cela, il travaille exclusivement avec des tabacs de qualité qui, loin d’être d’insipides éponges d’arômes ajoutés, ont du caractère. En outre, il refuse de cacher leur personnalité sous une couche douceâtre et fruitée. Il cherche donc à mettre en avant les tabacs et à se servir de l’aromatisation comme d’un condiment destiné à assaisonner le blend, mais sans aucunement le dominer. Et dès lors, les premières bouffées de Herbal Fruit ou d’Out of Africa complètement gorgées de sucre et d’arômes fruitées que moi, j’apprécie tant, lui, il les trouve peu intéressantes. Pour lui, ce n’est qu’une phase par laquelle il faut passer pour enfin découvrir, une fois que la sucrosité et le fruité se sont retirés dans les coulisses, l’âme de ses mélanges : du tabac, du vrai, avec son côté épicé et son amertume. Une vision des choses plus que respectable, mais hélas pour moi, pas la mienne.

Casablanca Feeling

Du brun dans toutes ses déclinaisons, du doré à l’acajou. Un nez discret, aromatisé avec retenue. Un peu de caramel ou de sirop d’érable, un petit côté terreux. Une impression de douceur bon enfant. Je me crois parti pour un virginia broken flake dont la sucrosité naturelle sera simplement renforcée par l’aromatisation.

L’allumage est donc une surprise. Il est vrai que les virginias s’avèrent doux à souhait, mais en plus il y a un joli petit accent poivré et surtout un côté citronné qui donne de la fraîcheur et de la finesse à l’ensemble. C’est élégant, d’autant plus qu’apparaissent de temps à autre de délicates notes florales qui ne sont pas sans rappeler les parfums des tabacs du Lake District, mais en version subtilement civilisée. Cette fois-ci l’amertume est parfaitement maîtrisée et reste dans le fond.

Petit à petit le caramel s’efface pour laisser la place au caractère plaisant et floral du virginia et à la fraîcheur citronnée. Cette combinaison fonctionne : c’est joyeux, c’est estival, sans pour autant être superficiel. Une réussite.

Terminons par une annonce. Dans un avenir proche, Hans Wiedemann introduira deux nouveaux mélanges. Des virginia/perique, à ses dires sa spécialité. J’ai eu le privilège d’en goûter des échantillons. J’y reviendrai en temps voulu, mais dès à présent je peux vous dévoiler que ces blends valent le détour. Edward G composé de plusieurs VA/perique foncés et pressés comblera à coup sûr les amateurs de ce genre de blend, alors que Director’s Cut fait à base d’un curly cut m’a réellement enthousiasmé par son punch revigorant qui n’est pas sans rappeler à la fois le vénéré Three Nuns et le Dark Birdseye de Gawith & Hoggarth. A suivre.