Un déjà-vu. Ou plutôt un déjà-senti. Les odeurs qui émanent de la boîte fraîchement ouverte, me rappellent clairement celles du Tullagreme House N° 2 et en conséquence également celles du Golden Sliced d’Orlik (Font-ils un tabac ? n°29). Je ne me trompe pas. Sur le site web de Falkum c’est écrit noir sur blanc : la composition du 6 est quasi identique à celle du 2. La seule différence serait que le 6 contiendrait plus de sucres naturels.
Au niveau visuel, l’Orlik et les deux Falkum paraissent des clones : mêmes couleurs, même présentation sous forme non pas de flakes découpés, mais de longues ceintures enroulées. D’ailleurs la dégustation le confirme : je retrouve les goûts de bergamote, d’abricot et de musc, l’acidité toujours présente, les épices qui apportent de la chaleur, un arrière-goût que je juge chimique. Je note cependant qu’à cause de la teneur en sucre plus élevée, l’acidité semble davantage amadouée, ce qui résulte en une fumée légèrement plus ronde.
Pour le reste, je n’ai rien de nouveau à signaler. Tout comme ses frères, le 6 n’arrive pas à me convaincre à cause de cet arrière-goût et de ses saveurs prononcées et persistantes qui finissent souvent par me gaver.
Je sais que ce jugement est subjectif et un tantinet sévère. Je ne prétends pas que c’est un mélange raté. Ce n’est pas ma tasse de thé, voilà tout. D’ailleurs, vu la popularité du Golden Sliced, il existe de toute évidence une clientèle qui devrait prendre plaisir à fumer du Tullagreme House N° 6.
Cinq dégustateurs ont coté le Big Coin sur Tobaccoreviews. Tous les cinq lui ont accordé le score maximal de 4 sur 4. Ça promet.
Selon la source qu’on consulte, le Big Coin serait soit une alternative à l’Escudo, soit carrément un clone du légendaire VA/perique en rondelles. Il m’a suffi d’ouvrir la boîte pour pouvoir trancher : ce n’est sûrement pas une copie de l’Escudo puisque les médaillons sont beaucoup plus foncés. En plus, je ne retrouve pas au nez les typiques odeurs de figues sèches épicées. Ici, plutôt que les fruits secs, on sent le côté moisi du perique, de l’acétone et une bonne dose d’acidité volatile. A côté du nez extraverti, flatteur et affriolant de l’Escudo, celui du Big Coin paraît plus discret et surtout moins invitant. C’est déjà nettement moins prometteur.
Les médaillons sont assez humides et collants. En bourrant il faut donc faire attention à ne pas tasser trop, sinon on risque d’obtenir une masse compacte qui s’éteindra continuellement. L’allumage terminé, il n’y pas plus aucun doute : l’Escudo et le Big Coin sont bien différents. A l’instant où j’ai découvert l’Escudo, j’ai eu le coup de foudre. Maintenant, c’est la douche froide.
Le goût de figues et de raisins secs si typiques de l’Escudo est totalement enterré sous une couche d’acidité incisive et d’épices vraiment piquantes. Quasi instantanément cet assaut me fatigue le palais et me procure une sensation désagréable en bouche. Mes muqueuses se mettent à picoter et ma langue devient râpeuse. Pourtant il est évident que le Big Coin contient une bonne dose de sucre, mais elle se montre impuissante face à la vague de causticité. En continuant le fumage, je me rends compte que ce n’est pas une vague. Non, c’est un tsunami qui emporte avec lui toute saveur.
Je tombe rarement sur un tabac aussi terriblement déséquilibré et revêche. Jamais, mais alors jamais je ne suis arrivé à fumer d’un trait une pipe de Big Coin. Et même en prenant des pauses pour lécher mes blessures, le fumage tenait de la torture.
Une alternative à l’Escudo ? Celui qui a inventé ça mérite une bonne paire de baffes. Et le quatre sur quatre alors ? Selon moi, il doit s’agir d’une conspiration de fumeurs masochistes
Après 47 ans de fumage de la pipe, j’en suis venu à conclure qu’en fin de compte il y a deux catégories de tabacs qui m’émeuvent vraiment.
D’une part, il y a les mélanges exceptionnels, à nuls autres pareils qui ont tant de présence et de personnalité qu’ils me renversent. A chaque fois que je les fume, Ils m’exaltent et m’inspirent une béate admiration. Je pense à certaines créations en provenance du Lakeland, à quelques monuments de McClelland ou au Bohemian Scandal de Greg Pease. On pourrait donc penser que dans un monde idéal je ne perdrais pas mon temps avec des blends moins grandioses pour ne fumer que ces merveilles-là. Seulement voilà, dans ce bas monde cette supposition est fausse et pour une raison très simple : ces divas ont une personnalité tellement exubérante, pour ne pas dire envahissante, que je ne les supporte qu’à petite dose. Pour moi, ce sont des tabacs que je sors les grands jours, mais absolument pas des all day smokes. En cela ces bombes gustatives ressemblent au caviar Beluga ou à la truffe blanche d’Alba.
