À l’époque où le Black Parrot était commercialisé sous la bannière d’Ashton, je n’étais pas exactement fan. Pendant une décennie ou deux je n’en ai donc plus acheté. Voyons ce que ça donne aujourd’hui.
C’est toujours la même maison qui le produit, notamment Kopp Tobaccos, et c’est toujours la même liste d’ingrédients : du virginia, du perique et du carolina, présentés sous forme de ready rubbed flakes. Je ne comprends donc pas pourquoi le producteur imprime fièrement sur la boîte le terme special cut et je ne comprends pas non plus pourquoi le carolina est mentionné séparément puisque c’est une variante de virginia.
Quand j’ouvre la boîte, il s’en échappe une vague d’acidité volatile. Ensuite je découvre un nez agréable de VA/perique : pain d’épices, fruits secs. En humant plus profondément, je note que le côté vinaigré n’a pas complètement disparu.
Le tabac est assez humide. Je bourre quand même une pipe sans séchage préalable et il s’avère que la combustion n’en souffre pas. Pas de surprise en bouche : on reprend le thème du nez. Pendant un instant. Très vite se manifeste une combinaison d’amertume et d’acidité poivrée qui empêche le côté figue et raisins secs de dorloter le palais. Le fumage devient tout de suite déplaisant et écœurant. Je me demande si cette mauvaise expérience est due à la Cherepanov dont je me sers, vu qu’elle ne brille pas exactement par sa douceur. J’arrête donc le fumage et je choisis une arbousier de Tristan laquelle adore le virginia et le VA/perique. Cette fois-ci l’agression que subit le palais est moins marquée, mais on est toujours loin de l’équilibre de l’Escudo ou des Navy Rolls. Il n’y a tout simplement pas assez de sucre pour apprivoiser l’acidité et l’amertume. Il est donc clair que la qualité des virginias laisse sérieusement à désirer. Je termine la pipe, mais sans éprouver de plaisir.
Peut-être qu’il faut tout de même aérer et sécher le tabac. Je laisse donc la boîte ouverte pendant 24 heures. Le lendemain, le tabac n’est plus humide et je bourre une horn de Paolo Becker et ensuite une dublin de David Enrique. D’emblée il s’avère que le séchage a été bénéfique : mon palais n’est plus pris d’assaut par une fumée acerbe. Ceci dit, ce n’est toujours pas un tabac qu’on peut qualifier de rond. Côté saveurs ce n’est pas la gloire. Elles ne sont pas mauvaises, mais elles manquent de caractère. Bref, tel qu’il se présente maintenant, le Black Parrot est un VA/perique anodin. Il faut tout de même mentionner que dans le dernier tiers le goût s’intensifie et que par intermittence les fruits secs épicés pointent le nez. Mais ce n’est qu’une piètre consolation. Trop peu trop tard.
De l’autre côté de l’Atlantique, le Black Parrot était produit sous licence par McClelland. Je peux vous garantir qu’avec les virginias et l’authentique St. James Parish perique qu’employait Mike McNiel, c’était un VA/perique autrement plus réussi.
Au cours des années, j’ai dégusté une dizaine de blends de l’écurie Robert McConnell. Je ne peux pas dire qu’ils soient tous mauvais, mais force m’est de constater que seul l'Oriental a su m’enthousiasmer. (Font-ils un tabac ? n°71) Pour moi c’est donc une marque fort médiocre. Et ce n’est sûrement pas le Black Parrot qui me fera changer d’avis.
Il m’a fallu lire le descriptif sur le site web de Pfeifendepot pour me rappeler pourquoi le fan de curlies que je suis n’avait jamais acheté ce mélange. J’ai immédiatement compris la raison : outre du virginia et du kentucky, le blend contient du cavendish (bof) et du miel de forêt (bof bof). Pourvu que ce ne soit pas un aro doucereux !
En ouvrant la boîte, je suis immédiatement rassuré. Le nez n’a rien d’un aro. Au contraire, c’est l’odeur torréfiée du kentucky qui saute au nez au point d’évoquer le fumé du latakia. Cette déferlante empyreumatique passée, le calme s’instaure et le nez s’assagit. Désormais il se montre équilibré et fort discret, ce qui fait qu’on sent un tout qui s’exprime en sourdine et où de légères odeurs de pain s’entremêlent avec de délicates notes grillées. Le miel, je ne le sens aucunement. Quant au cavendish, les couleurs brunes et dorées des petits curlies indiquent qu’il a été employé avec parcimonie. Ce n’est qu’ici et là qu’on perçoit un fragment noir. En vérité, la taille et les teintes des rondelles me rappellent le Three Nuns.
