Des virginias blonds, du dark fired virginia, du burley et du tabac d'Inde dont la variété n'est pas spécifiée, sont aromatisés au rhum et au sirop d'érable, pressés, coupés en tranches et transformés en broken flakes. Aux dires du producteur, le Hyde Park serait un mélange anglais traditionnel. A prendre avec un grain de sel.
Je vois du blond mais avant tout des bruns. Les odeurs qui émanent de la boîte sont sombres et automnales : du terreux du burley, une touche empyreumatique du dark fired virginia, un fond de sirop d'érable, une odeur médicamenteuse et, vaguement, quelque chose de floral dans le style Lakeland. La présence de rhum m'échappe. Somme toute, un nez assez introverti qui me laisse de marbre.
C'est pareil au fumage. Ce que je goûte correspond parfaitement au nez et ne me fait donc ni chaud ni froid. Le Hyde Park est exactement le genre de mélange pour lequel je n'éprouve aucune sympathie vu que sa seule et unique raison d'être, c'est de ne pas déplaire au plus grand nombre. Le fabricant cible à la fois les amateurs d'aromatiques et la clientèle de tabacs naturels, étant donné que l'aromatisation reste discrète. Malheureusement, le résultat est un tabac ni chair ni poisson qui, me semble-t-il, n'arrive ni à enthousiasmer le fan d'aros ni à convaincre le fumeur puriste.
Cela ne veut pas dire que le Hyde Park soit franchement mauvais. Il se consume sans encombres, fiche la paix à votre langue et développe des goûts sans évidente disharmonie. Mais en même temps ces saveurs ne sont pas agréables. Superficielles et monotones, elles manquent de définition, de profondeur et de complexité et finissent toujours par me barber. En plus, je n'aime absolument pas l'arrière-goût qui pollue ma bouche : de la cendre et quelque chose de chimique qui me colle à la langue.
La gamme des tabacs Peterson ne m'a jamais inspiré le respect. Ce n'est sûrement pas le Hyde Park qui me fera changer d'avis pour la bonne raison qu'à mes yeux, il n'a strictement aucun intérêt.
Elwood of London. C'est clair, plus britannique que ça, on meurt. Pourtant, ce tabac est produit en Allemagne chez Dan Tobacco. Sur le couvercle de la boîte trône une image d'une bulldog droite, de toute évidence une Ferndown. Que ce soit justement une Ferndown qui illustre la boîte, ne relève pas du hasard. Qui les fabrique ? Les Wood. L. Wood donc. Elwood. Par ailleurs, pendant de longues années le même nom de marque a servi à Dan Pipe pour écouler des pipes de la main de Les Wood.
En consultant le catalogue de Dan Pipe, on constate que la gamme des tabacs Elwood of London se limite en tout et pour tout à un seul produit. Cela étant, il semble bizarre de l'avoir baptisé Number 2. Pourtant, l'explication est toute simple : jadis, la gamme était composée de trois mélanges différents dont deux ne sont plus produits.
Celui qui subsiste est un flake composé de virginias de quatre origines différentes et de tabacs d'Orient, aromatisé à la figue. Euh, un aro ? Je me gratte la tête : pourquoi aurais-je acheté ça ? Puis, ça me revient : comme j'aime beaucoup les mélanges dans le style de l'Escudo où le perique s'exprime sur les fruits secs et notamment sur la figue, l'effet d'un casing à la figue m'a rendu curieux.
Parfois j'aimerais être moins curieux…
Ma boîte pue le chewing gum aux fruits rouges et le sirop contre la toux pour mômes. Elle ne sent pas la figue. Du tout. Ni le tabac d'ailleurs. C'est une vulgaire odeur d'aro, voire une odeur d'aro vulgaire. Ça promet.
Promesse tenue. Le goût des tabacs est complètement dénaturé par un écœurant fruité artificiel qui ne me rappelle en rien la figue et encore moins l'Escudo. Pour vous faire une idée des saveurs véhiculées par la fumée, revenez aux années 80 et inhalez la fragrance d'un pot-pourri fruité. Moi, ça me coupe totalement et définitivement l'appétit. En plus, très vite, la fumée devient acide et amère et me tapisse le palais d'un goût chimique vraiment sale. Bref, c'est exactement le genre de mélange que je déteste. Après une demi-douzaine d'essais – le sacrifice, ça existe – la boîte est passée à la poubelle. Bon débarras.
BPC. Burley Plug Cut. D'habitude, un plug qu'on découpe, ça donne des flakes. Mais on peut également découper un plug en tranches épaisses pour les découper ensuite en petits cubes. C'est ce qui s'appelle un cube cut. Ce qui est franchement étonnant, c'est que cette pratique semble réservée exclusivement au burley. La raison m'a toujours intrigué et un jour, j'ai demandé à Greg Pease de m'expliquer le pourquoi du comment. Or, il s'est avéré qu'il ne connaissait pas la réponse et qu'il ne voyait pas de raisons objectives qui pourraient se trouver à l'origine de cette particularité.
Dans le cas du BPC, le terme cube cut peut paraître quelque peu déplacé. En vérité, plutôt que des cubes, le mélange est constitué de fragments de tabac dont la forme et les dimensions varient. Ceci dit, quand j'introduis la main dans le sachet, je sens uniquement des morceaux de tabac dégagés qui me filent entre les doigts, ce qui est typique pour un cube cut.
