Font-ils un tabac ? n°101

par Erwin Van Hove

02/12/19

HU-Tobacco, Anniversary Blend 5 years

Une majorité de fabricants de tabac à pipe semblent souffrir d’une obsession : pour fêter un jubilée, ils nous sortent un aro. Même Hans Wiedemann, pourtant un blender respectable et propre sur soi, ne fait pas exception à la règle. Bref, le mélange lancé à l’occasion du cinquième anniversaire de HU-Tobacco a été aromatisé. Au vinaigre balsamique. Wiedemann nous assure cependant que les vraies vedettes de l’affiche sont du bright et du red virginia, du kentucky et un burley puissant, alors que son balsamico se borne à épicer le fond d’une note acidulée et résineuse. Je vous avoue que j’ai du mal à le croire sur parole vu mes coriaces préjugés vis-à-vis des aros.

Toute une gamme de bruns, diverses coupes : pas mal. Un nez agréable aussi avec un certain fruité, des notes de cacao et en humant plus fort des acides volatiles dans lesquels je ne reconnais pas d’odeur de balsamico. Des arômes assez discrets en fait et qui ne rappellent en rien un typique aro. A la bonne heure.

Hygrométrie parfaite et donc bourrage immédiat. La flamme du briquet révèle un ensemble bien balancé : les virginias apportent fruité et douceur, le burley du corps et le kentucky des épices. Un début vraiment prometteur. Arrive alors le vinaigre balsamique. D’abord en vivifiant le tout d’une note acidulée, puis en déroulant sous les goûts des tabacs un tapis d’acidité piquante. Et c’est carrément un tapis rouge qui ne brille pas exactement par sa discrétion. Mes muqueuses se tapissent d’une couche caustique et pimentée qui m’empêchent de goûter les nuances des tabacs. Quel gâchis. Et qu’est-ce que c’est fatigant, cette continuelle overdose d’acide qui agresse la bouche.

La cause est entendue. Même si petit à petit les tabacs apprennent à s’accommoder de la présence de l’intrus et arrivent ici et là à percer le voile d’aigreur, la sensation en bouche de l’Anniversary Blend reste profondément désagréable. Mon palais finit par me faire l’effet d’un morceau de papier de verre.

Sur Tobaccoreviews deux dégustateurs seulement ont consacré un article à l’Anniversary Blend. L’un et l’autre lui ont accordé la note maximale de 4 sur 4. Ce serait donc un mélange parfait. Seriously ? Je n’y comprends que dalle. Ont-ils un palais en acier inoxydable ? Sont-ils masos ? Ou se pourrait-il que je sois une petite nature ? Je n’exclus rien. Ce sera donc à vous de vous faire votre propre opinion. Moi, je regrette amèrement que je me retrouve avec une boîte de 100 grammes sur les bras.

L. J. Peretti, Cuban Mixture

En route pour un autre burley blend bostonien. Après la débâcle du Blend DD (Font-ils un tabac ? n°100), je me méfie et c’est donc sans grand enthousiasme que j’ouvre mon sachet ziplock. A tort. Parce que les effluves qui en émanent, sont complexes et forment un tout harmonieux et réellement appétissant. Certes, on sent la terre et les noisettes du burley, mais en même temps des notes fumées et grillées, une touche de caramel et quelque chose de voluptueusement crémeux. C’est subtil et plein de nuances. D’ailleurs, quand on regarde le mélange de près, on découvre une myriade de tabacs en coupes diverses. De toute évidence, le Cuban Mixture n’a rien en commun avec le rustre DD. Il est d’un tout autre niveau.

Le Cuban Mixture, c’est le blend avec lequel Libero Joseph Peretti s’est lancé au tout début des années 1900 sur le marché des tabacs à pipe. Un tabac historique en quelque sorte dont la longévité mérite tout notre respect. En revanche, j’éprouve nettement moins de respect pour le talent en calcul des Peretti qui affirment que le Cuban Mixture est composé de sept tabacs différents : du burley, du virginia, du cavendish, du kentucky, du latakia, du maryland, de l’oriental et du tabac à cigare. Selon mes doctes calculs, ça fait huit.

