Font-ils un tabac ? n°143

par Erwin Van Hove

20/05/2024

McClelland, Christmas Cheer 2015

L’édition 2015 du Christmas Cheer contient exclusivement des virginias Old Belt récoltés à pleine maturité en 2011. Ces virginias cultivés en Virginie et/ou en Caroline du Nord sont considérés comme les meilleurs d’Amérique.

À l’ouverture de la boîte, les arômes intenses et archétypiques des virginias rouges de McClelland me sautent au nez : ketchup, sauce barbecue. Je sais donc à quoi m’attendre. Le tabac se présente sous forme de broken flakes assez épais, ce qui fait qu’il faut les triturer assez longuement avant de pouvoir les enfourner.

Surprise ! En bouche plus de trace du style McClelland. Je découvre au contraire un virginia qui n’évoque ni le ketchup ni des saveurs telles les agrumes, le foin ou la croûte de pain qu’on associe habituellement au virginia. En fait, je goûte simplement du tabac. Du très bon. Non, du très très bon. Remarquez que ce n’est pas pour autant que ce VA verse dans le spectaculaire. Au contraire. Il n’est ni original, ni extravagant et il ne fait aucun effort pour épater la galerie. N’empêche qu’il m’émeut. Et je peux vous dire que ça ne m’arrive pas exactement tous les jours.

Alors pourquoi est-ce que je me sens aussi comblé ? Je suppose parce que pour moi ce blend est en parfaite harmonie : l’équilibre entre le sucré, l’amer, l’acide, le salin et l’épicé est glorieux. Ensuite parce que les saveurs forment un tout homogène et compact avec de la rondeur et de la profondeur. Finalement parce que du début à la fin la fumée est merveilleusement agréable tout en évitant le piège de la facilité ou de la superficialité.

À l’âge de neuf ans le Christmas Cheer 2015 dévoile toute la grandeur dont est capable du virginia bien né, récolté à parfaite maturité et travaillé par un blender qui comprend vraiment sa matière première. C’est un blend adulte, nuancé, cohérent et complet qui célèbre et sublime les vertus d’un grand tabac de terroir millésimé. Je salue donc Mike McNeil qui plutôt que de vouloir imposer sa marque, a mis tout son savoir-faire au service de ce que Mère Nature nous a si généreusement offert.

Tabakhaus Falkum, Old Days N°4

Il n’y en a pas énormément, des mélanges qui accordent au kentucky le rôle principal. Je suis donc impatient de découvrir ce broken flake qui se borne à adoucir le kentucky au moyen d’une pincée de virginia. Comme le mélange a été fait par Mac Baren qui produit des kentucky blends plus que respectables, je caresse l’espoir de passer un bon moment.

Couleur bien foncée de kentucky. Nez de kentucky avec du grillé/torréfié, de la viande fumée et un filet de vinaigre. A la bonne heure. Les broken flakes sont souples sans être humides et nécessitent qu’on les transforme en brins plus facilement bourrables, sinon on risque une combustion difficile.

Contrairement à un kentucky blend comme le Dark Birds Eye de Gawith & Hoggarth qui exhibe sans vergogne le caractère rustique et brut de décoffrage du tabac torréfié, le N°4 nous en livre une version nettement plus policée. Certes, ce sont bien la saveur empyreumatique sur le grillé et le fumé, le boisé, les épices, l’acidité et le punch du kentucky qui constituent l’épine dorsale du mélange, mais le virginia réussit parfaitement à arrondir et à équilibrer la fumée. Le résultat est harmonieux et franchement agréable.

Tabakhaus Falkum, Old Days N°4

Pas agressif pour un sou et moyennement fort, le N°4 ne brille pas par son évolutivité, mais se borne à nous livrer jusqu’à la fin une fumée goûteuse qui met en exergue l’intime et fructueuse collaboration entre le kentucky et le virginia. Ce mélange prouve que traité avec doigté, le kentucky n’est pas un rustre bourru condamné à servir de condiment, mais qu’il est capable de jouer le premier violon sans notes stridentes. Bref, Mac Baren a fait un excellent boulot.

McClelland, Celebrated Sovereign

À l’époque, le Celebrated Sovereign se déclinait en deux versions bien distinctes. Sur le marché européen, K&K produisait sous la bannière d’Ashton la recette d’origine, alors qu’aux Etats-Unis McClelland, ayant acquis les licences nécessaires, proposait sa propre mouture. Avec la fermeture de McClelland, la version américaine a évidemment disparu du marché, alors qu’en Europe, K&K a enlevé le mélange de la gamme Ashton pour le réintroduire sous la marque Robert McConnell.

Sur papier les recettes de l’Ashton et du McClelland étaient identiques : du latakia syrien, du dubec turc, du black cavendish, du bright carolina et du red virginia. Pourtant, les deux mélanges étaient fort différents. Certes, à cette époque le producteur allemand employait encore de l’authentique shekk-el-bint, mais cette herbe n’arrivait pas à la cheville de celle dont se servait Mike McNeil. Et c’était pareil pour le virginia rouge. Bref, l’Ashton était un tabac léger et plaisant que j’aimais bien le matin, alors que le McClelland avait nettement plus de caractère et de prestance.

Comme j’ai constaté qu’après un encavement de 10 ans, le mélange allemand avait perdu des plumes, je suis curieux de voir ce que me réserve la version américaine à l’âge de 14 ans.

Avec son mélange de ribbons et de morceaux de broken flakes reluisants et avec sa myriade de couleurs, le tabac est fort attractif. Quant au nez, il est subtil et complexe : je décèle l’odeur du virginia rouge de McClelland, mais elle ne domine nullement, étant parfaitement intégrée dans l’ensemble. De même pour le latakia à l’odeur d’encens qui se borne à un rôle de condiment. Pour le reste, je perçois une légère touche d’acidité volatile, une pointe de cuir et quelques gouttes de tabasco. Souple mais sans être humide, le tabac est prêt à l’emploi.

Dès l’allumage, je suis sous le charme : voilà ce que donne un grand tabac arrivé à son apogée. En parfaite harmonie, les ingrédients collaborent intimement pour produire une fumée chaleureuse, gracieuse, sophistiquée. Rien ne dépasse, rien ne domine. Voilà un orchestre dirigé de main de maître.

Les virginias et le cavendish déroulent un tapis douillet, le dubec apporte un contrepoint acide et frais et le shekk-el-bint éparpille délicatement ses notes d’encens, de fumé et de cuir. Aucune idée de ce que fait exactement le bright carolina, mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne va pas à l’encontre de la cause commune. Que ce soit clair : cette piètre description ne fait nullement justice à l’impression de totale harmonie. Luxe, calme et volupté, comme dirait l’autre.

Les saveurs n’évoluent pour ainsi dire pas et c’est pour le mieux. Côte puissance et combustion, rien à signaler. Et il va de soi qu’une fumée aussi policée et aimable ne vous agresse pas les muqueuses.

À l’âge de 10 ans, le Celebrated Sovereign produit par K&K s’était montré décevant parce que déséquilibré. (Font-ils un tabac ? n°31) À 14 ans, la version de McClelland s’avère un monument d’harmonie. Ce mélange me conforte une fois de plus dans ma conviction que Mike McNeil était mon blender favori.