Font-ils un tabac ? n°20/h1>

par Erwin Van Hove

13/05/13

G.L. Pease, Stratford

G.L. Pease StratfordPour moi, Greg Pease est avant tout un spécialiste des mélanges anglais et Balkan. Voyons donc comment il s’en sort avec ce blend de virginias blonds et rouges et de perique.

À l’ouverture de la boîte âgée de cinq ans, je découvre des tabacs fauves et bruns en coupe assez large, sans grande variation dans les teintes. Rien d’excitant. Je ne m’attends donc absolument pas à la revigorante gifle olfactive qui suit. Quel nez intense et déroutant : oui, il y a la touche d’herbe fraîche du virginia blond et certes, il y a une légère note moisie due au perique, mais chaque fois que je plonge mon pif dans la boîte, je suis surpris par une curieuse odeur qui me rappelle tantôt la menthe, tantôt l’eucalyptus, tantôt le camphre. Ensuite, en humant plus longuement, je découvre un caractère vineux. Fascinant.

L’hygrométrie des brins est parfaite et d’ailleurs tout au long du fumage la combustion se montrera exemplaire. Vu le nez si extraordinaire, je m’attends à une explosion de saveurs en bouche. Il n’en est rien. Au contraire, je découvre un VA/perique bon enfant et introverti sans grand mérite : les virginias ne sont pas désagréables mais ne brillent pas non plus par leur douceur, alors que le perique apporte timidement une pointe épicée. Tout ça manque d’aplomb. C’est superficiel et barbant. Voilà, affaire classée.

Et pourtant je me trompe. Au fur et à mesure que je me familiarise avec le mélange, je l’apprécie de plus en plus. Certes, ce n’est pas une bombe qui impressionne les papilles, mais le Stratford a d’autres atouts : il est subtil et harmonieux. Il est vrai que les virginias ne sont pas du genre exubérant et que le perique ne roule pas des mécaniques, mais il faut avouer que la combinaison fonctionne. C’est le genre de couple discret et sans histoires dans lequel s’est instaurée une authentique connivence qui se passe de grands gestes ostentatoires.

Sans être viril, le Stratford contient suffisamment de vitamine N. Un tantinet austère et peu évolutif, il ne vise pas le feu d’artifice gustatif. Par contre, ceux qui affectionnent un tabac qui goûte le tabac et ceux qui apprécient avant tout l’équilibre et la nuance, devraient être comblés par ce blend composé de main de maître.

Mac Baren, Club Blend

Mac Baren Club BlendJe l’ai dit avant et je le répète : je n’aime pas les Mac Baren. Certes, on ne pourra jamais suffisamment applaudir la maison danoise pour avoir mis à disposition du grand public de l’authentique et grandiose shekk-el-bint. N’empêche que quantité de leurs mélanges sont gâchés par une sauce mièvre et mielleuse qui me hérisse le poil et par des virginias qui en deux tours trois mouvements me transforment la langue en steak haché.

Cela étant, allez savoir pourquoi dernièrement je ressentais le besoin de plus en plus pressant d’explorer quelques Mac Baren disponibles en Belgique. Me voilà donc en train d’étudier le nouveau site web (http://mac-baren.com/) du populaire producteur. Et là je tombe à ma grande surprise sur quelques descriptions alléchantes : plusieurs curlies faits à partir de feuilles entières de virginia soigneusement récoltées à la main, ce qui de nos jours est une pratique extrêmement rare, et d’un cœur de dark fired kentucky cavendish. Pas d’arômes, pas de sauce. Simplement un peu de sucre d’érable cuit pour donner un coup de pouce au virginia. Remarquez que ce ne sont pas là des façons douteuses puisqu’à peu près tous les blenders dopent leurs virginias au sucre. Bref, voilà donc des roll cakes pure nature disponibles en plusieurs variantes. JPP me les livre et sans tarder j’ouvre une des boîtes : le Club Blend.

Ah, ils sont beaux, ces curlies fauves et bruns avec leur cœur tête de nègre. Quant au nez, il est honnête et franchement agréable : on sent le virginia, le sirop d’érable et la touche boisée et fumée du dark fired kentucky. Il y a même une note de moisi qu’on attendrait plutôt d’un mélange au perique. Il n’est pas nécessaire d’aérer le tabac, donc on peut procéder sans tarder au bourrage. Mais là, il faut faire un choix. Soit on effrite vraiment les curlies, ce qui fait que le virginia et le dark fired kentucky cavendish seront complètement mélangés, soit on entasse quelques curlies et on les roule brièvement entre les doigts afin d’obtenir une boule ou un cylindre qu’on enfourne tel quel. Personnellement, je préfère cette méthode-ci parce qu’ainsi les deux ingrédients s’entremêlent nettement moins, ce qui résulte en un fumage plus intéressant parce que présentant plus de variation.

Je vous avoue que je suis le premier à être surpris : je suis fan ! Du virginia bien doux et parfaitement rond, du sirop d’érable, du boisé, pas mal d’épices et une touche élégamment fumée. Et grâce au mélange savant des longs ribbons de virginia et des petits cœurs de kentucky cavendish, il y a des glissements d’accent qui rendent le mélange dynamique et changeant. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y a une réelle évolution ou une intensification des saveurs. Il s’agit plutôt de permutations. Ajoutez à cela que le virginia ne mord absolument pas, qu’il n’y a strictement aucune trace de la fameuse sauce mac barenienne et que, une fois bien allumé, le mélange se consume gentiment et sans problèmes, et vous l’aurez compris : Mac Baren tient promesse et délivre un mélange naturel fait avec du tabac de qualité.

