Accountant. Black Gold. Checkmate. City’s Own. Gardens Blend. Park Avenue. Queen Mary. Ships Wheel. Snow Flake. Tapistry. Wolverine. Yorkshire. Voilà une douzaine de house blends disponibles sur le marché américain. Aux Etats-Unis, toute civette qui se respecte propose en effet sa propre gamme de mélanges. Or, neuf fois sur dix ces mélanges soi-disant maison sortent tout droit des catalogues de grosses boîtes spécialisées dans la production en masse. Tenez, les douze house blends que je viens de citer se distinguent les uns des autres exclusivement par leur nom. En vérité, il s’agit simplement de l’aro en vrac le plus vendu aux Etats-Unis : le 1-Q de Lane. En Allemagne on retrouve exactement les mêmes pratiques, mais là ce sont Kohlhase & Kopp et Planta qui livrent la marchandise.
Je me sens appelé à vous soumettre ces faits pour que vous compreniez le respect que j’éprouve à l’égard de Daniel Schneider qui, lui, fait faire tous ses mélanges maison par les blenders du Lakeland. Bref, chez Synjeco pas de mélanges médiocres sans personnalité ni d’aros de qualité douteuse. Uniquement des tabacs naturels composés et manufacturés par des maisons qui sont synonymes de tradition et d’excellence. Chapeau !
Bad Nun. Le nom du mélange risque d’induire en erreur puisqu’on pourrait aisément penser qu’il s’agit d’une tentative d’imitation du légendaire Three Nuns. Or, il n’en est rien. Ce n’est pas un curly cut, mais un broken flake et en plus il ne contient ni perique ni kentucky. C’est du virginia pur.
Dans le bocal datant de mai 2013, je découvre un tabac très foncé qui hésite entre le flake et le broken flake. Le nez est fort fermé : une pointe de chocolat noir, de vagues relents de bière qui fermente et une odeur discrète de VA style plug ou rope foncé. Les morceaux de flake sont souples et légèrement collants, mais ils se transforment facilement en brins fumables.
Selon Daniel Schneider, le Bad Nuns est extrêmement corsé : tout comme les ropes les plus capiteux, il obtient sur l’échelle de la puissance dont se sert Synjeco un score de 9 sur 10. J’allume donc avec circonspection. A tort. C’est certes un tabac viril, mais on est très loin de l’assommoir. C’est au contraire un virginia rond et crémeux qui tapisse le palais de velours. Son goût n’est ni fruité ni herbeux, mais terreux à souhait avec une pointe d’acidité qui me rappelle le kentucky, avec un soupçon de levure et avec un furtif accent épicé de fève de tonka. C’est de toute évidence un blend extrêmement bien fait. En témoignent à la fois la structure parfaitement harmonieuse qui instaure un irréprochable équilibre entre les quatre goûts de base, et la remarquable qualité de la fumée : riche, sombre, profonde, rassasiante.
J’admets que le Bad Nuns n’est pas un exemple de complexité, mais qui pourrait s’en plaindre ? Les saveurs forment un tout cohérent et opulent qui satisfait du début à la fin. Si le Bad Nuns était un mets, les anglophones le qualifieraient de comfort food, le genre d’aliment qui console. Qu’est-ce que nous pourrions souhaiter de mieux pour nous réconforter pendant les longues soirées d’hiver ? Il est d’ailleurs conseillé de se caler dans un fauteuil confortable parce qu’en cours de route pendant que les saveurs s’intensifient, la vitamine N gagne en ampleur. Il est cependant à remarquer que cette puissance accrue n’affecte nullement la plénitude, la rondeur et le velouté.
Avec le Bad Nun les blenders de Kendal nous prouvent une fois de plus qu’ils produisent les meilleurs virginias d’Europe et que leur style deux fois séculaire surclasse la production contemporaine des grosses boîtes allemandes et danoises. Levez-vous pour une ovation. Allez.
Récemment Hans Wiedemann m’a demandé si j’avais déjà essayé ses deux dernières créations. Comme ce n’était pas le cas, il m’a proposé de me les envoyer, convaincu qu’il était qu’elles me plairaient bien. Vous auriez refusé, vous ?
L’une des deux boîtes m’intriguait tellement que je l’ai ouverte dès son arrivée. Ce n’est en effet pas tous les jours qu’on vous présente un mélange composé non seulement de ready rubbed red virginia, de Malawi burley en cube cut et de perique, mais également de brasil et de feuilles de havane. Deux tabacs à cigare ! Or, monsieur Wiedemann m’avait expliqué qu’il n’avait pas voulu faire un cigar blend à proprement parler, mais qu’il s’était posé comme objectif de composer un tout harmonieux dans lequel les tabacs à cigare seraient parfaitement intégrés.
