Voici un autre rope tressé et cuit au four de la main de Thomas Darasz. 50% de kentucky et 50% de perique cette fois-ci. Attachez vos ceintures !
Le morceau de tresse a été conservé pendant un an dans un ziplock. On voit bien qu’il est composé de deux tabacs : une couche aux couleurs brun foncé et aubergine et une autre brun roux. Ce qui est étonnant, c’est que l’extérieur du White Twist est nettement plus foncé que celui de notre Dark Twist. La tresse se découpe sans problèmes au moyen d’un nakiri. On obtient alors des rondelles ovales qui se défont facilement et qui ont une hygrométrie assez idéale.
Par inadvertance, j’avais laissé traîner la boîte dans laquelle j’avais mis le tabac coupé, pendant plusieurs heures au soleil. En l’ouvrant, j’ai reçu un uppercut que je n’oublierai pas de sitôt. Mais qu’est-ce que ça schlingue ! Transpiration, légumes pourris qui fermentent, engrais chimique. Je ferme vite la boîte pour la laisser refroidir. Plus tard, je découvre les vrais arômes du Dark Twist parce que là, je reconnais l’apport des deux ingrédients : du moisi, de l’épicé, une note de cube bouillon, du boisé, du grillé et du toasté. Et en humant fort, une vague de vinaigre qui me rappelle l’odeur d’un bocal de cornichons.
À condition d’avoir découpé de fines rondelles, l’allumage n’est pas fastidieux. Dès les premières bouffées, le mélange développe des saveurs complexes : terre, boisé, cigare, moisi, acides, poivre et épices, et un goût de unscented Lakeland. Sans virginia, il est évident que ce n’est pas un tabac sucré. Ceci dit, quand on fumé posément, on découvre tout de même une touche de douceur probablement due à la cuisson et qui tient le tout en équilibre.
Il est intéressant de constater qu’au cours du fumage le perique et le kentucky jouent continuellement à saute-mouton : ils occupent à tour de rôle le devant de la scène. A noter aussi que c’est un tabac vraiment fort. D’ailleurs il me cause parfois des picotements dans le nez au point de devoir éternuer. Ceci dit, en même temps c’est un tabac assez crémeux au même titre que les ropes en provenance de Kendal.
Dans la deuxième moitié, les deux ingrédients finissent par s’entremêler, mais pas pour faire un tout qui est plus grand que la somme des deux composantes. Non, je décèle simultanément des saveurs de kentucky et un goût de perique. Je commence à fatiguer. Parce qu’il faut le dire, à la longue, le mélange ne peut plus cacher son caractère lourd et intrusif, d’autant plus qu’il me cause des brûlures d’estomac. Je commence donc à regretter amèrement l’absence d’un virginia engageant et cajoleur.
Avec son étonnante composition, le Tom’s Dark Twist est un tabac qui sort de l’ordinaire. Il prouve qu’il est possible de produire un mélange intéressant en employant uniquement des herbes dont le but premier est de servir de condiment. Mais tout intéressante que soit cette expérience d’un blender qui recherche les limites du possible, je dois avouer que pour moi le résultat a sa place dans un cabinet de curiosités plutôt que dans ma cave à tabac. C’est sans conteste un exercice de style qui n’est pas sans mérites et qui peut tenter le fumeur blasé qui a déjà tout essayé. Et qui a un estomac d’acier. Mais si c’est un tabac-plaisir que vous cherchez, passez votre chemin.
En 1870 le Suisse Libero Joseph Peretti émigre aux Etats-Unis et établit à Boston la Peretti Cuban Cigar Co. Il importe bien évidemment des cigares, mais en plus il lance une série de house cigars qu’il compose lui-même. Le succès est tel qu’en 1892 il fonde sa propre fabrique de cigares dans laquelle il emploie cinquante rouleurs. Quand Joseph, le fils de L.J. qui préfère la pipe au cigare, reprend l’affaire, non seulement Peretti devient l’importateur exclusif des pipes Peterson aux Etats-Unis, il crée également le tout premier mélange anglais sur le sol américain. Après la Seconde Guerre mondiale, son fils Robert lui succède et fait de Peretti un haut lieu du tabac à pipe en composant plus de quatre-vingts blends maison. La plupart des mélanges vendus aujourd’hui sont toujours basés sur ses recettes. Si Peretti propose des tabacs pour tous les goûts, l’entreprise est avant tout connue pour ses mélanges orientaux et ses burley blends.
Quand on parcourt la gamme des tabacs maison, le manque d’uniformité des noms saute aux yeux. Si certains mélanges portent de jolis noms évocateurs comme Tashkent, Irish Mist ou Prince of Wales, beaucoup d’autres doivent se contenter d’un chiffre ou de quelques lettres. Ce manque de créativité me gêne toujours. Sérieusement, qui veut fumer du 1072 ou du BPC quand on peut allumer de l’Oxford Flake ou du Pride of Loch Lomond ?
Soit. Blend DD donc. Classé parmi les burley blends, en voici la description : A cool, slow burning blend that is quite sweet to the taste and very fragrant. A good after dinner smoke. It required four years to perfect this blend. Du blablabla sans aucune indication sur les ingrédients. Ça m’irrite toujours.
Avez-vous remarqué la longueur de l’introduction ? Ce n’est pas sans raison. C’est parce qu’il ne m’a fallu qu’une seule pipée pour savoir que je n’aurais pas grand-chose à déclarer sur le DD. Parce que Dédé, c’est le genre de beauf ricain qui, depuis son rocking chair installé sur un sommaire porche dans quelque trou perdu de l’Etat du Mississipi, regarde passer la vie sous forme d’un tracteur pétaradant et de deux pick-ups aussi poussifs que poussiéreux. Parce que Dédé fume ce que tout beauf ricain balançant dans un rocking chair installé sur un porche dans un trou perdu fume. Du burley aromatisé. Et parce que le burley aromatisé, ce n’est pas exactement le genre d’herbe qui me donne l’irrésistible envie de vous pondre de la copie.
Je goûte de la mélasse. Passe encore. Je goûte surtout de l’anis et ça me rappelle immédiatement l’infect War Horse Green (artfontilsuntabac65.). Ceci dit, je m’empresse de vous assurer que notre Dédé est tout de même moins dégueulasse que le vert destrier. Il ne manquerait plus que ça. N’empêche que je ne le trouve pas vraiment fréquentable, le Dédé.
Cette première rencontre avec les Peretti est foncièrement déconcertante. Pour moi, Boston, c’est old money, Harvard, le MIT, le Symphony Hall. Ce n’est pas dans pareil habitat qu’on s’attend à tomber sur un Dédé.
Pas d’analyse cette fois-ci. Juste quelques questions.
Non, je n’ai pas aimé le N° 3. Merci quand même pour l’échantillon.
Voilà le centième numéro de ma chronique terminé. Huit ans de travail. Trois cent quarante-cinq mélanges testés.
À ce jour, Tobaccoreviews en recense sept mille quatre cent cinquante-sept. Incontestablement, il reste de la marge. Du tabac sur la planche. Tant qu’il me restera des boîtes et des pochettes que je n’ai pas encore goûtées, je continuerai donc mon sinueux chemin à travers le paysage tabagique. Vous n’êtes pas encore débarrassés de moi. Mais rassurez-vous : ce jour viendra.