Du blond, du fauve, de l’acajou, du marron et ici et là du noir. Les couleurs confirment le descriptif du Montgomery : une mixture de divers virginias avec une pointe de dark-fired kentucky. Jamais à court de mots, Pease la qualifie de riche, subtile, complexe, sophistiquée et nous confie que son blend est le résultat d’un procédé spécial retrouvé dans des archives. Je vous le répète : Greg Pease est un as du marketing.
À l’âge de cinq ans, le tabac a un nez extraverti et impressionnant, très américain. Ces arômes forment un tout chaleureux et opulent qui s’exprime à la fois sur le vineux et sur l’umami (vinaigre de tomates, cube bouillon). En humant longuement, on découvre même une touche de viande fumée. Force m’est d’admettre que côté olfaction, Pease ne nous a pas menti.
Après l’allumage, le palais est cajolé d’une fumée parfaitement harmonieuse dans laquelle la douceur marquée des virginias de grande qualité est contrebalancée par des acides nobles. Sur ce tapis d’aigre-doux viennent batifoler des accents de fruits secs, de noisettes, de toast et de grillé. S’ajoute à cela une petite amertume qui complète l’ensemble. C’est riche, subtile, complexe et sophistiqué.
Le tabac se consume gentiment et sans encombres, les virginias sont aussi agressifs qu’un chiot en peluche et la vitamine N est du genre civilisé. Arrive la finale dans laquelle tout se concentre et s’approfondit pour nous combler au plus haut point.
Tel qu’il se présente après cinq ans d’encavement, le Montgomery est un mélange dont l’équilibre, la richesse et la complexité doivent nécessairement satisfaire les amateurs de virginia les plus exigeants. C’est en tout cas l’un des tout meilleurs VA que j’ai dégustés ces derniers temps. Un petit bijou.
Vous savez que Daniel Schneider, patron de Synjeco, fait faire ses mélanges maison dans le Lakeland. Pas étonnant donc qu’il propose plusieurs ropes. Celui baptisé Clegir Rope est du genre qu’on appelle communément pigtail, queue de porc, parce qu’il n’a qu’un diamètre d’un centimètre tout au plus. Il est livré en vrac sous forme d’un long rouleau et composé à 100% de virginia.
À l’âge de cinq ans, mon tabac ne ressemble plus guère au rope vendu par Synjeco, tellement il a foncé. Le blondinet de la photo est désormais marron avec des mèches châtain. Le pigtail est passablement humide, ce qui permet de découper des rondelles qui restent intactes mais qu’il faut laisser sécher. La pile de curlies dégage une odeur réconfortante de boulangerie-pâtisserie traditionnelle. Je sens notamment du pain de campagne frais, des crêpes et de la crème anglaise. Par ailleurs, ces effluves sont si ronds et câlins que d’ores et déjà je sais avec certitude que m’attend une fumée voluptueusement crémeuse.
Et pourtant je me trompe parce que voici ce qui se passe : sitôt allumé, le tabac se met à produire une fumée caressante et douce qui véhicule des saveurs de pain, de sucre bâtard et de citron. Des saveurs qui ne s’expriment pas sur un ton jubilatoire, mais qui me chuchotent tendrement à l’oreille. Béatement, je m’apprête à me laisse bercer quand soudain la sonnerie du clairon me sort de ma torpeur : voilà que charge la cavalerie. Déferle alors une vague acide, piquante et saline qui m’emplit complètement la bouche. Je vous garantis que ça vous réveille un homme.
Ensuite, tout dépend de la pipe. Et c’est kif kif. Dans celles où le Clegir se sent à l’aise, juste au moment où je commence à penser que cet assaut est un tantinet exagéré, la fumée trouve un équilibre entre sucre, acide, poivre et sel, alors que le citronné épicé prend le dessus sur les saveurs de boulangerie. Si l’acidité marquée chasse le velours du début et rend la structure plus virile, elle est revigorante plutôt que caustique. Par contre dans celles que le rope refuse comme partenaire, l’acidité devient désagréable, mord les muqueuses et étouffe les sucres.
Je constate à chaque fumage qu’une fois que le tabac a opté pour un des deux scénarios, ce choix est définitif, d’autant plus qu’il n’y a pour ainsi dire aucune évolutivité. Bref, si c’est mal parti, ça ne s’arrange plus. Quant à la puissance, rien à signaler : évidemment ce pigtail en provenance du Lakeland n’est pas léger, mais il n’a rien à voir avec ces ropes qui vous assomment.
Voilà donc un pigtail caractériel qui fait la fine bouche devant les pipes qu’on lui propose. Le résultat est frustrant : la moitié des fumages ne procure guère de plaisir. Et c’est dommage parce que quand s’opère la symbiose entre contenant et contenu, le Clegir Rope est un tabac énergique et tonifiant qui ne cache pas ses origines et qui doit plaire à tout amateur de virginia musclé, à l’ancienne.
L’appétissant pavé fauve-brun est composé non seulement de burley, mais aussi de virginia et de kentucky. Il dégage une odeur fascinante avec des accents médicamenteux, liquoreux et floraux qui me surprend, mais sans m’inspirer confiance. J’ai du mal à croire que ce que je sens est pure nature. Je suis d’autant plus surpris que les quelques revues que je trouve sur le web, semblent décrire un tout autre mélange avec de typiques arômes de terre, de noisette, de chocolat. Y aurait-il un manque d’uniformité ?
Le cake se casse facilement à la main et après un court moment de triturage, j’obtiens des brins de petite taille avec un degré d’humidité qui ne nécessite aucun séchage. Les premières bouffées confirment mes impressions olfactives : le médicamenteux et le liquoreux sont bien là, mais en même temps je perçois maintenant la saveur du burley et du kentucky. Ce n’est pas mauvais, mais d’emblée deux phénomènes captent mon attention et finissent par m’écœurer : d’une part, la fumée est trop sucrée pour un burley blend et d’autre part, une sorte de chaleur assez acide et piquante qui me rappelle des vapeurs d’alcool, m’enveloppe le palais. J’ai de plus en plus de mal à croire que je suis en train de fumer un mélange naturel.
Vérification faite, il semblerait que je sois le seul dégustateur à faire état de ces tares. Pourtant, mes notes de dégustation prises au cours d’une demi-douzaine de fumages ne varient pas. Elles sont d’ailleurs très concises, ces notes, parce qu’il ne se passe pas grand-chose : les saveurs restent constantes et pour le reste, il n’y a rien de particulier à mentionner.
Ce Burley’s Crumble me déçoit. Et ce n’est pas nouveau : les deux autres burley blends de Thomas Darasz dégustés précédemment, je ne les ai pas appréciés non plus. Pour moi, il est clair que le Kaiser du burley reste Hans Wiedemann.