Quand on ouvre la boîte, on découvre un mélange de fauves et de bruns. Mais ce ne sont pas les couleurs qui attirent le regard quand on met une pincée de tabac dans sa paume, mais la complexité de la coupe : des ribbons, de fins fragments de broken flake, de minuscules cubes et de beaux morceaux de feuille. Quant au nez, il est assez étonnant. D’accord, nous savons que le burley tend à développer des arômes chocolatés, mais là c’est très marqué. L’odeur me fait penser à la fois au Bounty parce que je décèle des notes de noix de coco et au Mon chéri parce que le tabac dégage des effluves chaleureux de liqueur. Certes, ce nez n’est pas désagréable, mais pour moi il frise trop l’univers des aros pour m’emballer.
Le mélange est plutôt humide, mais pas au point que le séchage est obligatoire. L’allumage terminé, je suis d’emblée rassuré : plus question de Bounty ni de Mon chéri. Non, ce qu’on découvre, c’est un tout très finement équilibré : une saveur de chocolat de burley bien né, une agréable douceur qui provient du red virginia, une très discrète note fruitée d’un perique qui ne verse pas dans le poivré et puis de nobles notes terreuses et gentiment épicées des tabacs à cigare. La structure est un modèle d’harmonie : une pincée de sel, une toute petite pointe d’amertume et une légère touche d’acidité complémentent les sucres. Le résultat n’a rien de spectaculaire. Au contraire. C’est un mélange modeste et amical qui joue sur les nuances. Pour en apprécier toute la richesse, il convient donc de ne pas le fumer à la va-vite, mais au contraire de le déguster, d’autant plus qu’au cours du fumage les saveurs évoluent : les notes de chocolat s’estompent pour faire place à des accents plus fruités et à une présence plus marquée des feuilles de havane. Rien à signaler côté puissance : c’est un poids moyen qui ne peut indisposer personne.
Hans Wiedemann a réussi son pari : le Nyala n’est pas un cigar blend. Le brasil et le havane sont en parfaite symbiose avec les classiques tabacs à pipe. Pour moi, c’est donc une preuve de plus que le blender allemand est un as qui a un rare sens de l’harmonie. Son Nyala est un tabac que je pourrais fumer avec grand plaisir du matin au soir. Du moins, c’est ce que je me suis dit tant que le tabac possédait encore pour moi l’attrait de l’inconnu. Mais quand je suis arrivé au fond de la boîte de 100g, je ne peux pas dire que j’aie éprouvé du regret. En fin de compte, tout en saluant le savoir-faire de monsieur HU, j’ai compris que le Nyala n’est pas vraiment ma tasse de thé.
Vu les ingrédients onéreux, le Nyala coûte un euro de plus que les autres tabacs de la gamme Foundation by Musico. Que cela ne vous arrête pas de l’essayer. A 20,60 euros les 100 grammes, vous aurez droit à un mélange qui sort de l’ordinaire et qui, à ce titre, mérite qu’on le déguste au moins une fois.
Du straight virginia qui combine du bright et du red VA. Un mélange de ready rubbed et de loose cut. Kein Feuerwerk sondern ein sehr ruhiger Tabak zum Genuß in allen Lebenslagen, m’a annoncé le blender : pas de feu d’artifice, mais un tabac fort paisible qu’on peut apprécier en toutes circonstances. An all day smoke, diraient nos amis anglophones.
Je découvre toutes les nuances de brun dans un mélange de brins très fins, de minces broken flakes et de morceaux de feuille. Le tabac est un peu trop humide à mon goût mais il s’avérera qu’il se consume sans problèmes. Les arômes sont du genre discret et s’expriment davantage sur le terreau, le foin et le malt que sur le fruit. Je décèle également une odeur qui me rappelle l’engrais chimique. Quand je hume longuement, je finis par découvrir dans le fond des notes finement fruitées.
L’allumage à peine terminé, on découvre un tabac très rond, balancé, agréable. Les virginias sont joliment sucrés sans devenir pesants et sont tenus en équilibre par juste ce qu’il faut d’amertume et d’acidité. Les goûts forment un tout composé de touches discrètement fruitées, d’accents maltés, d’une pincée d’épices et d’un fond terreux. Hans Wiedemann a raison : loin du spectaculaire et de la forfanterie, ce tabac se borne à nous réjouir de saveurs honnêtes, naturelles, plaisantes. N’en concluez pas que c’est un mélange simple qui finit par ennuyer. Au contraire, en fumant posément, on découvre d’intéressantes variations et à partir de la deuxième moitié du bol, les saveurs s’intensifient et s’approfondissent.
À aucun moment, les virginias ne tendent à mordre, la combustion est régulière et sans encombres, le taux en vitamine N est parfaitement maîtrisé du début à la fin. C’est donc un blend qui peut servir aux débutants à faire leurs premiers pas dans le monde merveilleux des virginias purs. Quant aux fumeurs de virginia chevronnés, ils apprécieront à coup sûr la subtilité et l’équilibre du Red Fox.
Certes, ce virginia n’a pas la personnalité d’un Lakeland ou d’un McClelland. Mais si vous appréciez un VA sobre et délicat, rond et bon enfant, il ne faut pas hésiter.