Font-ils un tabac ? n°136

par Erwin Van Hove

02/10/23

Paul Olsen, My Own Blend D2771

Une fois de plus on ne peut pas se fier au web pour connaître la composition de ce blend. Selon un site danois qui consacre un long article à la marque Paul Olsen, ce serait un VA/burley. The Danish Pipe Shop de son côté le présente comme un virginia/burley/perique, alors que Tobaccoreviews mentionne laconiquement : A blend of Virginia and other selected tobaccos. En revanche, tous les sites consultés se rejoignent pour dire que bien qu’il s’agisse d’un broken/ready rubbed flake, le D2771 est une très bonne alternative pour le St. Bruno Flake. Mais si c’est le cas, pourquoi personne ne mentionne la présence de kentucky, pourtant un ingrédient clé du fameux Bruno ?

Des broken flakes mais surtout du ready rubbed très foncés, sans trace de blond dégagent des arômes qui ne me rappellent en rien le parfum si typique du St. Bruno. Certes, je décèle clairement une odeur de chocolat, mais ce qui saute vraiment au nez, ce sont de vives et pénétrantes exhalaisons d’acétone ou de colle qui s’évapore et en moindre mesure de fruits qui fermentent. Je vois que le papier qui couvre le tabac est tellement imprégné d’humidité qu’il a complètement changé de couleur. Ça se confirme au toucher : le tabac est exagérément humide. Merci de nous faire payer la flotte au prix du tabac. Bref, quelques heures de séchage s’imposent.

Vu ce que j’ai senti, je ne suis pas surpris de ne pas reconnaître les saveurs du St. Bruno. Ce qui m’étonne en revanche, c’est que les quelques dégustateurs qui ont partagé leurs impressions sur Tobaccoreviews, affirment que le D2771 est une copie réussie du légendaire flake d’Ogden’s. C’est comme si eux, ils ont goûté un tabac différent du mien. Il est vrai que l’évidente salinité et une certaine amertume rappellent vaguement le modèle, mais les sucres sont nettement moins bienfaisants et les acides beaucoup plus incisifs. Mais surtout, je ne trouve aucune trace de la fameuse saveur de bergamote et des touches de chocolat, voire de café qui ont fait la gloire du Bruno. Je ne sais d’ailleurs pas exactement ce que je goûte, d’une part parce que les saveurs manquent cruellement de précision et d’autre part parce que les acides sont tellement intenses qu’ils écrasent tout le reste. D’ailleurs, très rapidement ma langue commence à souffrir du fameux tongue bite.

Ça ne s’améliore pas en cours de route. L’âcreté piquante me gêne de plus en plus, ce qui fait que j’ai envie d’abandonner à mi-bol. Je décide alors de faire sécher le tabac pendant toute une journée avant de le réessayer. Le lendemain, le nez n’est plus le même qu’avant : l’acétone a disparu, ce qui fait qu’il est nettement moins incisif. Il reste un peu d’acidité volatile et pour le reste je décèle des odeurs que j’associe à l’engrais chimique et en moindre mesure au caoutchouc. Toujours rien à voir avec le Saint. Quant au fumage, rien de nouveau à signaler : des goûts confus et indistincts et toujours cette caustique et mordante acidité pimentée. Ça suffit, je ne suis pas maso. A la poubelle.

Non seulement le D2771 n’a rien à voir avec le modèle qu’il est supposé émuler, en plus c’est un mélange qui, au lieu de me procurer du plaisir, me tourmente le palais. Ça fait longtemps que j’ai essayé un blend aussi nul.

Gawith & Hoggarth & Co, Brown Twist Sweet Rum (Brown Twist RM)

Commençons par un avertissement. Les ropes du Lakeland sont des tabac bourrés de vitamine N. Ce ne sont donc absolument pas des tabacs à conseiller aux nicotinophobes. Je peux vous dire qu’à l’époque où j’étais jeune fumeur, certains de ces ropes m’ont donné le hoquet, parfois même des sueurs froides, et exceptionnellement le tournis. En outre, avec ces twists, même des pipophiles chevronnés ont vraiment du mal à obtenir une combustion régulière sans rallumages fréquents. Ce genre de tabac ne s’adresse donc pas non plus aux débutants.

Chez Gawith & Hoggarth les tabacs en rope se vendent sous trois appellations selon l’importance de leur diamètre : les pigtails, les bogies et les twists, ces derniers étant les plus épais. Le Brown Twist Sweet Rum est composé exclusivement de virginias. Pourtant il n’a rien d’un VA blend classique parce qu’il s’agit principalement de feuilles de virginia en provenance de l’Inde qui ont été dark fired, un processus habituellement réservé au kentucky. Ensuite les rouleaux sont trempés dans un mélange de rhum et de sucre inverti.

