Font-ils un tabac ? n°140

par Erwin Van Hove

19/02/24

McClelland, Bombay Court

Tabacs turcs, latakia, virginias provenant de cakes maturés. Après une décennie d’encavement, on ne reconnaît plus le mélange sur la photo : les blonds sont passés au brun. McClelland définit le mélange comme un oriental blend, mais le nez dans lequel on sent avant tout la combinaison d’orientaux et de latakia, permet tout aussi bien de classer le Bombay Court comme un balkan léger. Quoi qu’il en soit, le nez n’est pas du genre démonstratif, mais se distingue au contraire par des arômes délicats et harmonieusement fondus. Pas de trace de ketchup à la McClelland, mais un fumé fin, du boisé, du poivre et un soupçon de pétrolé comme on peut en trouver dans certains Riesling à leur apogée.

Les saveurs véhiculées par les premières bouffées correspondent parfaitement au nez : modestes, fondues et tout en finesse, elles mélangent le fumé avec l’épicé et le boisé alors que les virginias se bornent à apporter une assise dodue. Elle est nécessaire parce que très vite la fumée devient plus acide. Rien d’incisif, remarquez, mais une acidité citronnée qui ravive le tout, mais qui en même temps perturbe quelque peu la sereine harmonie du début.

Le tabac se consume rapidement, ce qui fait que le tabac n’a pas vraiment l’occasion de se montrer évolutif. Ceci dit, je remarque tout de même que dans le dernier tiers le citronné s’intègre mieux dans l’ensemble et qu’une note saline se fait sentir. Classé correctement mild to medium par Tobaccoreviews, le Bombay Court ne cherche nullement à nous assener un kick nicotinique.

À l’âge de 10 ans, le Bombay Court est un mélange raffiné et ciselé qui s’adresse à la fois aux amateurs d’orientaux et aux fans de mélanges balkan. Ce n’est pas un chef-d’œuvre qui laisse des souvenirs impérissables, mais un blend respectable qui à mes yeux a le grand mérite de démontrer qu’employé à bon escient, le latakia peut se montrer subtil au point de séduire même les fervents adversaires du tabac fumé au feu de bois.

Tabakhaus Falkum, Tullagreme House N° 12

Du white burley et du kentucky sont torréfiés, pressés et chauffés avant d’être lentement maturés. Dans la boîte se trouvent deux rangées de flakes larges et très foncés dans lesquels on perçoit des fragments blonds. L’odeur qui émane de la boîte est assez surprenante : pas de trace de torréfaction, de terre, de noisettes ou de chocolat, mais d’intenses arômes de cubes bouillon ou de fond de bœuf aux accents de cèpe séché. Franchement, ce nez atypique me plaît beaucoup. Toutefois, quelques jours plus tard il a évolué au point d’être méconnaissable. Désormais c’est un nez nettement plus classique dans lequel on sent les deux ingrédients.

En triturant les tranches, je note que le tabac est assez humide, voire collant. Aurait-il été saucé ? N’empêche que même sans séchage préalable, il se consume sans nécessiter des rallumages répétés. Les premières bouffées véhiculent clairement des saveurs de burley terreux. Ensuite le kentucky rejoint son compagnon, mais plutôt que du grillé, il apporte un boisé légèrement épicé et réglissé. Dans le fond se cache une très fine touche fruitée que je ne peux attribuer ni au burley ni au kentucky. Je suis de plus en plus certain que le mélange contient un topping discret.

Il faut dire que l’interaction entre les deux tabacs est exemplaire : le burley forme le cœur du mélange et le kentucky, malgré sa nature dominatrice, se met entièrement au service de son camarade terreux auquel il confère un caractère automnal et sombre. Evidemment en l’absence de virginia, il ne faut pas s’attendre à des saveurs douces et flatteuses, mais ce n’est pas pour autant que la fumée soit acide ou amère. Quant à la puissance, elle se situe dans la moyenne. À partir du dernier tiers, les goûts s’intensifient et nous procurent ainsi un final fort satisfaisant.

Le Tullagreme House N° 12 est très bien fait parce que parfaitement équilibré. Chapeau. J’en commanderai à nouveau. Certes, il y a des burley blends que je préfère, tout comme il y a des mélanges à base de kentucky qui m’emballent plus. Mais je dois dire que peu de mélanges combinent avec un tel raffinement les deux tabacs rustiques.

Hearth & Home, Anniversary Kake

Quoique l'l’Anniversary Kake ait été créé voici une petite vingtaine d’années pour célébrer le premier anniversaire de Hearth & Home, ce n’est pas une édition limitée. Il est donc toujours disponible.

Il s’agit d’un mélange de divers virginias et d’authentique Saint James Parish perique, denrée extrêmement rare. La boîte ne contient pas un morceau de cake, c.-à-d. un cube de tabac comparable à un plug mais nettement moins pressé, mais de gros fragments qui se désintègrent immédiatement entre les doigts. Il faut même faire attention à ne pas les manipuler trop parce qu’ils risquent de se réduire en poudre.

Ici et là je remarque du fauve et de l’anthracite, mais le blend est avant tout constitué d’un mélange de bruns. En humant la surface, je sens surtout des acides volatiles. Et puis, clairement, une vague d’odeur de chocolat. Bizarre pour un VA/perique. Pourtant je ne me trompe pas parce que je lis sur la boîte que Russ Ouellette lui-même vante les arômes de chocolat qui mettent l’eau à la bouche.

Les toutes premières bouffées véhiculent effectivement un goût chocolaté qu’on associe au burley plutôt qu’au VA/perique. Mais très vite on change de registre et on passe à des saveurs grillées aux accents de sirop d’érable ou de candi. Une fois de plus des goûts auxquels on ne s’attend pas. J’ai vraiment du mal à croire qu’il s’agit d’un mélange naturel puisqu’il me rappelle le Vermont Maple Cavendish de Pipeworks & Wilke. Selon moi, l’Anniversary Kake contient du cavendish saucé. Vérification faite, je ne suis pas seul à le penser : sur Tobaccoreviews plusieurs dégustateurs classent le tabac dans les aros.

Pour le reste, je ne goûte pas grand-chose si ce n’est une royale dose de tabasco qui mord les muqueuses. Pas agréable pour un sou. Certes, les virginias apportent une douceur sous-jacente, mais niveau saveurs ils restent muets. Restent donc du grillé, du sirop et du piquant. Et une bouche en feu. C’est d’ailleurs uniquement dans de petites pipes que j’arrive à terminer le bol. Je décide de donner une dernière chance à ce lance-flammes et je laisse la boîte ouverte pendant toute une journée. Ça s’avère une bonne décision : désormais la fumée est moins mordante, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle soit devenue agréable en bouche. Ça reste un mélange trop acerbe.

Un tabac festif ? Sérieux ? Ce mélange serait plutôt le pendant tabagique de l’oncle bourré, devenu agressif qui vous bousille une fête de famille. Et le pire, c’est que pour faire cet aro caustique, Russ Ouellette s’est servi de perique vrai de vrai. Quel gâchis !