Avec pareille composition, il n’est pas évident de choisir à bon escient la pipe qui convient, mais comme les Peretti classent eux-mêmes leur mixture dans les burley blends, je les suis sans trop me poser de questions. Il s’avère que c’est le bon choix parce que dès l’allumage, la fumée se met à véhiculer des saveurs qui correspondent parfaitement au nez. Je décèle le goût terreux et noisetté du burley, la fort agréable douceur de virginias discrets mais efficaces, la note fumée du latakia, le grillé du kentucky, la cassonade du cavendish et par moments, il est vrai, des accents de tabac à cigare. Je note également la présence d’une belle crémosité et d’acides agréables et bienfaisants. Toutes ces saveurs se fondent rapidement en un tout convaincant et parfaitement bien équilibré, ce qui fait qu’il serait déplacé de déplorer le manque d’évolutivité. Pas de regrets non plus en ce qui concerne la puissance : le Cuban Mixture contient juste assez de vitamine N pour vous satisfaire.

Que ce soit clair : le Cuban Mixture est un mélange qui dépasse de loin la portée du burley blend habituel. Quatre étoiles et un score de 3,7 sur Tobaccoreviews. Je souscris pleinement et je termine sur une parenthèse. Selon Carl McAllister, l’ancien blender de Sutliff, la compagnie qui fournit les tabacs qu’utilisent les Peretti, le mélange serait légèrement aromatisé à la menthe. Je ne conteste pas cette affirmation, mais si c’est le cas, l’emploi de cet arôme est tellement subtil que je suis incapable de le sentir ou de le goûter.



L. J. Peretti, RCTR

. J. Peretti, RCTR

Sur l’un des ziplocks que m’a ramenés mon fils de chez Peretti, est marqué à la main RI12. RI12 ? Inconnu au bataillon. Même sur le site web de Peretti ! En continuant mes recherches, je tombe sur une anecdote : un jour un homme téléphone à la civette bostonienne pour dire tout le bien qu’il pense du RCIB. Le personnel est confus parce que ce mélange n’existe pas et n’a jamais existé. Ils finissent par se mettre d’accord : le client parle probablement du RCTR. Je reprends mon sachet pour en étudier les hiéroglyphes. Oui, ça doit être ça : RCTR. Apparemment, chez Peretti ils sont aussi nuls en écriture qu’en calcul.

Le RCTR est une création toute récente qui a vu le jour en 2018 et l’unique virginia pur dans l’écurie Peretti. Je vois des brins courts en coupe assez fine et des morceaux nettement plus grands. Des blonds et des fauves, de l’orange et du brun, et ici et là de l’aubergine. Bref, c’est une composition de plusieurs virginias différents. Le nez me plaît immédiatement. Beaucoup même. Il forme un tout cohérent qui n’a rien d’impressionnant, mais qui a quelque chose de réellement réconfortant. Je n’arrive pas à mettre le doigt sur des odeurs individuelles, mais l’ensemble me rappelle les bonnes odeurs de boulangerie.

Le tabac qui sort du sachet est suffisamment sec, ce qui me permet de bourrer une pipe sans tarder. Les premières bouffées répondent à mes attentes. Le RCTR ne casse pas la baraque et n’inspire pas d’envolées lyriques. Modeste, il aspire en toute discrétion à faire plaisir à l’amateur de virginia avec des doses modérées de douceur et d’acidité, de saveurs citronnées et épicées, d’herbe sèche et de pain. On est aux antipodes des virginias très typés de McClelland ou de Kendal. Le RCTR ne cherche pas à sortir du lot. Sa seule ambition, c’est d’être un compagnon de route bon enfant dont la présence ne gêne personne. Bref, il se définit comme un all day smoke.

En conséquence, il se consume facilement, ménage votre langue, ne roule pas des mécaniques. Il n’évolue guère mais tout au long du fumage, il développe ses saveurs avec consistance. Pour profiter pleinement de ses nuances, il faut nécessairement un tirage posé, sinon elles se perdent sous l’effet de la chaleur.

Vu son caractère peu trempé, le RCTR ne fera jamais partie de vos absolus favoris. En revanche, il ne vous décevra pas si vous êtes en quête d’un mélange agréable et débonnaire pour vous accompagner pendant que vous vaquez à vos occupations quotidiennes.