La couleur parfaitement uniforme ne laisse aucune place au doute : il s'agit bel et bien d'un burley pur, sans ajout d'autres tabacs, tandis que le nez légèrement terreux, mais fondamentalement neutre permet de tirer deux conclusions : comme indiqué sur Tobaccoreviews, le BPC n'a aucunement été aromatisé et il ne s'agit pas d'un de ces burleys africains aux flatteurs arômes de chocolat, mais au contraire de burleys typiquement américains qui, à la grande époque, formaient l'épine dorsale de quantité de burley blends communément appelés old codger burley (burley pour vieux bonhommes).
Fort sec à la sortie du ziplock, le tabac permet un bourrage immédiat. Remarquez que dans le cas d'un cube cut, il s'agit plutôt d'un simple remplissage. Il suffit en effet de laisser tomber les cubes dans le fourneau, puis de procéder à un tout léger tassage. Tassez davantage et le tirage sera compromis.
Les premières vagues de fumée qui déferlent dans ma bouche, me font soupirer d'aise. Voilà, ça c'est exactement le genre de goût que j'attends d'un burley blend classique. De la terre, de la noisette, une fine touche de noix de coco, peu de sucre mais juste assez pour que la sensation en bouche ne devienne pas désagréable, une petite amertume toujours présente mais jamais déplaisante. Et puis de temps à autre apparaît une saveur étonnante qui de prime abord me fait penser qu'un cheveu tombé dans mon fourneau s'est mis à brûler. D'abord ça me cabre, mais je finis par m'y faire, voire à apprécier ce bizarre goût empyreumatique.
Le tabac se consume lentement et sans encombres à condition de ne pas abuser du tasse-braises. Vu son côté basique et le manque d'évolutivité, j'ai remarqué que je préfère le BPC dans de petits foyers. Dans une Larrysson volumineuse, j'ai fini par ressentir une certaine lassitude. Pour un blasé dans mon genre, la simplicité c'est bien mais à petite dose.
N'empêche que le BPC me plaît vraiment. Il est franc, rustique, sans chichi et se trouve à mille lieues du docte mélange. C'est tout bêtement du bon tabac. Dans le genre des burleys américains à l'ancienne, c'est même l'un des meilleurs blends que je connaisse. Le BPC confirme d'ailleurs que le cube cut convient particulièrement bien au burley. Certes, il existe une pléthore de mélanges autrement plus palpitants, mais quand vous prend une envie d'un burley honnête et naturel, n'hésitez pas.
Ici se terminait le texte envoyé à Guillaume pour publication. Quinze jours plus tard, je me suis vu forcé d'ajouter l'addendum qui suit. Ames sensibles, s'abstenir.
Il m'est arrivé dans ces pages de partager avec vous quelques-unes des plus abominables catastrophes de ma carrière de dégustateur de tabacs. Ainsi, je vous ai raconté mes déboires avec les boîtes rouillées de Greg Pease (Font-ils un tabac ? 11) ou la découverte d'une impressionnante colonie de moisissure sur un plug de Thomas Darasz (Font-ils un tabac ? 73). Repérer des flocons de rouille dans un mélange ou tomber sur un champignon en ouvrant une boîte de tabac, ça coupe certes l'appétit, mais au moins là, vous reconnaissez à temps le répugnant problème, ce qui vous permet d'éviter une expérience parfaitement dégoûtante.
Ce qui vient de m'arriver avec le BPC relève d'un tout autre ordre : là, on est en plein dans l'horreur pure.
Pour préparer la rédaction de mon article, j'ai fumé la moitié d'un ziplock de 50g transvasé dans une boîte vide de Cornell & Diehl. Ensuite j'ai délaissé le tabac pendant deux semaines. Puis un soir, confortablement assis devant la télé, je décide de rouvrir ma boîte de BPC. Je la dépose sur le large accoudoir du divan et en bourrant une pipe, je note que quelques brins tombent sur l'accoudoir. J'approche deux doigts d'un brin tout en regardant la télé et je le rate. Mais pas de justesse. Le brin se trouve des centimètres plus loin. Bizarre. Soudain, je suis foudroyé par ce que je vois : le brin bouge. Je n'en pas crois mes yeux. Mais pas de doute, ce minuscule brin bouge. Il s'enfuit. Ce n'est qu'alors que j'attrape en pleine poire la gifle de la vérité : il s'agit d'un insecte et ce bougre brun doré et poussiéreux à peine perceptible sort de ma boîte de tabac. Du coup une stridente batterie de sirènes d'alarme se déclenche dans mon cerveau. Rongé par un doute affreux qui me met mal à l'aise, je me concentre sur le contenu de la boîte et bientôt, ô horreur, je vois ici et là des brins bouger. Et ça, c'est un coup de massue. Horripilé, je comprends que j'ai fumé une demi-boîte d'un mélange de tabac et d'insectes. Je vous assure que l'idée même me hérisse le poil et me remplit de dégoût. D'autant plus qu'il se peut très bien que le bizarre goût de poil brûlé que j'avais repéré de temps à autre, provienne des brûlés vifs dans mon fourneau.
Ma vie de fumeur de pipe vient de toucher le fond absolu.