Le Club Blend n’est pas un chef-d’œuvre de complexité. N’empêche que c’est un tabac bourré de goût quoiqu’assez léger qui doit plaire à un grand public. Moi, je trouve que c’est un exploit. Seul bémol : il est de mon expérience que le Club Blend ne se prête pas à la DGT (delayed gratification technique), donc une fois le bol allumé, il faut le terminer.

Mac Baren, Dark Twist

Mac Baren Dark TwistLe Dark Twist étant une variante sur le thème du Club Blend, je peux être concis. Il s’agit des mêmes ingrédients, mais dans une composition différente : deux disques sur trois sont faits avec du virginia pur, alors qu’un tiers présente un cœur de dark fired kentucky cavendish. A cet égard, le nom du mélange prête à confusion : il donne à penser qu’il s’agit d’un tabac foncé et d’ailleurs la photo sur le site de Mac Baren montre des curlies aux teintes plutôt sombres. En réalité, ce sont évidemment le fauve et le brun clair du virginia qui dominent. Dès lors, il va de soi que le nez et le goût sont davantage marqués par les deux tiers de virginia que par le cavendish. Le résultat est donc moins sucré, moins boisé et moins fumé.

Quand on fume le mélange sans trop y prêter attention, il est plutôt anodin et quelconque. Pas mauvais, remarquez, mais un tantinet ennuyeux. Par contre, quand on le fume consciemment très lentement, le virginia développe un caractère assez épicé et agréable. Alors il n’est pas sans rappeler le Three Nuns, mais en version light et policée. N’empêche qu’en comparaison avec le Club Blend, le Dark Twist me semble manquer de suavité et de profondeur.

Bref, je ne me vois pas racheter du Dark Twist pour la simple raison que le Club Blend me plaît nettement plus. Cela ne veut pas dire que je déconseille ce virginia/kentucky léger et civilisé. Je le conseille même franchement à chacun qui trouve le Three Nuns trop caustique.

Mac Baren, HH Old Dark Fired

Mac Baren HH Old Dark FiredSorti en 2012, voilà un Mac Baren dont j’attends monts et merveilles, d’une part parce que j’adore le dark fired burley, d’autre part à cause de la salve d’applaudissements avec laquelle le dernier né de la série HH a été accueilli. Seulement voilà, il n’est disponible qu’aux Etats-Unis. Du moins pour le moment, parce que Per Georg Jensen, le product manager de chez Mac Baren, m’a fait savoir dans un courriel qu’il prévoit le lancement du HH Old Dark Fired sur le continent européen pour l’automne 2013.

Composés de dark fired burley et de virginia, les flakes sont pressés à la vapeur, ce qui résulte en un mariage plus uni des deux partenaires et en un goût plus intense. Assez uniformément bruns foncés, ils sont légèrement humides et collants. Il est d’ailleurs impossible de détacher à la main des lamelles entières des blocs de tabac qui ressemblent à des plugs. Pour y réussir, il faut prudemment glisser la lame d’un couteau entre deux flakes. Ceci dit, d’après ce que j’ai entendu, il semblerait que d’autres que moi sont en possession de boîtes dont le contenu se détache sans aucun problème.

À la première ouverture de la boîte, je reconnais une odeur qui me rappelle vaguement les virginias de chez McClelland, mais cet arôme se dissipe rapidement. Restent alors les typiques notes terreuses, boisées et fumées du kentucky, mais qui s’expriment avec retenue. Ce tabac sent avant tout le tabac. Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai.

Après plusieurs tests comparatifs, je conclus que ce tabac se révèle le mieux quand on plie les flakes et qu’on les malaxe sans exagérer. Rassurez-vous, il ne faut pas avoir peur d’une combustion difficile. Les premières bouffées sont clairement dominées par le dark fired burley, mais d’emblée il s’avère que Mac Baren n’a pas cherché à nous livrer une bombe de kentucky. Le goût si facilement impérieux de l’herbe fumée est au contraire maîtrisé et modéré. Par contre, Mac Baren, pourtant le spécialiste des tabacs édulcorés, a rigoureusement respecté le caractère naturellement austère du burley. Les virginias se bornent donc à un rôle servant de toile de fond. Les saveurs évoluent peu et se tiennent loin du spectaculaire. Ce qui frappe avant tout, c’est l’équilibre tranquille entre les deux partenaires. Le goût terre à terre, porté par une bonne dose de vitamine N, confirme les promesses du nez : on fume du tabac qui a un goût de tabac.

Pour les fans purs et durs de kentucky, il y a mieux, comme par exemple le Kendal Kentucky de chez Gawith & Hoggarth. A ceux qui veulent découvrir le dark fired burley sans risquer l’overdose ou qui l’apprécient à condition qu’il n’écrase pas le virginia, et à ceux qui préfèrent un tabac honnête et franc, je peux sans hésitation recommander le HH Old Dark Fired. Personnellement, je félicite la maison danoise pour nous avoir proposé un tabac droit et sobre, très naturel, fait à l’ancienne.