Font-ils un tabac ? n°91

par Erwin Van Hove

18/11/18

McClelland, Blue Mountain (Balkan Blue)

McClelland Blue Mountain

Quand en 2011, le Black House de Russ Ouellette a gagné le Balkan Sobranie Throwdown, McClelland a remporté le prix du public avec son Blue Mountain. S’inspirant d’une boîte de Balkan Sobranie 759 âgée de 21 ans, le Blue Mountain se présente comme a classic full Balkan pipe tobacco mixture. Voyons ça.

À l’ouverture de ma boîte datant de 2012 me sautent au nez une insistante senteur de latakia et un typique arôme de virginia mcclellandien. Pas de traces d’herbes d’Orient. Et même quand je hume longuement, j’en décèle à peine, enfouies qu’elles sont sous une épaisse couche d’odeurs de fumé, de caoutchouc brûlé et d’acidité volatile sur des notes balsamiques. A première vue, c’est donc encore un de ces typiques mélanges anglais qui veulent se faire passer pour des Balkan blends. Si ce constat me déçoit, force m’est d’admettre que le nez de cet anglais américain est vraiment invitant : on sent que la fumée sera ronde et opulente et que le virginia de très grande qualité réussira à apprivoiser le caractère impérieux d’un latakia huileux, extraverti et employé à forte dose.

Je ne me trompe pas. D’emblée une fumée riche, ronde, grasse et bourrée de goût m’emplit la bouche. Il y a du fumé, bien sûr, mais aussi de la réglisse, du clou de girofle, du boisé, du sel. C’est donc clairement le lakakia qui domine le goût. Par contre, on sent que la structure aigre-douce du mélange est définie par des virginias qui ont de la carrure, qui sont parfaitement matures et qui s’expriment sur des tonalités voluptueusement sombres en parfaite harmonie avec le latakia. Quant aux tabacs orientaux, ils sont tout simplement absents. Du moins au début. Après le premier tiers, ils pointent le nez, mais timidement et en jouant à cache-cache. Disons qu’ils vont et viennent sur la pointe des pieds. Mais même s’ils ne roulent pas des mécaniques, ils finissent par rendre les saveurs de la fumée à la fois plus vivaces et plus complexes.

Ainsi le tabac atteint sa vitesse de croisière et enclenche alors le pilote automatique jusqu’à la fin. Bref, il ne faut plus s’attendre à une évolution notable. Mais c’est pour le mieux, parce que mon Blue Mountain bien mûr est déjà tellement rond et profond et intense qu’il serait déplacé d’en remettre une couche.

McClelland Blue Mountain

Le secret d’un grand mélange anglais étant la qualité des virginias employés, le Blue Mountain est une réelle réussite qui porte clairement le seing de McClelland. Je vous le recommande chaudement. Mais si c’est un authentique Balkan blend que vous cherchez, je ne sais pas s’il fera l’affaire.

Une dernière remarque : en 2015 le nom du mélange a été changé en Balkan Blue.

Chacom, n° 4

Chacom n° 4

Je vais m’abstenir de faire des commentaires sur le graphisme des boîtes que vient de lancer Chacom. Je vais même vous épargner mes sarcasmes au sujet du coq gaulois qui orne une boîte de tabac made in Germany. Par contre, je ne vais pas vous cacher que je n’ai jamais aimé cette manie des chiffres dont souffrent certaines marques. Je vous le demande : qu’est-ce que vous préférez fumer ? Un numéro 4 ou bien un Baby’s Bottom, un Bayou Morning ou un Bohemian Scandal ? Un peu de créativité, pardi !

L’échantillon qui m’est parvenu, contient trois flakes aux teintes assez claires. Ce VA/perique semble donc fait avec des virginias blonds et avec un minimum de perique. Le nez le confirme : on sent à peine une trace de l’herbe louisianaise et les virginias dégagent une odeur fine, élégante et discrète de pâtisserie avec une pointe épicée qui me rappelle le vadouvan. Les tranches de tabac ne sont pas trop humides et pourtant ils sont assez collants quand je les transforme en brins.