D’autre part, il y a les mélanges dont la personnalité se trouve à l’opposé du panache virtuose et du caractère exigeant de la diva. Ce sont de véritables amis fiables et loyaux à qui je peux toujours faire appel. Ils ne sont pas bavards, ils ne cherchent pas à s’imposer et ils ne mendient pas à tout instant mon attention, ce qui fait que leur présence ne me pèse jamais. Ne voyez cependant pas en leur modeste discrétion une preuve d’un caractère terne et effacé. Au contraire, ils sont si équilibrés et sereins et ils ont tellement d’assurance qu’ils ne ressentent nullement le besoin d’épater la galerie. Plutôt que du charisme, ils rayonnent une force tranquille qui me rassure et me réconforte. Le Bijou s’est montré le parfait exemple de ce genre de tabac. J’en suis ravi.
Le Bijou fait partie de la Cellar Series, une gamme de mélanges destinés à être encavés. Il est indiqué sur la boîte que l’apogée estimée se situe entre 10 et 15 ans. La base du blend est un virginia rouge millésimé 2003 en provenance de la Caroline du Nord. S’y ajoutent du virginia blond canadien, du katerini et un peu de miel. Le tout est âgé avant d’être pressé, puis découpé en broken flakes.
Comme le katerini n’est pas un ingrédient commun dans nos mélanges, je vous rappelle que c’est un tabac cultivé en Macédoine. De là le nom grec. De l’autre côté de la frontière, en Turquie, on trouve la même variété qui porte là un nom nettement plus connu : le samsun. Quand l’omniprésent JimInks affirme sur Tobaccoreviews que le Bijou contient du Turkish Katerini, il se goure donc.
Les broken flakes contiennent des fragments dorés, mais ce sont les diverses déclinaisons du brun qui dominent. Ils sont souples sans être humides, ce qui correspond au style de la maison. Le nez est fort introverti : je sens un peu d’acidité volatile et pour le reste une odeur terre à terre de tabac qui ne m’inspire pas d’associations particulières. Pas de trace de miel d’ailleurs, ce qui me réjouit.
Il ne me faut que quelques bouffées pour savoir que ce tabac est un bijou. L’équilibre et l’harmonie sautent aux yeux : voici un ensemble homogène et serré dans lequel les ingrédients engagent une conversation civilisée avec des propos mesurés. C’est la voix nuancée du katerini qui s’exprime en premier. Je perçois du boisé, mais également par moments des saveurs qui me rappellent le cigare et les tabacs bruns . Les virginias répondent avec retenue : ils sont doux mais pas opulents, ils contiennent des notes acides mais sans aucune aigreur, ils sont épicés mais sans devenir piquants. Quant au miel, il ne prend pas la parole, mais se borne à soutenir silencieusement la douceur des VA.
Ceci dit, on se rend compte pendant le fumage que plutôt que les saveurs, ce sont le velours et la densité de la fumée qui font la différence. Cette fumée, on pourrait en manger. Et c’est là qu’on comprend l’importance du virginia trié sur le volet et longuement maturé. Quand Cornell & Diehl a lancé la Cellar Series à l’occasion du Chicago Pipe Show de 2016, ce virginia rouge avait été stocké pendant treize ans. Aujourd’hui il est âgé de pas moins de vingt et un ans. Ce n’est pas tous les jours que nous avons l’occasion du fumer un VA aussi mûr.
En cours de route, le virginia blond fait sentir sa présence, ce qui fait que les acides s’expriment davantage sur le citronné, alors que les épices gagnent en ampleur, mais pour le reste la fumée reste stable du début à la fin. À condition d’avoir réussi le bourrage et de trouver le rythme de tirage approprié, le plaisir perdure longtemps. Quant à la puissance, ce n’est pas un mélange qui vous étourdit, mais il contient tout de même suffisamment de vitamine N pour vous procurer une sensation de plénitude.
Certes, l’épine dorsale du Bijou est faite d’un VA millésimé et longuement maturé, mais ce sont avant tout le doigté et la finesse avec lesquels Jim Reeves a composé son mélange qui ont donné naissance à un petit chef-d’œuvre dont personnellement je ne me lasse pas. À stocker sans réserves, d’autant plus que ce blend est destiné à être encavé et qu’en outre, il est disponible en Allemagne et en Suisse.