Font-ils un tabac ? n°135

par Erwin Van Hove

04/09/23

Pfeifendepot, Merlin Cut Plug

Ce n’est pas tous les jours qu’on tombe sur un tabac qui se définit comme un cut plug. Et ça se comprend : c’est un terme équivoque pour lequel il existe des alternatives autrement plus précises. Chez Gawith & Hoggarth par exemple, les tabacs cut plug, comme le Bosun ou le Coniston, sont en réalité des broken flakes. Le Merlin de son côté est simplement un plug coupé en tranches, soit un flake. Merlin Flake donc.

Ce nom s’apparente clairement au Marlin Flake. D’ailleurs, dans sa présentation le blender se réfère au célèbre blend de Rattray’s. Il est vrai que tous deux sont composés de dark virginia et de perique, mais il y a cependant une différence : le troisième ingrédient du Marlin, c’est du black cavendish, alors que le Merlin contient du dark fired kentucky.

J’aime bien plonger le nez dans mes boîtes à l’instant même où je les ouvre parce qu’il arrive régulièrement que sous l’effet de réduction le tabac dégage pendant un instant des arômes surprenants. Cette fois-ci, très brièvement je sens de la mangue et les boîtes de maquereaux à l’huile d’olive de la marque Cocagne. Je vous le disais : des arômes inattendus. Quand, sous l’effet de l’oxygène, les odeurs se stabilisent, je découvre un nez assez introverti, classique et agréable qui se présente comme un tout plutôt que comme un amalgame d’odeurs facilement reconnaissables. Il est clair que le dark virginia domine et que les deux autres ingrédients ne servent que de condiment. D’ailleurs, je ne décèle aucunement les notes grillées du kentucky.

Les belles tranches passablement foncées ne sont ni compactes ni collantes. J’obtiens donc une petite pile de brins en un tour de main. Je me rends compte dès les premières bouffées que le Merlin me plaît vraiment. Non pas parce qu’il m’impressionne et pas non plus parce qu’il me fait découvrir des sensations nouvelles. Au contraire. Simplement parce que c’est un blend qui sereinement et sans forfanterie produit un goût plaisant et remarquablement harmonieux. Et c’est cette harmonie qui explique pourquoi j’ai écrit un goût et pas des goûts. Les trois ingrédients collaborent intimement pour produire un ensemble gustatif où rien ne dépasse : une discrète dose de sucre, un soupçon d’acidité, un tour de moulin à poivre, un zeste de fruité, une trace de toasté.

Dans la deuxième moitié du fumage, la fumée gagne en intensité, en virilité et en profondeur, mais sans toucher à l’équilibre ou à la cohésion, même si désormais les épices du perique font davantage sentir leur présence et que le fruité se retranche. Et cette tendance va en grandissant quand je m’approche du final.

Si le but du Merlin Cut Plug était d’émuler le Marlin Flake, la réussite est totale. Et pas parce que le Merlin soit un clone du Marlin, mais parce que sa qualité est nettement supérieure à celle du modèle. Un tel exemple d’équilibre et d’harmonie mérite que je tire mon chapeau au blender.

Peterson, University Flake

Ça fait plus de deux décennies que je n’ai plus goûté ce flake désigné par le sigle PUF dans certains forums. Et pour cause. A l’époque il ne m’avait pas plu du tout. Si mes souvenirs sont bons, je lui reprochais son caractère terne et monotone. Je n’en ai donc plus jamais acheté, mais voilà qu’une bonne âme m’en a fait parvenir un échantillon sortant d’une boîte conservée depuis des années. C’est l’occasion de le revisiter.

Plutôt que des tranches, le sachet contient des broken flakes. Si je vois ici et là des traces de couleur fauve, c’est le brun foncé qui domine. Le nez s’avère fermé et ne dégage aucune odeur claire et nette. En humant longuement, je sens tantôt une petite note florale, tantôt un soupçon de musc, tantôt quelque chose de vaguement fruité que je n’arrive pourtant pas à associer au pruneau. Ce genre de nez me rappelle le style du Lakeland, mais en nettement moins passionnant.

