Font-ils un tabac ? n°80

par Erwin Van Hove

08/01/18

Mac Baren, Roll Cake

Du Club Blend au Dark Twist et du Stockton au Roll Cake, j’aime tous les spun cut de Mac Baren. Je n’y peux rien et je persiste. Je dis ça parce que selon les scores sur Tobaccoreviews, ce sont des tabacs fort médiocres. Le Roll Cake par exemple obtient une piètre note de 2,7. Le reproche qui lui est le plus souvent fait, c’est qu’il mord plus vite que son ombre.

N’avez-vous jamais remarqué qu’un étrange phénomène entoure les tabacs Mac Baren ? Prenons en guise d’exemple leur Virginia N°1. Sur Tobaccoreviews, 36 dégustateurs le jugent carrément infumable, tant ils ont souffert de tongue bite. En conséquence ils lui accordent une seule étoile, le score le plus bas, rarement attribué dans ce lieu d’habitude indulgent. C’est d’ailleurs le score que j’aurais moi-même donné à l’époque où j’ai essayé ce virginia : en deux tours trois mouvements ma langue était transformée en steak haché. La conclusion serait donc évidente si 48 autres dégustateurs n’étaient pas tellement enthousiastes qu’ils ont décerné au Virginia N°1 le score maximal de 4 étoiles. A les lire, ce serait même l’un des meilleurs virginias au monde. Quant au tongue bite, ils ne comprennent absolument pas de quoi parlent de petites natures dans mon genre. Je vous le disais : un étrange phénomène. Que confirme mon parcours personnel. Il y a vingt ans, j’ai essayé plusieurs mélanges populaires de Mac Baren. Tous ces tabacs avaient pour moi deux choses en commun : d’une part un mièvre topping mielleux qui me dégoûtait et d’autre part une tendance à mordre comme un chien enragé. Mac Baren était à l’instant devenu ma bête noire et pendant deux décennies j’ai donc soigneusement évité la gamme entière. Jusqu’au jour où le blender danois a sorti son grandiose hommage au shekk-el-bint, le HH Vintage Syrian, qui m’a immédiatement conquis. Par la suite, j’ai découvert avec plaisir les autres mélanges de la série HH et enfin la gamme des spun cut. Aucun de ces Mac Baren ne m’a plus jamais causé le moindre problème de tongue bite.

Et voilà que je lis que le Roll Cake semble infumable à d’autres, même à des dégustateurs chevronnés et connaisseurs. Il semblerait donc que l’effet lance-flammes des tabacs Mac Baren existe toujours mais que personnellement je sois passé de la catégorie des brûlés vifs à celle des langues en amiante. Mais pour quelle raison ? Est-ce qu’au cours de 40 ans de fumage de la pipe, ma langue s’est endurcie ? Certes. N’empêche qu’il m’arrive encore aujourd’hui de tomber sur des tabacs qui la mettent en feu. Est-ce que ma technique de fumage s’est améliorée ? Sûrement. Mais je suppose que les dégustateurs expérimentés mentionnés ci-dessus savent eux aussi bourrer et fumer une pipe dans les règles de l’art. Reste donc une seule explication possible : l’anatomie et la physionomie de la cavité buccale. Sans aucunement prétendre à la moindre connaissance dans ce domaine, il me semble évident que des facteurs tels l’innervation de la langue, le nombre de papilles, le pH de la bouche et surtout l’écosystème hautement individuel et variable dans le temps qu’elle contient, jouent un rôle déterminant. Y a-t-il un médecin dans la salle ? Ce serait un beau sujet d’article pour le site.