La première chose qui me frappe après l’allumage, c’est la sensation en bouche de la fumée qui me semble fluette et manquer de velours. Ensuite, je constate la légèreté du mélange : le taux en nicotine est assez faible et les saveurs se développent en sourdine. Un VA/perique pour débutants. Petit à petit, je décèle un petit goût de croûte de pain, une note citronnée, une subtile touche de fruits secs et un épicé léger, mais agréable. A ce stade-là du fumage, le point fort du mélange est sa structure : les sucres et les acides se tiennent en équilibre.

Après ces débuts timides, le tabac se met à évoluer. Le citronné prend le dessus, le vadouvan se transforme en poivre et les acides prennent le pas sur les sucres. Si le goût s’en voit intensifié, en même temps il perd en nuances pour devenir passablement monolithique. Arrive une phase où ma bouche s’emplit d’un goût de cendre. Elle dure et me pèse jusqu’à la finale quand les saveurs s’assombrissent et prennent davantage de profondeur. Quand je dépose enfin ma pipe, je constate que j’ai la langue rêche et un arrière-goût de cendre au fond de la gorge.

Le Chacom N° 4 n’est pas un grand VA/perique. Il a certaines qualités, mais il a aussi d’évidentes tares. Quand il n’y a pas d’autre VA/perique disponible, il peut dépanner, mais quand on a le choix, je comprendrais mal qu’on opte pour ce tabac anodin et perfectible.

TAK, Dörk‘n Berger

TAK Dörk‘n BergerJe n’y peux rien. Bien que neuf fois sur dix il s’avère décevant, chaque fois que je découvre un mélange qui contient du tabac à cigare, il me le faut. Je vous avoue donc qu’en lisant la composition du Dörk’n Berger, j’ai ressenti une excitation certaine : une base de virginias et de white burley rehaussée de dark fired virginia, de perique et de tabac à cigare.

Le tabac étant livré en vrac, je découvre à travers le sachet en plastique transparent un mélange brun clair et marron avec des accents anthracite. En regardant de plus près, je distingue des brins de taille classique, des morceaux de feuille et ici et là des curlies. L’odeur qui me saute au nez quand j’ouvre le sachet, est fort agréable et me transporte immédiatement dans mon enfance : c’est le palier du grenier de mes grands-parents où ils conservaient les pommes de leur jardin. Quel dommage que cet arôme s’évapore assez rapidement. Ceci dit, je n’ai pas vraiment le droit de me plaindre : se développent alors de délicates odeurs à la fois terreuses, légèrement herbacées, discrètement fruitées et finement épicées qui forment un tout cohérent. C’est un nez introverti mais prometteur.

On peut passer sans tarder au bourrage, vu que le tabac est passablement sec. Les premières bouffées sont riches en goût et illustrent le savoir-faire du blender : le burley affiche son caractère naturellement austère, mais les virginias l’adoucissent juste ce qu’il faut ; le fond terre et foin est coloré de flashs chocolatés et fruités ; le perique et le tabac à cigare collaborent intimement pour relever le tout avec retenue. Je tire mon chapeau à monsieur Darasz.

Passé le premier tiers, tout dépend de la bouffarde. Dans plusieurs pipes, la remarquable symbiose entre les divers ingrédients se perd. Reste alors un fumage que je ne peux pas qualifier de mauvais, mais qui devient nettement moins intéressant. La magie disparaît. Dans d’autres pipes, l’équilibre entre sévérité et douceur et l’harmonie entre les différentes saveurs se conservent jusqu’à la finale. Ce n’est pas une règle absolue, mais j’ai constaté que le Dörk’n Berger tend à mieux se présenter dans une pipe dédiée au virginia que dans celles réservées au burley.

Conclusion : le Dörk’n Berger est un mélange plaisant et finement ciselé dans lequel le tabac à cigare est parfaitement intégré. Dommage qu’il se montre difficile face aux partenaires qu’on lui propose.