Le nez fermé et introverti ne sent pas le rhum. Par contre, en humant plus longuement, je découvre une odeur de cigare, de cèpes séchés et de cube Oxo. Un peu bizarre, mais appétissant tout de même. Avant de passer au bourrage, il ne suffit pas de découper des rondelles et de les triturer. Afin d’éviter des problèmes de combustion, il est à conseiller de les couper en petits morceaux.

L’allumage à peine terminé, j’ai le coup de foudre. Ça, c’est du tabac ! Riche et opulent, onctueux et velouté, puissant et intense, agréablement doux et catégoriquement vif, épicé et salé. Une main de fer dans un gant de velours. Ce ne sont pas tant les saveurs qui impressionnent, mais cette structure qui combine une attitude franchement macho avec une caressante tendresse. D’ailleurs les saveurs à proprement parler sont difficiles à cerner. Je dirais que le Brown Irish Twist me rappelle le cigare, mais alors en moins policé. En revanche, je suis incapable de déceler la moindre trace d’un goût de rhum.

En cours de route, l’acidité prend de l’ampleur, mais il reste suffisamment de sucre sous-jacent pour éviter l’âcreté. Pour le reste, le tabac ne se montre pas particulièrement évolutif. Quant à la puissance, elle reste stable sans se concentrer dans le final. En fin de compte, tout baraqué qu’il soit, par rapport à d’autres, ce twist se montre parfaitement supportable.

Le fumage du Brown Twist Sweet Rum, aujourd’hui rebaptisé en Brown Twist RM, est une expérience mémorable. Voilà une raison de plus pour vénérer les blenders de Kendal. Pour moi, ce tabac est un mo-nu-ment.

Gawith & Hoggarth & Co, Bob’s Chocolate Flake (Bob’s Ch Flake)

Un aro. Et en plus au latakia. A première vue, ce mélange a tout pour me déplaire. Oui, mais voilà qu’un autre Lakeland qui combine le chocolat et le latakia ne m’avait pas laissé de mauvais souvenirs : Font-ils un tabac ? n°25. Restons donc ouverts d’esprit.

82% de virginias en provenance du Brésil, du Zimbabwe et du Mali, 8% de Malawi sun cured, 2% de Malawi burley et 8% de latakia. Et du cacao, du chocolat et de la vanille. Voilà pour la recette.

Les flakes peu compacts combinent divers bruns avec des points plus blonds. Leurs arômes sont du genre plaisant et réconfortant : un peu de chocolat au lait, une goutte de vanille, des viennoiseries. Nous voilà entrés dans une pâtisserie. N’empêche que sous ces friandises, je sens le tabac qui s’harmonise parfaitement bien avec l’aromatisation.

D’emblée le fumage le confirme : les arômes ajoutés s’entrelacent merveilleusement bien avec le latakia à peine fumé et avec les virginias aigres-doux agrémentés d’un soupçon d’essence florale (Lakeland oblige) pour former un ensemble gustatif relaxant et séduisant. Voilà donc un aro comme il devrait y en avoir plus : équilibré, agréable et absolument pas sirupeux, vulgaire ou tape-à-l’œil. Avec son taux de nicotine fort civilisé, le Bob’s Chocolate Flake peut même se consommer le matin avec un bon café, d’autant plus que la combinaison avec le trio chocolat, vanille, viennoiseries est impeccable.

Au cours du fumage, on change de registre. L’acidité monte davantage sur le devant de la scène, alors que simultanément la fumée devient plus épicée, voire piquante. Le charme et l’amabilité du début sont désormais remplacés par des saveurs plus viriles et moins rondes. Je ne peux pas dire que le tabac se mette à mordre, mais je note tout de même qu’il me picote le palais. A la longue cette évolution vers une fumée plus percutante commence à me peser et je ne peux m’empêcher de regretter l’harmonie et l’ingénue candeur du début.

Bref, le Bob’s Chocolate Flake a deux visages. D’abord celui d’une jeune femme aux traits doux et au sourire désarmant, ensuite celui d’une bourgeoise aux traits durcis et au caractère aigri. Si vous appréciez l’acidité pimentée, faites à votre guise. Si ce n’est pas le cas, je vous conseille une pipe peu volumineuse dans laquelle les saveurs initiales n’ont pas le temps de se transformer.

À noter que désormais le mélange se vend sous le nom Bob’s Ch Flake.