Font-ils un tabac ? n°89

par Erwin Van Hove

24/09/18

TAK, Warp 17/12

Voilà un beau mélange de différentes coupes allant de ribbons fins à des morceaux de feuilles XL. Pas mal de blonds et de fauves, divers bruns, de l’anthracite. Un nez assez discret mais appétissant : du foin, de la noix, de la levure, du malt, du moisi et quelque chose de vaguement fruité. Si Thomas Darasz y a ajouté une pincée de kentucky, c’est fondamentalement un blend virginia/perique. Avec beaucoup de perique : 25%. C’est du lourd. Ça risque donc de pétarader ferme, d’autant plus que je goûte le tabac un mois seulement après sa livraison.

Surprise. Le Warp 17/12 n’a rien d’une grenade au perique qui explose en bouche. Au contraire, c’est un mélange équilibré et civilisé qui produit une fumée riche et assez crémeuse, et qui n’imite ni le style de l’Escudo, ni celui de l’ancien Three Nuns. Je découvre de multiples saveurs, notamment de la noix, des notes terreuses, du pain, du poivre, une pointe de grillé, une touche de cigare hollandais, un zeste d’encens, un fruité discret. L’acidité, l’amertume et l’épicé du perique sont contrebalancés par les virginias de qualité qui apportent juste ce qu’il faut de sucre. Le tout n’est donc pas du genre opulent, mais s’exprime avec beaucoup de naturel et avec droiture.

Le tabac se consume gentiment, sans accrocs et sans s’attaquer à la langue. Si les goûts sont virils, voire un tantinet sévères, côté force, le Warp 17/12 ne sort jamais ses griffes. Certes, ce n’est pas un tabac pour nicotinophobes, mais il reste posé.

Sans aucun doute, le point fort du mélange, c’est son évolutivité. En cours de route, il nous tient sur le qui-vive avec ses variations et permutations et à la fin il nous régale d’une finale intense dans laquelle le toasté, le fruité et l’épicé se fondent en un tout convaincant.

Le Warp 17/12 ne correspond peut-être pas aux grands modèles du genre. N’empêche que c’est un VA/perique qui non seulement tient la route, mais qui, en plus, arrive à intriguer. Pour cette raison, il ne plaira pas à tous, mais personnellement, j’ai été agréablement surpris par son évidente personnalité. Avec ce mélange original et bien fait, Thomas Darasz prouve qu’il n’a pas froid aux yeux.

Cornell & Diehl, Pegasus

Malgré son nom quelque peu prétentieux, le Pegasus est un simple burley blend à l’ancienne composé par feu Bill Runowski, grand spécialiste ès burleys. Du white, du dark et du cube cut burley en forment le squelette, alors que deux virginias et du black cavendish non saucé apportent de la chair.

C’est vrai : on découvre ici et là du virginia blond et du cavendish noir, mais ce sont clairement les bruns des burleys qui dominent le mélange. Le nez surprend : pas de noisette, pas de chocolat. Certes, une odeur de humus, mais avant tout des arômes umami sous forme de cube de bouillon et de champignons. Les brins conservés en bocal sont souples sans être humides.

Dès l’allumage, le Pegasus révèle son identité : voilà un burley blend honnête et simple, mais très bien équilibré. Les virginias apportent juste ce qu’il faut de douceur et un petit goût citronné, le cavendish développe son typique toasté, alors que les burleys s’expriment sur les céréales. Le tout n’a rien de complexe, les saveurs évoluent à peine. Pourtant, force m’est d’admettre que j’apprécie beaucoup la franchise et le caractère pur et naturel du Pegasus. Rien à signaler côte force : il y a suffisamment de vitamine N pour nous satisfaire et pas un milligramme de plus.

Runowski a réussi à conserver le caractère strict du burley, tout en l’amadouant avec la dose exacte de tabacs contenant plus de sucres. Le résultat est un burley blend sans chichi, dans la tradition américaine auquel on revient avec plaisir. Loin du spectaculaire, le Pegasus est un all-day-smoke pour amateurs de burley. A mon avis, c’est même l’un des burley blends les plus convaincants de la vaste gamme de C&D. Recommandé.

HU-Tobacco, Asmara

Si mon amour des mélanges anglais a péri, je continue à adorer les oriental blends. Je regrette d’ailleurs que, tout compte fait, il y en ait si peu. Vous imaginez donc aisément mon enthousiasme quand voici quelques années, j’ai appris que Hans Wiedemann, un de mes blenders préférés, venait de lancer un oriental. Pourtant, j’ai réussi à patienter sagement pour permettre au mélange de mûrir deux ans. Voilà que le jour J est arrivé.

Avant d’ouvrir la boîte, je lis la recette : des virginias blonds et rouges, du perique, une pincée de latakia et puis, bien sûr, une bonne dose de tabacs d’Orient. C’est une mixture en ribbon cut avec différentes couleurs, dans laquelle les fauves et les brun clair dominent. Moi qui m’attends à ces arômes si typiques des herbes du Levant, c’est-à-dire élégants, vivaces, enjôleurs et complexes, arômes que j’ai l’habitude de qualifier d’espiègles, je me sens immédiatement déçu. Je décèle la petite note empyreumatique du latakia, l’épicé poivré du perique, mais rien d’espiègle. Les orientaux s’expriment sur un boisé sombre qui se trouve à mille lieues de l’enjôleuse vivacité. Ah bon. Je commence à me méfier.

Hygrométrie parfaite, donc allumage sans aucun problème. D’emblée je me sens frustré : où sont passées les notes aigües, la fraîcheur, la joie de vivre des tabacs turcs ? C’est automnal et morne et si sérieux. Et tellement boisé. On dirait un vin surboisé, lourd et sans vie. Ce goût de cercueil est assombri encore par les notes funèbres du latakia et par le poivre du perique. Quant aux virginias, je ne les goûte pas. Par contre, je les sens. Parce que quand je ne fais pas attention, ils se mettent à me mordiller la langue. Il ne manquait plus que ça.

Je suis tellement désenchanté que je perds toute motivation pour pousser plus loin l’analyse. Finir la pipe est une corvée suffisamment exigeante et par conséquent je n’arrive plus à m’intéresser de près à des facteurs tels que l’évolutivité ou la puissance. Vous m’en excuserez.

3,7 sur Tobaccoreviews. Un score du tonnerre. Je n’y comprends vraiment rien. Quoi qu’il en soit, il démontre une fois de plus à quel point nos jugements en matière de dégustation sont foncièrement subjectifs. Qui sait, il se peut que l’Asmara vous procure un réel plaisir. Moi, je vais panser mes blessures. Et ouvrir un oriental espiègle.