Font-ils un tabac ? n°105

par Erwin Van Hove

20/04/20

Cornell & Diehl, Good Morning

Virginias, tabacs d'Orient, latakia. Neuf fois sur dix, quand un mélange avec du latakia porte un nom à connotation matinale, vous pouvez parier qu'il se pose pour but d'imiter ou d'émuler le célébrissime Dunhill Early Morning Pipe. Le Good Morning n'est pas une exception à cette règle et C&D ne s'en cache pas : Reminiscent of a classic Dunhill blend devoted to morning puffing.

C'est sans enthousiasme que je lis cette affirmation puisque je vous ai déjà avoué par le passé que les charmes du féminin et aérien Dunhill me laissent de marbre. (artfontilsuntabac49) Voyons si la création de Craig Tarler et de Bob Runowski arrive davantage à m'enflammer.

La boîte que je m'apprête à déguster est âgée de dix ans et demi. Quand je l'ouvre, j'entends un long pschitt et à l'instant même je sens clairement des odeurs de vin rouge boisé et de fromage. Ensuite, quand le couvercle est enlevé, je décèle des notes de jus de raisin, suivies l'espace d'un instant d'une odeur qui me rappelle une boîte d'ananas. Bizarre. L'effet de réduction passé, le tabac révèle sa vraie nature : des senteurs automnales de terreau, de feuille morte, de moisi, de cuir, de pommes séchant au grenier. Pas de fumé, remarquez.

La composition semble complexe. Je vois des blonds, des fauves, divers bruns, de l'aubergine et très peu de noir. Plutôt que des brins, je découvre un mélange de fragments de tabac de diverses tailles et même de petits morceaux de broken flake. Dans son ensemble, il s'agit d'une coupe assez large. Comme d'habitude chez Cornell & Diehl, le tabac est sec au toucher.

Passons aux saveurs. Les premières bouffées sont fort plaisantes, marquées qu'elles sont par des orientaux crémeux, voire beurrés et par un petit goût de réglisse. C'est une entrée en matière subtile et gracieuse. J'aurais aimé qu'elle dure, mais bientôt se développe une couche d'acidité et d'amertume épicées qui chasse la crémosité. Même les virginias ont du mal à contrebalancer la vague caustique. Désormais les goûts changent : piment, bois, noix grillée, toast brûlé. Avec l'apport du latakia, on est donc désormais bel et bien dans le thème empyreumatique, mais pas pour autant dans les saveurs fumées. Cette phase qui couvre les trois quarts de la durée du fumage, ne me plaît absolument pas. Je n'ai jamais l'impression que les ingrédients travaillent ensemble pour atteindre l'harmonie.

En lisant les analyses sur Tobaccoreviews, je note qu'une majorité de dégustateurs prétend que le C&D se rapproche réellement du modèle dunhillien alors que ces similitudes m'échappent complètement. Remarquez que cette divergence d'opinions ne doit pas étonner vu que mon tabac arrivé à pleine maturité n'a plus grand-chose en commun avec une boîte fraîchement produite. Toutefois, j'admets qu'en dépit de la différence d'âge, le modèle et l'imitation ont une caractéristique en commun : leur légèreté. Si le Good Morning me semble un tantinet plus puissant que l'Early Morning Pipe, tous deux produisent une fumée que je juge trop fluette. Je ne veux pas dire par là que le C&D manque de goût. Je lui reproche plutôt un manque de volume et de densité.

Arrive le final qui instaure un nouvel équilibre : les goûts se fondent en un tout aigre-doux avec des notes de réglisse, de pruneau et de grillé qui ne me transporte pas au septième ciel, mais qui m'apporte un début de consolation.

Trop aigre, trop incohérent, trop chétif, le Good Morning me déçoit. Par ailleurs, je me demande qui voudrait bien fumer le matin un tabac aussi acerbe. Moi pas en tout cas. Alors, contrairement à mes principes, j'ai décidé de jouer aux blenders amateurs en incorporant 20% de Pirate Kake (artfontilsuntabac2) au mélange. Instantanément l'aigreur a été absorbée, le tabac a pris de la carrure et s'est mis à produire un goût d'anglais respectable. Cette version Good Night est autrement plus satisfaisante. Comme quoi, les principes ne servent qu'à être transgressés.

