Font-ils un tabac ? n°141

par Erwin Van Hove

18/03/24

Cornell & Diehl, Five O’Clock Shadow

L’ombre de cinq heures. Un tabac pour hommes à barbe forte. Il est d’ores et déjà clair que ce ne sera pas un mélange pour âmes sensibles.

Il s’agit d’un cake aux diverses teintes brunes composé de red virginias, de perique et de kentucky. Ma boîte âgée de dix ans est bombée. À l’ouverture s’échappe donc un odorant nuage de gaz de fermentation. Je sens des acides volatiles, le fruité du virginia, un soupçon de moisi du perique. L’apport du kentucky m’échappe.

Contrairement à un plug, un cake ne se découpe pas. On en casse un bout qu’on effrite gentiment et avec attention. Parce que si on n’y va pas mollo, on se retrouve avec de la poudre de tabac. C&D a pour principe de ne pas nous vendre de la flotte au prix du tabac. Le Five O’Clock Shadow est donc prêt à l’emploi.

Première impression : le red virginia doux et fruité occupe le devant de la scène. Mais très vite le perique pointe la tête et on change de registre : la douceur et le fruité se font plus discrets, alors que des acides et du poivre ravivent le tout. Le kentucky apporte de la virilité mais sans développer ses typiques saveurs de grillé. Par contre, je goûte du boisé et de vagues notes de noisettes.

Les différents ingrédients s’imbriquent rapidement et nous livrent une fumée équilibrée, aigre-douce, épicée et discrètement fruitée. A partir de la deuxième moitié, les goûts s’approfondissent et s’intensifient pendant que le virginia revient en force. Avec son goût ample et percutant et avec sa robuste dose de vitamine N, le Five O’Clock Shadow est un VA/perique assez classique avec un punch certain.

C’est confirmé : voilà un blend passablement macho qui s’adresse à ceux qui aiment les sensations fortes. Ce n’est donc pas un all day smoke, mais plutôt un tabac à déguster après un bon repas.

Tabakhaus Falkum, Old Days 5

Produit par MacBaren, le Old Days 5 est un burley flake avec une pincée de virginia. Bien que le site web de Falkum mentionne des notes chocolatées, je ne les sens pas. A l’ouverture, le tabac ne fait nullement penser au burley : étrangement il dégage des arômes de cube bouillon. Le lendemain, je sens surtout des noisettes et plus tard encore ce sont des accents terreux qui prennent le dessus.

Les flakes roux et bruns sont secs, ce qui permet un bourrage immédiat. Dès le début, le Old Days 5 développe des saveurs classiques de burley : toujours pas de chocolat, mais du terreux à souhait, une pointe de noisettes et un petit piquant. A cela s’ajoute un évident goût de cigare shortfiller. Le virginia de son côté n’influe pas sur le goût, mais se borne à mitiger la carence en sucre du burley.

Tabakhaus Falkum, Old Days 5

Le tabac n’est pas particulièrement complexe et n’évolue pas. C’est un blend à l’ancienne, strict, sans aucune fioriture. Je comprends qu’on puisse le lui reprocher. Personnellement, j’aime bien ce genre de burley blend basique et simple mais goûteux, même s’il ne me transporte pas au septième ciel. C’est le genre de tabac qui ne demande aucune attention particulière et qui fait discrètement son boulot pendant que vous vaquez à vos occupations.

Combustion facile, force moyenne, pas la moindre trace de morsure. Parfait pour les débutants désireux de découvrir le burley sans chichi. Pour les fans plus chevronnés, ce mélange permet de découvrir un burley qui s‘exprime davantage sur le cigare que beaucoup de cigar blends.

McClelland, Christmas Cheer 2014

Rappelez-vous : à l’occasion de Noël, McClelland sortait tous les ans une prestigieuse édition limitée. Non pas le traditionnel aro écœurant dans une rutilante boîte kitsch, mais un pur virginia trié sur le volet. Ainsi la cuvée 2014 ne contient que du red virginia parfaitement mûr récolté en 2009 dans un seul champ de tabac en Caroline du Nord. Un tabac de terroir donc qui, vu sa richesse en sucres et en huiles, est destiné à être encavé.

Pourtant, dès l’ouverture de la boîte, j’ai l’impression que le blender n’a pas cherché à mettre en valeur l’expression du terroir. Au contraire, le nez intense est totalement marqué par le typique style maison. Je sens donc ce légendaire mélange de ketchup et de vinaigre balsamique dont personnellement je raffole.

Le tabac se présente sous la forme d’épais morceaux de broken flakes aux diverses teintes brunes. Malgré cette épaisseur, les broken flakes se transforment aisément en fragments bourrables qui ne nécessitent pas de séchage.

Surprise. Dès les premières bouffées, il s’avère que le terroir s’exprime tout de même. Certes je goûte la griffe maison avec de l’aigre-doux épicé et poivré, du boisé et des fruits secs, mais ce qui me frappe également, c’est un goût terreux que je ne retrouve pas dans les autres virginias rouges de McClelland. Et les premières secondes, avant que l’acide balsamique ne s’en mêle, je note l’opulente douceur du virginia.

Après l’introduction et les premières variations, la fumée se stabilise et on découvre alors un tabac parfaitement équilibré qui n’a plus grand-chose en commun avec le nez. Plutôt que le ketchup, je goûte des épices comme le poivre ou le gingembre, alors que le fruité, le boisé et le terreux se font plus discrets. Le piquant des épices est renforcé par une acidité très présente, mais efficacement contrebalancée par la sucrosité, ce qui fait que la fumée n’attaque ni la langue ni les muqueuses. Si le Christmas Cheer 2014 est passablement complexe, il ne vise ni la finesse ni la subtilité. C’est au contraire un tabac dense qui me semble trop intense pour servir de all day smoke. D’ailleurs, je ne me vois pas le fumer dans des pipes au volume XL.

En cours de route je n’observe pas d’évolutivité particulière. Par contre, je note la combustion parfaite qui me permet de finir les pipes sans rallumages. Quant au taux en vitamine N, on est dans une bonne moyenne.

Le mythe de McClelland était avant tout fondé sur la qualité de ses red virginias et sur le traitement tout particulier qu’ils subissaient. Le Christmas Cheer 2014 confirme cette réputation. Il montre avec autorité de quoi est capable du pur virginia sélectionné avec soin et travaillé avec passion et savoir-faire.