Font-ils un tabac ? n°139

par Erwin Van Hove

22/01/24

Hearth & Home, Virginia Spice

Temple BarRuss Ouellette décrit ce mélange comme suit : Pour le fumeur de pipe qui apprécie vraiment le pur et doux épicé de virginias maturés, mais qui cherche quelque chose d’un peu différent. Cette différence s’exprime par un petit goût de pruneau et de poivre dû à l’emploi de perique et par une rondeur et une richesse accrues grâce à l’ajout de tabac à cigare.

Il est vrai que quand il est utilisé à bon escient, le tabac à cigare apporte effectivement rondeur et complexité. Le Key Largo de Greg Pease, le Habana Daydream de Cornell & Diehl, le Cuban Mixture de Peretti, le Storm Front de John Patton ou le Manyara et le Nyala de Hans Wiedemann nous en apportent la preuve. Malheureusement il existe également bon nombre de cigar blends médiocres, voire ratés. Aussi dans l’écurie Hearth & Home. Ainsi le Stogie (Font-ils un tabac ? n°41) m’avait passablement déçu. Voyons si le Virginia Spice arrive à me combler davantage.

Avec ses boîtes volumineuses qui ne contiennent qu’une bonne quarantaine de grammes de tabac, Ouellette veut clairement stimuler la fermentation aérobie. Comme celle que j’ouvre a été conservée pendant une dizaine d’années, je compte retrouver un tabac parfaitement fondu par le temps. C’est le cas parce que plutôt que des odeurs individuelles, je sens un tout fort discret et difficilement définissable. Pas de trace perceptible de tabac à cigare, une vague note moisie de perique, un peu d’acidité volatile des virginias. Le tout est plutôt terne et terreux.

Les brins fins et multicolores sont secs mais suffisamment souples, et permettent un bourrage immédiat. L’allumage terminé, je sens d’emblée l’influence bienfaisante du tabac à cigare. La fumée procure une sensation de velours. Heureusement parce que bientôt une acidité piquante se manifeste. Et ce n’est pas le genre d’acidité tonifiante qui égaie un mélange, mais au contraire une acidité incisive qui picote la bouche. Désormais le tabac à cigare ne peut plus exhiber son moelleux, obligé qu’il est de combattre la causticité de la fumée. Et il n’y parvient pas vraiment : la désagréable sensation de picotement perdure et finit même par se transformer en morsure de la langue.

Tullagreme House N° 3

Côté saveurs, on est proche du nez, c’est-à-dire qu’elles sont inexpressives et indéterminables. D’autant plus qu’elles sont complètement dominées par les acides piquants. On sent que les virginias sont sucrés, mais ils n’arrivent pas à instaurer un équilibre aigre-doux. Bref, le déséquilibre est total.

Plutôt qu’un tabac harmonieusement fondu par le temps, le Virginia Spice est un pitbull agressif. Si tous les tabacs étaient du même acabit, je deviendrais sans regrets non-fumeur. Pourtant, sur Tobaccoreviews personne ne fait état de la mordante causticité qui me torture la langue. Franchement, je n’y comprends rien.

Rattray’s, Stirling Flake

Tabakhaus Falkum, Tullagreme House N° 3Impossible d’aborder le Stirling Flake de Rattray’s sans mentionner au préalable l’Irish Flake de Peterson. En réalité, le Stirling Flake produit par le Scandinavian Tobacco Group pour Kohlhase & Kopp est une copie conforme de l’Irish Flake de l’époque où K&K détenait les licences des tabacs Peterson. Quand en 2014 Mac Baren les a reprises, la firme danoise s’est immédiatement mise à commercialiser sa propre gamme de Peterson. K&K de son côté a alors décidé de sortir sous la bannière de Rattray’s des clones de son ancienne ligne Peterson. Seuls les noms des mélanges ont changé, alors que les recettes ont été conservées. La situation change le 20 juillet 2018 quand le STG lance un communiqué de presse pour annoncer l’achat de la marque Peterson. Exit Mac Baren. Désormais le Scandinavian Tobacco Group produit à la fois l’Irish Flake de Peterson et le Stirling Flake de Rattray’s pour le compte de Kohlhase & Kopp. Remarquez que depuis le 1er janvier de cette année, la firme K&K a été rebaptisée en Kopp Tobaccos. En effet, à l’occasion d’un différend avec les frères Kopp, les frères Kohlhase ont claqué la porte.