La faible hygrométrie permet de bourrer une pipe sans séchage préalable. Les premières bouffées correspondent parfaitement au nez : pas de goût mielleux, mais des saveurs feutrées de virginia qui explore le thème panaire, pointées de délicats accents toastés de kentucky. Après l’allumage, c’est la flatteuse douceur de l’ensemble qui domine le palais, mais bientôt elle est complétée par des acides poivrés qui rendent la fumée plus incisive et plus virile. Certes, cette évolution rend la fumée plus complexe, mais personnellement j’aimais davantage la tendre caresse initiale faite de douceur sans aucune lourdeur.
En cours de route, l’acidité épicée est quelque peu amadouée par le sucre, mais elle continue tout de même à dominer la fumée, ce qui fait que j’ai le palais qui picote et que je me sens gavé.
Si je ne peux pas dire que le Curly Cut soit une création ratée, il me semble manquer d’équilibre. En plus, je ne crois pas qu’il soit en mesure de combler l’amateur de VA/kentucky. En tout cas pas cet amateur-ci. Mac Baren par exemple nous procure plusieurs mélanges qui font un emploi autrement plus convaincant de l’herbe torréfiée.
Le nom du mélange se réfère à l’œuvre littéraire de H.P. Lovecraft dans laquelle Kadath est le nom d’une montagne où résident les dieux du rêve.
Le blend se présente sous forme de plug composé de grands morceaux de feuilles de tabac. On y découvre une myriade de couleurs, ce qui n’est pas étonnant quand on connaît la liste des ingrédients : virginia, burley, black cavendish, perique, dark fired kentucky et katerini. C’est le genre de composition qui me rend nerveux : pour harmoniser tout ça, le blender doit nécessairement procéder avec doigté, sinon c’est la cacophonie. En tout cas, ce n’est pas le genre de mélange dont on trouve treize à la douzaine.
Mon chat l’a bien compris. Alors que d’habitude l’ouverture d’une boîte de tabac le laisse de marbre, cette fois-ci le pschitt odorant lui fait immédiatement relever la tête et le voilà qu’il se met à renifler longuement la boîte ouverte. Il est vrai que les arômes qui en émanent sont fascinants et qu’à chaque fois que je hume, mes impressions changent. Ainsi il m’arrive de sentir du thé de Ceylan, de la terre humide, du moisi, de l’engrais chimique, de l’alcool, du cacao, du fromage, des notes empyreumatiques et des odeurs fruitées qui, elles, seraient dues à un léger topping. C’est le genre de nez qu’on peut inhaler pendant des minutes, tant il intrigue.
Vu la taille des fragments de tabac, il faut nécessairement découper de fines tranches et les émietter suffisamment, sinon la combustion sera problématique. D’autant plus que contrairement aux habitudes de la maison, le tabac est passablement humide. Avant de passer au bourrage, le choix de la pipe mérite un moment de réflexion : avec tant d’ingrédients il n’est pas évident de sélectionner une pipe dédiée à tel ou tel genre de tabac. Moi, j’ai opté pour des pipes dédiées au virginia ou au VA/perique.
D’emblée je suis impressionné par le velouté de la fumée et par la complexité et l’harmonie des saveurs. Il y a du sucre et de l’acidité. Il y a de l’amertume et de la salinité. Il y a des épices et un léger piquant. Il y a du citron et des fruits secs. Il y a du grillé et du boisé. Il y a de la croûte de pain et des noisettes. Et tout ça sans heurts ni couacs.
Le tabac se consume tranquillement et sans aucunement agresser la langue. Certes, ce n’est pas un tabac léger, mais contrairement à ce que je lis ici et là, je ne le trouve pas particulièrement puissant. Par contre, les saveurs sont denses et intenses, ce qui fait que le Dreams of Kadath n’est pas un tabac qu’on peut fumer à longueur de journée. S’il est vrai qu’en cours de route on peut découvrir des changements d’accent et que tout à la fin les saveurs s’assombrissent et produisent même un petit goût fumé, fondamentalement ce n’est pas un mélange vraiment évolutif.
Il est rare de tomber sur un blend qui contient autant d’ingrédients. Je tire mon chapeau à Jim Reeves pour avoir magistralement réussi à les équilibrer. Le Dreams of Kadath n’est rien moins qu’un tour de force et un brillant exemple de ce qu’est l’art du blending. C’est en effet un rêve.