Est-ce que le défunt Bill Taylor, le pipier qui taillait les Ashton, était également producteur de tabac ? Du tout. De Brebbia à Savinelli et de Former à Ilsted, des fabricants de pipes et des artisans pipiers prêtent leur nom à des marques de tabac appartenant à quelque maison traditionnelle. C’est tout. Qui produit alors le Celebrated Sovereign ? C’est assez compliqué. Jusqu’au début du 21ième siècle, c’était Kohlhase & Kopp. Ensuite, K&K a vendu à McClelland la licence pour le marché américain. Depuis, il y avait donc deux versions, une européenne et une américaine. Récemment, K&K a décidé de commercialiser la version européenne non plus sous la bannière d’Ashton, mais sous le nom de Robert McConnell, une autre marque de l’écurie K&K. Bref, aujourd’hui existent côte à côte deux Celebrated Sovereign bien distincts : le Ashton produit et distribué par McClelland aux Etats-Unis et le Robert McConnell de Kohlase & Kopp sur le marché européen.
La boîte que je teste, a été achetée en Belgique voici une dizaine d’années. C’est la première fois que je déguste ce mélange après un tel encavement. A l’époque, je le fumais tout frais avec beaucoup de plaisir. C’était un blend subtil et raffiné que j’appréciais surtout le matin. Voyons s’il a âgé avec bonheur.
Sa composition, c’est tout un programme : du latakia syrien et du dubec turc, du cavendish maturé dans des presses, du carolina blond et des virginias rouges. Je ne sais pas ce qui en est aujourd’hui, mais à cette époque K&K tenait sa promesse et employait effectivement de l’authentique latakia syrien. Pas beaucoup, mais suffisamment pour que le shekk-el-bint imprime subtilement sa marque si typique. En combinaison avec le vibrant et épicé dubec, il répandait ses fascinants effluves d’encens pendant que le cavendish et les red virginias tissaient un voile de douceur. C’était délicieux et remarquablement harmonieux.
Je découvre un tabac un peu trop sec qu’il me faudra légèrement réhydrater en soufflant plusieurs fois dans ma pipe bourrée que je couvre de ma main. Alors que dans mes souvenirs il y avait plus de contrastes, le mélange est uniformément brun avec une bonne portion de brins anthracite. C’est clairement un mélange fondu par le temps. Le nez le confirme d’ailleurs : alors que dans sa jeunesse on distinguait les ingrédients les plus aromatiques, notamment le dubec et le latakia syrien, dorénavant on sent un tout introverti sur le sous-bois et le cuir. Un peu dommage quand même.
Dès l’allumage je me rends compte que la décennie d’encavement a foncièrement modifié le caractère du Celebrated Sovereign. Certes, je retrouve d’emblée la belle douceur des virginias rouges et du cavendish et l’acidité du tabac turc, mais alors que 10 ans avant, cette acidité s’exprimait par une revigorante vivacité et par de joyeuses notes aigües, à présent elle a pris de l’ampleur et du poids, ce qui fait que désormais elle occupe du début à la fin le devant de la scène avec un constant picotement épicé et passablement caustique. Parallèlement, je ne décèle ni la légère et excitante note de latakia syrien, ni les raffinées saveurs du glorieux dubec. Le tabac a donc perdu sa dynamique et peut-être même sa raison d’être. Restent des saveurs de cuir et d’épices trop monotones.
Dommage. Ces constats me serviront de leçon. Et à vous aussi, j’espère. Quand un tabac vous plaît jeune, fumez-le. Il est vrai qu’il pourrait s’améliorer avec le temps, mais il n’y a pas de garanties. Alors pourquoi courir le risque ? Le tabac, c’est comme le vin. Seules quelques rares bouteilles sont destinées à vieillir. Les autres, il faut les boire sans tarder.
Du blond, du fauve, de l’acajou, du brun, ici et là de l’anthracite et tout ça en coupe assez large. Un tabac visuellement attractif. Un nez équilibré et tout en finesse. Certes, on reconnaît les effluves de virginia, de tabacs turcs et de latakia, mais le parfum qui, à l’âge de 5 ans, se dégage de ces divers ingrédients, forme un tout subtil et agréable, mais difficile à définir. Il y a un surprenant côté noisette, des fruits sur alcool, une touche fumée.
Hygrométrie parfaite et donc allumage immédiat. D’emblée l’harmonie des saveurs et la structure équilibrée prouvent que ce mélange est le résultat d’une vraie maîtrise de l’art du blending. Loin du spectaculaire et de l’impressionnant, le Plantation Evening n’est cependant ni anodin ni médiocre. C’est au contraire une incontestable réussite qui s’exprime par la retenue et la modération. C’est donc un tabac élégant et flegmatique qui nécessite un certain recueillement de la part du fumeur pour révéler sa délicieuse délicatesse. In der Beschränkung zeigt sich der Meister, préconisait Goethe. Et il avait bien raison. Point besoin de virtuosité et de recherche d’effets faciles pour faire de la musique. Pas de basses lourdes de latakia ni de notes aigües de virginias blonds et d’orientaux. Tel Miles Davis, le Plantation Evening se cantonne dans un registre moyen et en tire le meilleur.
Les virginias sont discrètement doux, le tabac turc et le perique y ajoutent une acidité contrôlée, le latakia est présent mais en sourdine. Le résultat est automnal avec du sous-bois, mais surtout avec un petit goût de noisette des plus réussis et une goutte d’alcool fruité.
Un tabac à recommander à ceux qui veulent découvrir l’univers des mélanges anglais sans risquer de choc, à ceux qui sont gavés de tous ces anglais dominés par le latakia et tout simplement à tous ceux qui apprécient la finesse et la subtilité.
Acidité volatile et vinaigre balsamique, ketchup et cube bouillon, bref du McClelland archétypique. Par contre, niveau coupe, c’est la surprise totale. Quand je lis sur une boîte de tabac qu’il s’agit d’un shag cut, je m’attends à des brins en coupe tellement fine qu’ils rappellent le tabac à rouler. Or, me voilà en train d’oeiller des tranches de cake qui se décomposent au toucher pour former un genre de broken flakes. Ah bon. Ces tranches qui se défont, sont plus fines que des flakes, ce qui permet de les plier et de les bourrer telles quelles. Il va de soi qu’on peut également les effriter sans problèmes.
Après l’allumage on retrouve d’emblée les classiques saveurs du célébrissime red virginia fermenté de la maison. Une belle douceur, beaucoup d’épices, du boisé, de l’acidité noble. Un parfait équilibre d’ailleurs entre sucres et acides. Et pourtant je ne me sens pas parfaitement comblé. Il manque de la vitamine N, du corps et de la profondeur. Le 27, c’est le Coca light de chez McClelland. A coup sûr, certains y verront de la subtilité. Pour moi, il est plutôt superficiel, même s’il est vrai que vers la fin les saveurs s’intensifient nettement.
Il ne faut pas conclure que le 27 ne vaille pas la peine. Bien au contraire. Mais si vous cherchez un tabac opulent et corsé, il y a chez McClelland suffisamment d’alternatives qui vous conviendront davantage.