Après avoir fumé à plusieurs reprises le Rattray’s et après avoir comparé mes notes de dégustation avec mon article sur le Peterson, je peux confirmer qu’il s’agit effectivement de deux tabacs identiques. Je ne vois donc pas de raison pour vous pondre une nouvelle analyse. Je vous renvoie simplement à mon texte sur l’Irish Flake : Font-ils un tabac ? n°36.

La réputation de Rattray’s est en grande partie basée sur des blends comme le Marlin Flake, le Hal O’ The Wynd ou le Old Gowrie. Le Stirling Flake de son côté ne jouit nullement de cette renommée. C’est dommage et injuste. À mon avis, il a autrement plus de caractère que ses illustres membres de famille. Et je ne suis pas seul à le penser : c’est l’unique non aromatique de la famille Rattray’s à avoir obtenu sur Tobaccoreviews un score de quatre étoiles.

Ce flake qui carbure au kentucky devrait plaire aux fans du Bold Kentucky et de l’emploiOld Dark Fired de Mac Baren ou des mélanges à base de kentucky en provenance du Lakeland

Astley’s, N° 109

Temple BarLa célèbre civette londonienne établie au 109 Jermyn Street (orthographié Jermeyn Street sur la boîte) a définitivement fermé les portes en 1998. Les droits sur la marque de pipes Astley’s ont été rachetés par Moty Ezrati qui possédait déjà la marque James Upshall, alors que K&K a acquis la marque de tabacs. Bref, depuis belle lurette la gamme des blends Astley’s est produite en Allemagne. Or, si elle est partout disponible aux Etats-Unis, elle est curieusement absente du marché allemand.

Une fois de plus, les ingrédients diffèrent selon la source qu’on consulte. La plupart des commerçants confirment ce qui est écrit sur la boîte : c’est un pur virginia. D’autres sont plus spécifiques et parlent de dark virginia, alors que d’autres encore affirment qu’il s’agit de virginia rouge et orange. Pourtant, l’Arango Cigar Co., quand même l’importateur et le distributeur américain, mentionne également l’emploi de black cavendish et de perique.

La rondelle de papier qui couvre le tabac a visiblement absorbé pas mal d’humidité et du tabac adhère sur toute la surface du papier. D’ailleurs les broken flakes très sombres avec des teintes anthracite, aubergine et brun foncé sont collants au toucher. Ma première impression olfactive semble confirmer la présence de black cavendish puisque je sens du grillé et de la mélasse. Le lendemain je sens du pruneau, du sucre de canne et une note torréfiée sur le café. Pour le perique, je n’en sais rien, mais je reste convaincu que le mélange contient du cavendish. Ou quelque topping.

Le couvercle de la boîte porte à la fois la mention Medium Flake et A mild & mellow flake. D’ailleurs plusieurs sites décrivent le mélange comme un all-day smoke. Je ne dois donc pas m’attendre à un virginia blend au caractère bien trempé. Après l’allumage je comprends vite que c’est tout sauf un tabac que je voudrais fumer à longueur de journée. Je repère pas mal de sucre mais en même temps une amertume désagréable qui en contrecarre les effets bienfaisants. Mellow ? Mon œil. Pire : le goût ne me semble pas naturel et il est clair que ce soi-disant virginia pure nature est cavendishisé. Je goûte du torréfié, de la mélasse, des épices, mais également une saveur impure et artificielle qui me coupe l’appétit. Les saveurs ne s’expriment ni avec précision ni avec finesse, mais forment un amalgame qui me déplaît immédiatement. En cours de route ça ne s’arrange pas parce que le tabac n’est aucunement évolutif. Je suis donc rapidement écœuré et quand je pose ma pipe pour prendre une pause, j’ai en bouche un arrière-goût vraiment sale qui me fait penser que le cavendish a été saucé.

Tout ça me rappelle quelque chose. Je relis donc mon texte sur le Astley’s N° 44 et voilà que je tombe sur ce passage révélateur : Après l'allumage, la fumée véhicule des saveurs douces de fruits secs, mais immédiatement après je décèle un goût que je qualifierais de chimique. Et ce goût dénature le fruité et pollue la sensation en bouche : la fumée devient rugueuse et bientôt mon palais se tapisse d'un fond désagréablement acide et amer et d'un arrière-goût déplaisant et incisif. J'en ai l'appétit coupé.

C’est limpide : Astley’s et moi, ça fait deux. Remarquez que cette incompatibilité est subjective puisque tout comme le 44, le 109 obtient un score tout à fait respectable sur Tobaccoreviews. Je suppose qu’ils ne peuvent pas tous se tromper. D’ailleurs, je dois admettre que sous l’effet de l’oxygénation, le dernier tiers de la boîte passait mieux. Mais mieux n’est pas synonyme de bien.