Le blending est un métier. A l’origine cela a toujours été une affaire d’entreprises, grandes ou petites, qui sélectionnaient à bon escient des tabacs aux quatre coins du monde, qui les stockaient dans des conditions idéales, qui disposaient d’un outillage souvent séculaire pour les presser, infuser, fermenter, étuver, couper et conditionner. De Germain’s à Mac Baren, toutes ces maisons traditionnelles emploient à ce jour un ou plusieurs blenders qui connaissent sur le bout des doigts toutes les herbes qui vieillissent dans les dépôts, leurs origines, leurs âges, leurs propriétés organoleptiques. A l’instar des parfumeurs, ils savent par expérience lesquels de tous ces ingrédients ils peuvent combiner avec bonheur. En outre, ils décident quels tabacs ont besoin d’un dopage au sucre, d’un pressurage à chaud ou d’une subtile aromatisation. Les recettes qui finissent par être commercialisées sont le résultat d’innombrables essais et expériences et d’une longue et pénible mise au point.
Plus récemment est apparu le blender artisanal qui ne travaille pas pour une entreprise mais qui opère en tant qu’indépendant. Greg Pease et sa marque G.L. Pease ou Hans Wiedemann et son HU Tobacco démontrent brillamment que des individus doués et connaisseurs sont capables de concurrencer les grandes compagnies et de nous présenter une gamme de tabacs à pipe de très haute qualité. Cet indéniable succès inspire et suscite de nouvelles vocations et voilà que dans divers pays des blenders amateurs se mettent à proposer à la vente des mélanges nouveaux. L’un deux s’appelle Glynn Quelch et il travaille chez Gauntleys, une civette fondée à Nottingham en 1880. (cigars.gauntleys.com) C’est un passionné qui s’occupe du pipe club local, qui publie son propre blog intitulé Mr Tobacco ( - fermé depuis), et qui postait régulièrement sur YouTube des évaluations des tabacs qu’il déguste.
Quelch joue-t-il dans la même cour que Pease et Wiedemann ? Se pourrait-il que nous soyons en la présence d’une nouvelle étoile au firmament du tabac d’artisan ? Avant de passer à la dégustation de ses créations, il convient d’examiner les méthodes de travail du Britannique. Et là on remarque d’emblée qu’en comparaison avec le professionnalisme de Pease et de Wiedemann, Quelch pèche par un amateurisme qu’on peut trouver désarmant, mais qui fatalement le condamne à un rôle anecdotique en marge du l’univers du blending authentique.
Greg Pease et Hans Wiedemann partagent la même approche. Tous deux collaborent intimement avec une manufacture de tabac importante et respectée. Pease s’est lié avec Cornell & Diehl alors que Wiedemann a choisi comme partenaire la Deutsche Tabak Manufaktur (DTM). Ce genre d’alliance leur permet d’avoir accès au stock entier d’un fabricant professionnel et par conséquent de disposer de tout un éventail d’ingrédients âgés et traités dans les règles de l’art. C’est grâce à cet embarras du choix qu’ils sont en mesure de composer des mélanges savants et complexes. En plus, s’ils passent leur temps à expérimenter et à fignoler leurs recettes, une fois ces recettes définitivement mises au point, leur travail est terminé. C’est alors à la manufacture de s’occuper de la production et du conditionnement. Bref, dans ce business model intelligent et efficace, le produit final est le résultat d’une part du talent d’un blender passionné qui a à sa disposition tout un entrepôt d’herbes variées et d’autre part du savoir-faire d’un fabricant à la fois chevronné et bien outillé.
De son côté, Glynn Quelch a opté pour une démarche toute différente. Quand il explique sur YouTube comment il procède, on comprend d’emblée que son blending relève du dada plutôt que du métier. Il vous est probablement déjà arrivé de faire vite fait bien fait un mélange personnel à partir de quelques tabacs qui traînent dans votre stock. Fondamentalement, Quelch fait comme vous, même si, bien évidemment, il pousse plus loin que vous ses expériences. Pour faire l’ensemble de ses blends, le Britannique dispose en tout et pour tout d’une bonne vingtaine de tabacs et de quelques flacons d’arômes et d’épices. Les herbes qu’il emploie, il ne les sélectionne pas dans les dépôts bien fournis de quelque manufacture qui a pignon sur rue. En vérité, il travaille exclusivement avec des produits finis disponibles dans le commerce de détail. A mes yeux, l’art du blending, c’est quand même autre chose que de combiner quelques tabacs de chez Planta avec deux ou trois mélanges de chez Gawith & Hoggarth. Qu’en est-il de la production ? Quelch s’en occupe lui-même avec les moyens du bord et dans des quantités toutes petites. Il va sans dire que dans ces conditions, il est quasiment impossible de garantir une qualité constante et une parfaite uniformité d’un lot à l’autre. Reste le conditionnement. Oubliez les belles boîtes dans lesquelles vos tabacs peuvent tranquillement mûrir. Les mélanges Gauntleys sont livrés exclusivement en vrac, dans des sachets en plastique.
Bref, par rapport aux pur-sang que sont Pease et Wiedemann, Quelch semble un piètre canasson. Mais, qui sait, peut-être que les apparences sont trompeuses et qu’injustement je sous-estime la qualité des mélanges du blender dilettante. Après tout, the proof of the pudding is in the eating. Passons donc sans tarder à la dégustation de cinq mélanges de Gauntleys of Nottingham.
À l’ouverture du bocal dans lequel j’ai conservé les cinq sachets, j’encaisse une étourdissante gifle olfactive : un capharnaüm d’exhalaisons envahissantes. Quelle cacophonie d’arômes fruités, de senteurs florales, de chocolat, de noix de coco, de vanille ! On dirait que j’ai ouvert une boîte d’échantillons de parfums. Ca sent tout, sauf le tabac.
Le premier mélange que je m’apprête à essayer, c’est le
Passons au
Dégustation suivante : le
Hop, au suivant. Avec de moins en moins de motivation. Cette fois-ci il s’agit d’un autre mélange non aromatisé, le
Le dernier alors. Avec un soupir et par pur sens du devoir. Le
Conclusion. Des arômes envahissants et des relents parfois « ammoniaqueux » à l’ouverture des pochettes. Des saveurs qui manquent de pureté, de définition, d’harmonie et de profondeur. Du monolithique et du barbant. Des fumées rugueuses. Mes craintes sont confirmées. Un sympathique apprenti sorcier, tout passionné qu’il soit, n’arrive pas à la cheville d’authentiques blenders artisanaux comme Pease et Wiedemann. Pour créer et manufacturer de nouveaux mélanges, il faut toute une panoplie d’ingrédients de qualité, de vastes connaissances, de l’intuition, un fin palais et un outillage professionnel. Glynn Quelch n’a rien de tout ça, ce qui fait que les mélanges Gauntleys ne dépassent pas le niveau du candide dilettantisme. Dommage.