Font-ils un tabac ? n°150

par Erwin Van Hove

30/12/24

Schneiderwind, Mixture N° CC1

Schneiderwind, Mixture N° CC1Pour tout pipophile qui se respecte, une visite à Aix-la-Chapelle équivaut à une visite au somptueux magasin de Schneiderwind. Les sédentaires, eux, peuvent se consoler avec une visite au site bien étoffé : Schneiderwind GmbH & Co. KG. Outre les tabacs à pipe d’une bonne vingtaine de marques, le webshop propose également 35 tabacs maison. Qui ne sont pas faits maison. Si les étiquettes sobres sont uniformes, les boîtes de 100 grammes ne le sont pas : les unes ont des couvercles à visser, les autres des couvercles à enlever au moyen d’un objet servant de levier. Cela semble indiquer que Schneiderwind fait appel à au moins deux producteurs différents. Lesquels ? Sûrement Kopp, mais pour le reste je n’en ai aucune idée et je n’ai trouvé aucune information à ce sujet. Même sur Tobaccoreviews où l’on trouve des revues de plusieurs mélanges Schneiderwind, la case « Manufactured by » est systématiquement laissée vide.

En ouvrant la boîte, on comprend immédiatement le nom prosaïque du blend : CC1 se réfère à la coupe curly cut. Par leur taille les petits médaillons rappellent le Three Nuns, mais pas par leurs couleurs. Il est vrai que les blonds, les dorés et les bruns ressemblent aux teintes des nonnettes, mais le CC1 contient également des fragments noirs. Cela est dû à la présence de black cavendish. Pour le reste, le blend est composé de virginias et de burley.

Les odeurs de foin et de toast dominent, mais je décèle également du caramel et une note vaguement fruitée et tout au fond une légère odeur de chocolat au lait. Pendant que je hume, je me dis que le black cavendish a dû être saucé, malgré le fait que Schneiderwind nie toute forme d’aromatisation.

Ni trop secs ni trop humides, les curlies sont prêts à être bourrés. Quelques bouffées suffisent pour sentir monter la déception. Il est vrai que le goût, qui rappelle le nez, n’est pas mauvais, mais je n’ai pas l’impression de fumer un tabac pure nature. La saveur de caramel et l’arrière-goût fruité ne me semblent pas provenir des virginias mais plutôt du cavendish aromatisé. En outre, la sensation en bouche n’est pas des plus agréables. La fumée manque de velouté et développe un épicé piquant et acide qui frise la morsure.

La chaleur en bouche, l’acidité incisive et le goût carré sans nuances ni variations me fatiguent le palais. Finir d’un trait le bol est donc davantage une corvée qu’un plaisir, d’autant plus que la combustion s’avère très lente.

Dans la tradition du blending germano-danois, le black cavendish est sytématiquement soumis à un sauçage. D’ailleurs, dans le descriptif Schneiderwind qualifie son cav de « früchtig » (fruité). Cela étant, je ne comprends pas pourquoi le CC1 est présenté comme un mélange sans aromatisation. Moi, je me sens dupé.

McClelland, Syrian Super Balkan

McClelland, Syrian Super BalkanMa boîte date de 2006, deux ans après que Greg Pease, Craig Tarler et Mike McNiel avaient réussi ensemble à importer un stock de latakia syrien de la meilleure qualité. Vous le savez, fin 2004 GLP et Cornell & Diehl ont perdu leur part du tabac dans un incendie d’entrepôt. Par conséquent, après ce drame seul McClelland était encore en mesure de sortir des mélanges contenant de l’authentique shekk-el-bint. L’un de ces blends était le Syrian Super Balkan, le frère du Syrian Full Balkan lequel a fait l’objet d’une revue en 2014 : Font-ils un tabac ? n°37.

Outre le latakia syrien, le Syrian Super Balkan contient des virginias, des tabacs d’Orient et du perique. Je vois surtout du noir. Il ne faudrait pas en conclure que le latakia et le perique sont surdosés. La couleur foncée est plutôt due aux virginias rouges étuvés. Le nez le confirme d’ailleurs. Je sens avant tout du virginia typiquement mcclellandien et des arômes vineux et c’est uniquement au moment de l’ouverture de la boîte que je perçois l’odeur si particulière du shekk-el-bint. Ensuite on la devine plus qu’on ne la sent. Quant aux orientaux et au perique, ils jouent à cache-cache.

Malgré son âge respectable de 18 ans, le tabac n’est pas asséché. Au contraire, l’hygrométrie est parfaite. Je me rappelle que le Syrian Full Balkan préférait nettement les pipes dédiées au latakia syrien à celles dédiées au VA. Je choisis donc une Jack Howell, une Paul Bonacquisti et une Adam Remington élevées au shekk-el-bint. Dès le début je note que le goût correspond au nez : le goût du red virginia domine et le latakia syrien avec sa saveur d’encens pointe le nez à travers l’assise aigre-douce, vineuse et boisée. Bref, le Syrian Super Balkan n’a pas été fait avec la volonté d’accorder au shekk-el-bint le rôle de star. L’herbe précieuse se comporte comme un joueur d’équipe qui s’intègre harmonieusement dans un ensemble qui charme plus qu’il n’impressionne.