Peterson University Flake
Peterson University Flake

Cette impression se confirme dès que j’allume. Là encore je décèle une note florale et savonneuse qui semble provenir tout droit de Kendal. Étonnant. Comment se fait-il qu’un mélange composé de divers virginias et de burley, aromatisé au pruneau dégage ce genre de saveur ? Tout s’explique quand la bonne âme m’envoie une photo de la boîte. Elle mentionne l’emploi de burley, de kentucky et de mahogany. Plus question de virginia, à moins que le terme mahogany (acajou) ne désigne une couleur de virginia. En faisant des recherches, je tombe sur une explication d’Irwin Friedman, l’ancien associé de Greg Pease : Le tabac à pipe Mahogany est un virginia maturé produit par la Manchester Tobacco Company au Royaume Uni et disponible en flake et en ready rubbed. Le tabac est très foncé et il a un arôme savonneux prononcé. Aujourd’hui sa production est discontinuée. Désormais tout est clair : la recette d’antan diffère de celle de l’University Flake en vente aujourd’hui.

Le PUF est un tabac assez puissant et rassasiant qui s’exprime dans un registre fort sombre. La fumée assez veloutée est plutôt équilibrée avec un rapport sucré/acide/amer bien balancé. Les saveurs ne sont pas nettes. Certes, il y a du boisé, de l’épicé, du terreux et la touche à la Lakeland, mais il s’agit là davantage d’impressions que de réelles sensations Et puis, je décèle également dans le fond une note impure qui me rappelle vaguement un goût de cigarette. Vérification faite, cette sensation d’impureté ne doit pas étonner : 1000 mg de tabac contient tout de même 158 mg de sirops et d’arômes. Là on a vraiment sorti la louche.

Je ne peux pas dire que le mélange soit mauvais, mais je le juge à nouveau assez barbant. Bien sûr, par rapport à l’University Flake goûté jadis, celui-ci est mieux fondu. N’empêche qu’il n’arrive toujours pas à cacher sa nature passablement morose.

Bref, ici on ne rigole pas. Ce n’est pas pour autant que le PUF arrive à refléter le sérieux des tabacs en provenance de Kendal. D’ailleurs, sur Tobaccoreviews il obtient le médiocre score de 2,99. Parfois les chiffres en disent plus long que les lettres.

Mac Baren, HH Mature Virginia

Grâce à un généreux donateur me voilà devant un échantillon de tabac âgé de 15 ans. Et pas n’importe lequel. De toute évidence pour Mac Baren le HH Mature Virginia est un projet de prestige : le blend ne contient pas moins de 22 tabacs, notamment des tabacs d’Orient, du burley et surtout 15 virginias différents soigneusement maturés pendant des années. Je me frotte les mains.

Avec l’âge la couleur du tabac n’a plus grand-chose en commun avec la panoplie de teintes que révèlent les photos sur le web : il ne reste plus que du brun et de l’aubergine. Quand je me mets à humer l’échantillon, je me rends compte une fois de plus à quel point nos perceptions sensorielles sont subjectives. Alors que le donateur m’avait annoncé avec enthousiasme une odeur claire et nette de tapenade, moi je ne la décèle point. Je sens au contraire de la mélasse, du vinaigre balsamique et du grillé, voire du fumé. De la part d’un virginia blend sans latakia ni kentucky, ce côté fumé m’étonne, mais je ne me trompe pas : la boîte mentionne a slightly smoky taste.

C’est parti et d’emblée je sais que je ne serai pas capable de décrire ce que je goûte. Après 15 ans de conservation, les saveurs de tant de tabacs se sont tellement fondues qu’elles forment un véritable bloc gustatif. Bien sûr je décèle la structure avec un bel équilibre entre une discrète douceur, une acidité nette mais pas mordante, une amertume bien dosée et juste ce qu’il faut de salinité. Par contre, je ne peux pas dire que je reconnais des saveurs qui correspondent au nez. Il est vrai que tout au début je reconnais le temps d’un instant le burley terreux et une note florale des virginias. Mais par la suite, le tabac se cantonne dans un registre grave. Désormais je ne distingue plus que du boisé relevé au poivre et un goût qui me rappelle le cigare. Ce n’est pas exactement une orgie de saveurs et j’avoue que de la part d’un mélange avec tant d’ingrédients, je m’attendais à plus de richesse.

Si ce n’est pas un tabac vraiment puissant, il contient tout de même une bonne dose de vitamine N. En revanche, même les hypersensibles n’ont rien à craindre : les virginias ne mordent nullement. Reste à mentionner un phénomène qui m’étonne. Bien que le tabac ne soit pas particulièrement sec, il se consume rapidement, ce qui fait qu’il n’a pas le temps d’évoluer. Dommage.

À l’âge de 15 ans, le HH Mature Virginia est un tabac fondu et rassasiant. Je l’ai bien aimé mais je ne peux pas vous cacher une certaine déception. Quand un blender se décarcasse pour mettre au point un mélange si complexe, je couve l’espoir de découvrir quelque chose d’extraordinaire, voire un petit coup de génie. Et là je suis resté sur ma faim.