Mais revenons à nos oignons. Le Roll Cake donc. Comme ses trois frères, il se présente sous forme de curlies composés de feuilles entières de virginia récolté à la main remplies d’un cœur qui contient des virginias, un peu de burley et surtout du kentucky transformé en cavendish. C’est ce dernier qui est responsable du style maison de la petite famille des spun cut façon Mac Baren et qui se veut une alternative au perique pour conférer aux virginias une dose de oumf. Le nez est plutôt du genre introverti : foin, une touche de pruneau et puis le typique grillé du kentucky. Ce thème est d’emblée repris par les premières bouffées : du virginia bien doux, dopé qu’il est au sucre d’érable cuit dans l’eau, de la mélasse, de la réglisse et de belles notes toastées façon cigare Toscano. C’est agréable, voire flatteur sans être mièvre. Mais bientôt ça s’épice : des acides plus marqués, quelques gouttes de tabasco. Si un espiègle picotement acidulé se fait sentir, il n’a rien à voir avec la fameuse morsure. Rien à craindre non plus côté vitamine N. C’est un mélange léger. Plutôt que d’évoluer vers une finale spectaculaire, le Roll Cake joue sur les variations tout au long du fumage. Notamment le kentucky cavendish va et vient en vagues.

Le Roll Cake n’est pas un chef-d’œuvre qu’il faut avoir goûté à tout prix. Il se peut même qu’il soit légèrement en-dessous des trois autres spun cut. N’empêche que c’est un tabac agréable dont l’équilibre sucré/acide bon enfant doit plaire aux débutants. C’est également un bon mélange pour découvrir la saveur typique du kentucky sans risquer l’overdose.
Trois étoiles. Na.

Mac Baren, Amphora Full

Me voilà pris d’un soudain accès de nostalgie. L’achat d’une pochette d’Amphora, c’est en quelque sorte un retour aux origines. Parce qu’il y a quarante ans, à l’époque où je me suis mis à la pipe, les tabacs hollandais occupaient une bonne partie des rayons des civettes de la Flandre de mes 18 ans. Et l’un des mélanges les plus populaires était l’Amphora Full Aroma, communément appelé Amphora rouge. Il était alors encore produit en Frise par Douwe Egberts, aujourd’hui le deuxième producteur mondial de café. En 1998, quand l’entreprise a vendu tous ses intérêts dans le secteur du tabac à Imperial Tobacco, l’Amphora est resté frison, mais en 2006 tout change : désormais il est produit sous licence par Mac Baren. Enfin, en 2015 les Danois finissent par racheter la marque.

Comme si souvent, les descriptions des divers sites web ne se recoupent pas. Tous mentionnent des virginias, du burley et du kentucky. Quelques-uns également des orientaux. Pareil pour le topping : d’après les uns il s’agit de chocolat et d’orange, d’autres parlent de fruits rouges et de saveurs florales, et puis il y a ceux qui énumèrent à la fois de l’orange, de la framboise, du chocolat et des fleurs. Mon nez à moi décèle une odeur de cavendish à la hollandaise, le toasté du kentucky, de la terre, du pain et puis de légers arômes qui hésitent en effet entre le fruité et le floral. Ce qui frappe avant tout, c’est que ce n’est absolument pas un aro vulgaire et m’as-tu-vu, mais au contraire un blend aux arômes subtils, complexes et équilibrés. Il s’agit d’un mélange de brins et de morceaux de broken flakes dont les couleurs vont des blonds et des tons miel aux divers bruns. Ni humide ni collant le tabac est prêt à être fumé.

Il est clair dès les premières bouffées que ce n’est pas un tabac pour moi. Il me faut des sensations plus fortes, en particulier davantage de vitamine N et des saveurs plus naturelles et plus prononcées. Ceci dit, je m’empresse d’ajouter que l’Amphora Full n’a pas grand-chose en commun avec le typique aro contemporain. Ici le tabac n’est pas réduit au simple rôle de vecteur d’arômes artificiels. Au contraire. L’aromatisation est discrète et elle s’harmonise vraiment avec les tabacs. Les typiques saveurs de foin et de pain des virginias, le côté terreux du burley et le grillé du kentucky ne sont donc nullement cachés. Seulement ils sont entrelacés avec de subtiles saveurs de chocolat noir, d’agrume, de framboise. A aucun moment on n’a donc l’impression de fumer un tabac qui s’est posé comme objectif de goûter la sauce aux fruits. D’ailleurs, après l’entrée en matière, la palette des saveurs s’élargit : arrivent les épices sous forme d’une note poivrée et d’accents furtifs de clou de girofle et de noix de muscade, de petites vagues de mélasse et une dose d’acidité qui empêche les sucres de dominer. Bref, le mélange est fort bien équilibré. Par conséquent, c’est un aro que même les inconditionnels du pure nature peuvent fumer sans être immédiatement dégoûtés.

