Depuis des décennies la série Tullagreme House est l’un des piliers du vaste portefeuille de tabacs maison Falkum. En ce moment elle compte seize mélanges qui pour tout nom portent un numéro et qui, à quelques exceptions près, ne contiennent pas d’arômes ajoutés..
Sur le site de Falkum je lis que le N° 3 est un virginia flake pure nature qui a subi un processus de fermentation et d’oxydation. Le conditionnement du tabac est fort soigné et en dépliant l’écrin en papier je retrouve deux rangées de tranches larges et minces qui combinent une couleur aubergine avec divers bruns. Elles sont légèrement collantes quand je les triture mais elles se transforment facilement en brins.
La toute première odeur est appétissante et assez complexe : je sens l’effet de la fermentation, du pain pumpernickel et une petite note d’Oxo. Cette première vague passée, le nez se fait nettement plus discret et dégage désormais une sobre odeur de tabac naturel aux accents de pain, ce qui me donne à penser qu’en bouche il s’agira d’un VA sans tralala.
Je ne me suis pas trompé. D’emblée je comprends qu’il ne s’agit ni d’un virginia fringant et citronné, ni d’un voluptueux VA doux et fruité. Je me retrouve au contraire dans un registre qui n’a rien de flatteur. De l’amertume et peu de sucres, un goût monolithique indéterminable qui se cantonne entièrement dans les tons graves, un caractère austère, une volonté rectiligne de refuser toute évolution. Bref, il est clair qu’ici on ne rigole pas.
Ce mélange m’inspire un double sentiment. D’une part, ce sérieux exacerbé qui exclut toute gaieté, ne me procure aucun plaisir. D’autre part, je note tout de même que ce flake est bien ficelé : sans couacs ni heurts, les virginias réussissent à créer un tout gustatif robuste comme un char allemand. En outre, quoique virile et puissante, la fumée n’a rien d’agressif, et malgré son amertume et son manque de sucre, le tabac ne devient jamais acerbe. Il n’est donc pas exclu que ce flake spartiate et rigoriste plaise aux jansénistes de la pipe.
Moi, je me suis ennuyé ferme. Entre le sérieux et la lourdeur, la frontière est mince.
Dans Font-ils un tabac ? n°118, je vous ai présenté le Regents Flake qui est la version en flake du Temple Bar vendu sous forme de plug. Les ingrédients des deux versions sont donc exactement identiques. Or, bizarrement, alors que pour le Regents Flake le flou artistique règne autour de la composition du mélange, pour le Temple Bar Greg Pease est clair et précis : des virginias rouges et blonds, une bonne portion de tabacs d’Orient et une pincée de perique.
Dans Font-ils un tabac ? n°118, je vous ai présenté le Regents Flake qui est la version en flake du Temple Bar vendu sous forme de plug. Les ingrédients des deux versions sont donc exactement identiques. Or, bizarrement, alors que pour le Regents Flake le flou artistique règne autour de la composition du mélange, pour le Temple Bar Greg Pease est clair et précis : des virginias rouges et blonds, une bonne portion de tabacs d’Orient et une pincée de perique.
La boîte que j’ouvre date de 2016. Pendant un instant je sens du parmesan et des odeurs vineuses. Je laisse au tabac le temps d’éliminer les odeurs de réduction et deux jours plus tard je découvre un nez riche et complexe qui a conservé des arômes de vin épicé, mais qui développe surtout un beau fruité sur le citron et la pomme séchée. C’est un nez joyeux et estival qui trahit l’emploi d’herbes orientales triées sur le volet.
Peu compact, le Temple Bar hésite entre le plug et le cake. Il est donc facile d’en découper des tranches et de les transformer en fragments bourrables. A l’instant où le tabac s’embrase, une vague de saveurs qui correspond parfaitement au nez, explose en bouche. A part le citron et la pomme séchée, je décèle des épices aromatiques plutôt que piquantes, une réconfortante dose de sucre caractéristique du smyrna et des acides nobles. Quelques minutes plus tard une note amère vient compléter le tableau. Et quel tableau ! Fondues par le temps, les saveurs s’entremêlent pour former un tout harmonieux et fort agréable.
Est-ce dû à la différence entre un plug et un flake ou plutôt aux deux années supplémentaires d’encavement ? Toujours est-il que le Temple Bar me plaît davantage que le Regents Flake parce que tout au long du fumage il se comporte comme un vrai mélange oriental : le goût vivace et fascinant, le registre aigu, l’aigre-doux parfaitement balancé en font un modèle du genre. Je suis incapable de déterminer l’influence du perique, mais il faut mentionner la qualité des virginias fruités et doux.
