Vous en connaissez beaucoup, vous, des virginia blends qui portent l’avertissement Goût corsé ? Et avez-vous déjà trouvé des virginias coupés aussi finement que du tabac à rouler ? Moi, jamais. Ce tabac suisse ne manque donc pas d’originalité. Et ça ne s’arrête pas là. Jamais je n’ai vu un mélange aussi uniformément blond que celui-ci. Serait-ce du pur lemon virginia ? Mon pif a du mal à le croire. Certes, il détecte un accent vaguement mielleux, mais également des notes de cigare, voire une légère touche de fumé dans le genre kentucky. Remarquez que pour déceler ces arômes, il faut vraiment faire un effort parce que fondamentalement le nez est passablement neutre. Les brins ultrafins et très courts sont archi-secs et se réduisent en poudre quand on les roule entre les doigts. Je crains donc le pire.
À tort. Il est vrai que le début du fumage est dominé par une amertume et une acidité peu agréables, mais la fumée ne mord ni ne racle. La douceur qu’on attend d’un virginia blond se cache discrètement dans le fond. Mon palais confirme ce que j’avais senti : il y a des notes fumées et torréfiées de kentucky. Vérification faite, ce n’est qu’à moitié correct : à part du virginia et du burley, il y a des fire cured orientals qui expliquent la touche fumée. La deuxième moitié du bol devient plus intéressante : ça reste rustique et corsé, mais le virginia se fait plus présent et adoucit l’amertume. Bref, le mélange trouve un équilibre plus heureux.
Le Virginia N° 444 n’est pas un tabac pour fanas de virginia. Pour eux, il est vraiment trop grossier. Je le conseillerais davantage aux amateurs de bruns. Ce n’est pas non plus un grand tabac harmonieux et complexe. Mais s’il vous faut un tabac viril et simple, il peut faire l’affaire.
Gusto Pieno lis-je sur la pochette. On va voir ça.
Avec le Trinciato nous passons de la Suisse en Italie. Ce tabac, c’est la fierté des Transalpins, étant donné qu’il est fait à partir de la variété locale, à savoir le kentucky. C’est d’ailleurs ce même tabac qu’on retrouve dans les Toscani, ces robustes cigares que des machos mal rasés fument dans les westerns spaghetti.
À l’ouverture de la pochette, je découvre des brins fins et longs dont la structure et la couleur me rappellent celles des semois. Ca ne doit pas surprendre puisque l’herbe belge n’est rien d’autre que du kentucky. Par contre, par rapport à ceux du semois artisanal, les arômes qui sortent de la pochette sont un peu moins complexes. N’empêche que ça sent bon le kentucky torréfié avec dans le fond des notes de cacao. Ni trop secs ni trop humides, au toucher les brins sont parfaits.
Allumage et vlan, une bouffée de fumée corsée m’emplit la bouche. D’emblée, je sais que je vais aimer parce qu’à part une bonne ration de vitamine N, il y a pas mal de goût. Un goût terreux, chocolaté, épicé et torréfié à la fois. Un goût d’homme assez amer et acidulé, mais avec en contrepoint une belle douceur sous-jacente. Comme équilibre, c’est réussi. Tout comme le semois, ce tabac doit se déguster posément sinon il accentue son caractère bourru. Il n’y a guère d’évolution, mais tout au long du fumage, j’apprécie le caractère franc, ample et viril de cette version Forte du Trinciato.
Certes, le Trinciato Forte n’est pas un chef-d’œuvre de subtilité. Mais à condition de supporter une bonne dose de nicotine et d’apprécier un tabac terre-à-terre qui ne verse pas dans la dentelle, il ne faut pas hésiter. C’est un tabac qu’il faut avoir essayé au moins une fois dans sa vie. Gusto Pieno ? Absolument.
Le Stonehaven d’Esoterica Tobacciana, ça vous dit quelque chose ? C’est un virginia/burley-flake à nul autre pareil. A ce titre, il est célèbre et il peut s’enorgueillir d’une cohorte de fans purs et durs. Résultat : il n’est pour ainsi dire jamais disponible, d’autant plus qu’il n’est commercialisé qu’aux Etats-Unis. Bref, ça fait des années que je n’en ai plus, alors que j’en raffole. Frustrant.
Remarquez qu’Esoterica Tobacciana n’est pas le nom du producteur. En vérité, c’est le nom d’une gamme de tabacs produits par l’une des toutes meilleures maisons au monde, à savoir J.F. Germain & Son. Vu le succès du Stonehaven aux Etats-Unis, se pourrait-il que le blender jersiais propose aux Européens un mélange comparable, voire identique ? Non, rien sur le site web de l’entreprise et rien non plus sur les sites belges ou allemands qui commercialisent les boîtes de tabac de Germain. Et pourtant dans des forums anglophones et sur Tobaccoreviews, on mentionne le Rich Dark Flake qui selon les uns serait une copie conforme du Stonehaven et un mélange similaire selon les autres.
Dernièrement, il m’est arrivé, malgré les prix corsés, de passer commande auprès de buralistes britanniques comme Gauntleys. Et là, dans la section des tabacs en vrac, je suis tombé sur ce fameux J.F. Germain Rich Dark Flake. Me voilà donc enfin en possession d’une pochette de ce Stonehaven version européenne. Evidemment, il serait intéressant de déguster les deux flakes côte à côte, mais hélas, pour moi le Stonehaven n’est qu’un souvenir. N’empêche que là où je crois me rappeler de différences, je les mentionnerai au risque de dire des bêtises.
Les flakes longs, finement coupés, mats et vraiment foncés avec ici et là un morceau brun, sont gras et humides au toucher. Même trop humides. Le nez est des plus agréables. Il y a des fruits confits, de la cassonade, voire des crêpes au sirop de candi, du vinaigre balsamique. Des arômes subtils. Les flakes s’effritent facilement et malgré l’humidité, l’allumage ne demande aucune attention particulière. Arrive alors une fumée riche et crémeuse, vaguement fruitée, aigre-douce et nettement salée. Ah, c’est plaisant, c’est bon enfant, c’est réconfortant sans être superficiel. Ce sont des saveurs à l’ancienne dont les traditionnels blenders britanniques semblent détenir le secret. L’absence d’amertume, la légèreté, le jeu d’ensemble entre le fruité, la cassonade et une belle acidité noble prouvent au-delà de tout doute que ce flake carbure davantage au virginia qu’au burley, alors que dans mes souvenirs le Stonehaven était davantage marqué par le burley.
Mais voilà que la deuxième moitié du bol réserve une surprise : la fumée gagne nettement en force et l’amertume se fait plus présente. Le vlà le burley ! Petit à petit l’épicé remplace le fruité et le sucré. Désormais, c’est un tabac nettement plus viril, mais toujours agréable, velouté et profondément satisfaisant.
En fin de compte, le Rich Dark Flake et le Stonehaven sont-ils identiques ? Je ne le crois pas. Si ma mémoire ne me trahit pas, le Stonehaven est plus chocolaté et accentue donc davantage le burley. D’ailleurs, en vérifiant Tobaccoreviews, j’ai constaté que je ne suis pas le seul à le penser. N’empêche que le Rich Dark Flake s’en rapproche suffisamment pour servir d’alternative valable. Tout comme son célèbre frère, c’est un flake parfaitement équilibré dont la fumée goûteuse, soyeuse et ronde caresse le palais. Salve d’applaudissements pour le savoir-faire séculaire de la légendaire maison jersiaise. Exclusivement disponible en Grande-Bretagne.