Pas de reproche non plus côté combustion : le tabac se consume lentement, sans produire de jus, sans mordre et sans devenir amer. Personnellement, j’aurais préféré une fumée plus veloutée, mais c’est une critique que je pourrais formuler à l’égard de beaucoup de mélanges. Au cours du fumage, je dois même revoir ma position initiale : la fumée gagne en force et les saveurs s’expriment avec plus de franchise. Par contre, une fois que les saveurs mentionnées ci-dessus se sont développées, elles ne changent plus vraiment, ce qui fait qu’à la longue je perds intérêt.

Conclusion ? Sans conteste, l’Amphora Full est un aro respectable qui se trouve aux antipodes des typiques bombes à la cerise ou à la vanille. Ce n’est pas pour autant que je m’apprête à m’en constituer un stock. Disons que le jour où je me trouve en panne de tabac dans une petite ville de province aux civettes mal achalandées, c’est le genre de pochette qui pourrait me sortir d’affaire.

Gawith, Hoggarth & Co, Balkan Mixture

1302. La bataille des Eperons d’Or. La noblesse française hissée dans son armure pimpante et montée sur son fier destrier se fait massacrer par des milices improvisées de piétaille flamande. C’est l’association qui s’impose dans mon esprit tordu au fumage de ce humble bulk qui remet à leur place une ribambelle de balkans huppés conditionnés en boîtes chichi. On ne peut pas le dire assez : le secret d’un grand anglais ou d’un balkan qui sort du lot, c’est la qualité des virginias. Or, chez Gawith & Hoggarth, à ce niveau-là, on est royalement servi.

Après quatre ans et demi de vie en bocal, les brins courts et fins sont restés souples, voire plutôt humides. La mixture dégage des arômes agréables et harmonieusement fondus par le temps : un léger parfum Lakeland, un coup d’encensoir, une discrète touche fumée. La proportion de noir par rapport aux tonalités brunes ne laisse pas de place au doute : le Balkan Mixture n’a rien d’une bombe au latakia.

L’allumage surprend : on n’est pas encore dans les saveurs balkaniques. C’est d’abord le virginia très doux, crémeux et floral qui occupe le terrain. Immédiatement après se développent des saveurs de fumé, de cuir, d’encens et de champignon qui finissent pas trouver leur place dans un ensemble d’un bel équilibre. L’apport de chaque ingrédient est aisément reconnaissable, mais les virginias, le latakia et les herbes d’Orient travaillent intimement ensemble pour nous concocter un cocktail balancé et savoureux avec une finesse certaine. Côté structure on retrouve le même équilibre : une douceur agréable mais jamais sucrée, une pincée de sel, quelques gouttes de tabasco, une jolie note acide et juste ce qu’il faut d’amertume.

Malgré son humidité, le tabac se consume sans encombres pendant que les saveurs précises et bien définies évoluent gentiment vers une plus grande intensité qui tapisse la bouche d’un film de délices balkaniques. Rien à signaler côté force : la vitamine N s’exprime avec modération.

Franchement, ce tabac m’impressionne. D’une part parce cette mixture noble est un simple bulk, d’autre part par son incontestable harmonie qui réussit à se rapprocher des grands balkans d’antan. Ce Balkan Mixture prouve avec autorité que dans le Lakeland on ne fait pas que des virginias sortant de l’ordinaire. Disponible également en boîte.

Gawith Hoggarth & Co Balkan Mixture