L.J. Peretti, Blend N° 333

Sur le site web de Peretti, le 333 est présenté comme un burley blend naturel et assez puissant. Tout ce que j'aime. En plus, à l'ouverture je découvre ma coupe préférée pour un burley : un cube cut. En y regardant de plus près, je dois nuancer : plutôt que de petits cubes, il s'agit d'un amalgame de fragments de tabac de forme et de taille irrégulières dont une bonne partie est aussi épaisse que longue, ce qui fait qu'au moment du bourrage, il faut procéder comme avec un authentique cube cut, c'est-à-dire qu'il suffit de laisser tomber les fragments dans le fourneau et de les tasser avec un minimum de pression.

Pour décrire le nez, je ne dois pas réfléchir. D'emblée je reconnais très exactement les arômes qui émanent du tabac. Ce sont les odeurs de ma boulangerie quand le dimanche matin les viennoiseries fraîchement cuites attendent les clients en quête de leur petit-déjeuner dominical. Croûtes croustillantes, pains au chocolat, noix de coco, sucre caramélisé, glaçage au sucre. Et tout ça forme un tout harmonieux, plein de nuances. Des arômes qui dérident et qui mettent en appétit.

Il ne me faut que quelques bouffées pour savoir que c'est parti pour une partie de plaisir. La fumée véhicule à la fois le typique goût terreux du burley, des saveurs qui reprennent le thème boulanger avec du pain toasté, de la mélasse, de la noix de coco et des noisettes, et un fond gentiment épicé. Et cette combinaison marche à merveille. Elle marche peut-être même trop bien pour un burley pur et dur. Ce n'est sûrement pas un mélange doucereux, mais le fond est tout de même plus sucré que ce qu'on attend d'un typique burley droit et sec. Je ne serais donc pas surpris d'apprendre que le 333 soit dopé au virginia ou même au moyen d'un léger sauçage. Ceci dit, je n'ai aucune raison de m'en plaindre, d'autant plus que la douceur est tenue en équilibre par une acidité toujours présente mais jamais pesante.

Si Peretti taxe son burley de puissant, pour moi, le mélange est de force moyenne. Et c'est pareil pour l'intensité des saveurs : elles se développent franchement mais sans matraquer le palais. A condition de ne pas tasser pour un oui pour un non, le tabac se consume régulièrement et lentement, sans chauffer ni mordre. Vers la fin, les acides gagnent en ampleur, mais sans devenir agressifs, et les goûts s'intensifient quelque peu. Cela ne fait pas pour autant du 333 un tabac évolutif. Mais est-ce vraiment une tare quand du début à la fin les saveurs restent si agréables ?

Peretti est réputé pour la qualité de ses burley blends. Le Blend N° 333 justifie avec brio cette réputation. C'est un tabac que tout amateur de burley se doit d'essayer un jour.

TAK, Hallo Twist

Une fois de plus je ne comprends rien à la désinvolture avec laquelle, trop souvent, les blenders nous « informent ». Tenez : sur le site web de Thomas Darasz, le Hallo Twist se retrouve dans la liste des tabacs légèrement aromatisés. Or, quand on clique sur le nom du tabac pour ouvrir la page de présentation, on découvre la classification naturbelassen. Pure nature donc. Avouez que ça ne fait pas très sérieux.

Introduit au printemps 2017, le Hallo Twist a été retiré du marché quelques mois plus tard à cause d'un problème de moisissure. Selon une source fiable, Thomas Darasz qui par principe refuse l'emploi de tout produit chimique, a remédié au problème en diminuant le degré d'humidité des tabacs et en augmentant le taux de sel. Cette méthode a dû faire l'affaire, puisque depuis la sortie de la version 2.0, il n'y a plus eu de plaintes.