Le tabac se consume lentement et sans encombres, n’agresse nullement la langue et contient suffisamment de vitamine N pour vous assouvir. En cours de route se développe un léger boisé qui tempère le goût vif. D’ailleurs, à partir de la deuxième moitié du bol, le tabac gagne en rondeur. N’empêche que l’acidité citronnée continue à marquer le goût.
Grâce au talent de monsieur Pease et au stock de tabac turc de C&D, le Temple Bar est un oriental blend réussi. C’est ce genre de mélange qui nous fait appréhender l’incomparable richesse aromatique des tabacs d’Orient.
Dans Font-ils un tabac ? n°122 je vous ai retracé l’histoire du légendaire Three Nuns. À ce moment, j’avais rapporté que Mac Baren, le nouveau propriétaire de la marque, en avait sorti trois versions : la jaune, un pur VA, la verte avec du perique et la rouge avec du kentucky. Pour l’heure toutes trois sont encore disponibles dans le commerce, mais à ma surprise je viens de constater que le site officiel de Mac Baren ne présente plus que la boîte rouge. Force m’est de conclure que la production des deux autres a été arrêtée. Si c’est le cas, je regrette la disparition du Three Nuns jaune parce que je l’appréciais beaucoup : Three Nuns
La version rouge reprend donc la recette introduite fin des années 90 par Imperial Tobacco/BAT quand le perique a été remplacé par du fire cured kentucky, une décision fort critiquée à l’époque. Moi aussi, j’ai amèrement regretté la disparition de l’authentique Three Nuns parce que c’était l’un de mes tabacs préférés : Font-ils un tabac ? n°3. Certes, son successeur produit chez Orlik au Danemark était loin d’être mauvais, mais il était clair que la magie avait disparu. Voyons si Mac Baren fait mieux.
La traditionnelle boîte rectangulaire a été abandonnée au profit d’une ronde. Dès l’ouverture, je note une première différence : avant, le Three Nuns jeune arborait pas mal de teintes blondes et dorées, alors que maintenant ce sont clairement les bruns qui dominent. Le nez lui aussi me réserve une surprise : alors que son prédécesseur dégageait de franches odeurs acides et épicées, il se montre fort discret. Il sent fondamentalement le tabac avec une touche de moisi que j’associe au perique et non pas au kentucky. D’ailleurs je ne décèle pas de notes grillées ou torréfiées typiques d’un tabac fire cured. Bizarre. Une semaine plus tard, plus de trace des relents de moisi et en humant profondément, je décèle désormais la présence du kentucky.
Les curlies sont secs, ce qui permet un bourrage immédiat. D’emblée, le Three Nuns façon Mac Baren livre son âme : c’est une version grand public du tabac au caractère si trempé qui jadis comptait autant de fans que de détracteurs. À l’époque, la fumée virile, poivrée et acide se démarquait par son impact revigorant et incisif. Maintenant cette caractéristique fondamentale a disparu. Certes, ce n’est toujours pas un mélange doux et flatteur et il est vrai qu’on ressent encore l’effet d’une certaine acidité et d’une touche piquante, mais rien à voir avec le kick tonique qu’on ressentait avant. Je suis surtout surpris que la fumée s’exprime dans un registre grave et plutôt sombre, alors que la recette de chez Orlik optait résolument pour un registre aigu. C’est comme si on avait remplacé une clarinette par un hautbois.
Pourtant, malgré ces critiques, je dois avouer que le Three Nuns 2.0 est vraiment bien fait : il tisse un tout gustatif cohérent dans lequel le virginia et le kentucky s’entrelacent harmonieusement, il ne mord pas, il se consume sans problèmes, il contient suffisamment de vitamine N, et il s’intensifie et s’approfondit vers la fin. C’est donc sans conteste un mélange réussi qui arrive à me plaire. Que du positif. Il mériterait même sa place dans la série des Roll Cakes de la marque.
Seulement voilà, il est baptisé Three Nuns et en tant que reproduction du curly cut mythique, il déçoit. De la si typique personnalité récalcitrante des trois nonnettes, il ne reste plus grand-chose. Vu ses incontestables qualités, ce tabac a tous les atouts pour devenir un succès commercial. Mais en cherchant à plaire au plus grand nombre, Mac Baren risque d’aliéner les fans purs et durs d’une des créations les plus originales de l’histoire du tabac.