Il va de soi que les 18 ans d’encavement ont fait leur travail et qu’en conséquence la fumée présente un remarquable fondu rond. Certes, il y a de l’acidité et un certain épicé mais ils sont polis et adoucis par le temps. Bref, tel qu’il se présente aujourd’hui, le Syrian Super Balkan est un modèle d’équilibre et de fusion réussie des ingrédients, ce qui fait que je n’arrive pas à mettre le doigt sur l’apport des orientaux et du perique. Ceci dit, dans une Claessen dédiée au VA, les saveurs des orientaux mixent un cocktail avec le latakia.

Le mélange prouve que goût prononcé et puissance ne sont pas synonymes : si les saveurs sont intenses, la force se situe dans la moyenne. A partir de la deuxième moitié, les acides épicés font davantage sentir leur présence, mais sans jamais fatiguer le palais. Pour le reste le tabac se distingue davantage par sa stabilité que par son évolutivité : il reste rond, fondu et harmonieux jusqu’à la fin. Voilà de quoi est capable un tabac bien fait qui a atteint son apogée. Une fois de plus la patience paie.

Bref, le Syrian Super Balkan est sans conteste un mélange réussi. N’empêche que je ne peux m’empêcher de formuler un regret. A mon avis, un tabac aussi rare et aussi éblouissant que l’authentique shekk-el-bint mérite des mélanges créés dans le but de le mettre en évidence. Cornell & Diehl avec le Black Dawg et Greg Pease avec le Bohemian Scandal l’ont bien compris. En revanche, les quatre mélanges au latakia syrien de McClelland que j’ai goûtés, à savoir le Rose of Latakia, le 3 Oaks Syrian, le Syrian Full Balkan et le Syrian Super Balkan, sont tous plutôt des reflets du style maison de Mike McNiel basé sur ses plantureux virginias rouges que des hommages au latakia syrien. Pour moi, ça frise le gâchis.

Cornell & Diehl, Exhausted Rooster

Cornell & Diehl, Exhausted RoosterCoq épuisé. Quel nom pour un tabac ! Et quel graphisme d’un goût douteux ! Remarquez que chez C&D on aime bien ce genre de dessins caricaturaux et de noms loufoques. Ainsi ils vendent également de la Vache mauve, du Chien de dépotoir, de l’Ours aux pattes arquées et du Grillon qui louche.

L’Exhausted Rooster est un flake composé de virginias, de dark fired burley et de perique, créé à l’occasion du Chicago Pipe Show de 2008. La boîte que je m’apprête à ouvrir date de 2014.

Les flakes ne sont que légèrement pressés puisqu’ils n’ont pas conservé leur forme. Je détecte uniquement des bruns allant du fauve jusqu’au marron foncé. Le nez est intense, agréable et assez surprenant : pas la moindre odeur empyreumatique malgré le tabac dark fired, mais au contraire un nez assez fruité sur le cidre ou la pomme séchée, accompagné d’une odeur de noisette qui me fait penser que le blend contient également du burley qui n’a pas été torréfié. En humant plus longuement le moisi du perique ainsi qu’un peu d’acidité volatile se font sentir.

Le tabac ne nécessite pas de séchage et les broken flakes se transforment aisément en longs brins à la coupe assez large. Les premières bouffées s’avèrent fort plaisantes : les virginias sont sucrés mais contrebalancés par des acides qui n’ont rien d’acerbe, le fruité se trouve sur le devant de la scène et se montre plus complexe qu’au nez : la pomme séchée est accompagnée à la fois d’une note citronnée et de saveurs de fruits à l’alcool. D’ailleurs, alors que ce n’est pas indiqué sur la boîte, Tobaccoreviews mentionne la présence d’un alcool mais sans spécifier lequel. Par contre, je ne décèle toujours pas de notes grillées, mais plutôt le côté terreux et noisetté d’un burley classique. Le perique a manifestement été employé comme condiment : ce n’est qu’après quelques minutes de fumage qu’il fait son apparition. Il se borne à épicer le fruit, sans pour autant abuser du moulin à poivre, et à tisser un léger voile de saveur marécageuse.

Je dois dire que je trouve l’idée d’ajouter du burley, qu’il soit dark fired ou pas, à un VA/perique vraiment intéressante, d’autant plus que l’exécution est parfaitement réussie. La fumée est équilibrée, ample, goûteuse à souhait et même si elle n’est pas particulièrement évolutive, elle n’ennuie nullement. Elle n’attaque pas les muqueuses, mais sa puissance se situe clairement au-dessus de la moyenne. Ce n’est donc pas un tabac à fumer l’estomac vide.

Un coq épuisé ? Du tout. Il est plein de vigueur et son cocorico est triomphal. Chaudement recommandé.