Le Hallo Twist est composé de divers virginias, de perique et de black cavendish. Les cent grammes de tabac que contient mon ziplock, se présentent sous forme d'un morceau de twist replié sur lui-même, sans début ni fin. Pour en découvrir l'intérieur, il faut donc le déchirer ou le couper. Quand on compare les différentes photos du twist qu'on trouve ici et là sur le web, le manque d'uniformité saute aux yeux. La plupart des images révèlent des tons foncés, alors que sur d'autres, on découvre des capes qui combinent des fauves, des oranges et des bruns. Et c'est pareil pour les cœurs. Regardez les photos des twists découpés : on dirait deux tabacs complètement différents. La cape du twist que je m'apprête à déguster est riche en couleurs : du fauve, de l'orange, des bruns clairs et plus foncés. Et quand je casse le twist en deux endroits, je découvre deux surfaces différentes : l'une est nettement plus noire que l'autre.

On peut évidemment considérer ce flagrant manque d'uniformité comme une inacceptable erreur. Ce serait, me semble-t-il, sous-estimer le savoir-faire du blender. Ce serait également en surtout ignorer l'esprit inquisiteur et novateur de Thomas Darasz qui est à la fois un grand espiègle et un iconoclaste qui se contrefiche des règles. Ainsi, dans le cas du Hallo Twist, le blender semble proposer au fumeur deux options : ou bien découper tout le twist pour en faire ensuite un mélange uniforme, ou bien découper avant le bourrage quelques rondelles, ce qui permet de découvrir à chaque fumage une série de variations. Personnellement, j'ai opté pour un compromis : j'ai découpé systématiquement un volume de tabac suffisant pour bourrer cinq ou six pipes.

TAK Hallo Twist
TAK Hallo Twist


Vu l'hygrométrie plus basse que d'habitude, les rondelles se désagrègent immédiatement. Ainsi j'obtiens très facilement une très grosse coupe prête à être bourrée. Les odeurs que je perçois me déconcertent : alors que le texte descriptif de Darasz mentionne des arômes de pruneau et de raisins secs et que sur Tobaccoreviews divers dégustateurs affirment avec aplomb que le nez est clairement fruité – raisins, figues, pruneaux selon les uns, fruits noirs, fruits étuvés et même pêches selon les autres – avec la meilleure volonté du monde, je suis incapable de découvrir la moindre odeur de fruit. De l'acidité volatile, oui. Mais surtout une odeur franche et honnête de tabac vraiment naturel. Une odeur discrète, fine, élégante, gentiment acide qui me plaît beaucoup.

Chaque fumage s'avère un voyage de découverte, tant les différences d'une pipée à l'autre sont remarquables. Par conséquent, il est impossible d'écrire une analyse qui couvre toute cette passionnante richesse.

Je relève cependant une constante : la structure équilibrée. Certes, certains fumages étaient plus marqués par une acidité que je qualifierais de noble et d'autres par une douceur plus opulente, mais fondamentalement l'harmonie entre sucres bien dosés, acidité revigorante, amertume parfaitement contrôlée et salinité tonifiante était systématiquement au rendez-vous. En outre, j'ai observé que toutes les pipes ont révélé une force assez masculine mais jamais excessive, une combustion lente et un manque total d'agressivité.

Quant aux saveurs, mes notes couvrent un spectre très vaste, allant d'une fumée droite, pure, naturelle où les tabacs, plutôt que de susciter des analogies, s'expriment sur des goûts de tabac, en passant par des pipées dominées par les épices, jusqu'à des saveurs riches et flatteuses dans lesquelles les accents grillés et le sucre caramélisé du black cavendish complémentent le goût de pruneau épicé du perique. Bref, le Hallo Twist est incroyablement versatile.

Et c'est justement cette versatilité et donc cette complexité qui rendent le Hallo Twist si attachant. Et si original. Tel que je l'ai dégusté, c'est à mes yeux un tabac qui sort du lot et que je recommande sans réserve. Ceci dit, vu les stupéfiantes variations d'un twist à l'autre, je ne peux nullement garantir que votre éventuel futur achat corresponde à la passionnante expérience que je viens de vivre. N'empêche que ça vaut la peine d'essayer, non ?

PS : Ce texte a été rédigé en décembre 2019. Depuis, mon enthousiasme initial s'est transformé en exaspération quand j'ai constaté qu'un un bocal rempli de Hallo Twist en avril 2019 était infesté de moisissures. Pour plus d'information sur ce problème récurrent, je vous renvoie à artchampignon.