Font-ils un tabac ? n°134

par Erwin Van Hove

21/08/23

Pfeifendepot, DSK Flake

Un hommage au lubrique politique ? Du tout. L’abréviation se réfère au célèbre Dark Strong Kentucky d’Orlik. Cela m’avait bêtement échappé au moment de l’achat, mais il m’a suffi d’ouvrir la boîte pour m’en rendre compte : voilà les fameux zebra flakes.

Je vous rappelle que l’authentique Dark Strong Kentucky n’étant pas disponible sur le marché allemand, K&K en produit une copie commercialisée sous divers noms par une dizaine de revendeurs de tabac qui disposent d’une gamme de mélanges maison. Voilà qui rend une nouvelle revue superflue puisque j’ai déjà écrit des articles sur deux de ces clones : le Darley Moor de chez Schneiderwind (Font-ils un tabac ? n°42) et le Aus dem Krater Nr. 5 de chez HU (Font-ils un tabac ? n°130). Mais force est de me raviser. Je remarque que la version de Pfeifendepot n’est pas identique à celle de K&K. D’une part, les petits flakes sont composés de deux rectangles, l’un fauve et brun clair, l’autre brun foncé, voire noir, alors que les copies de K&K, tout comme le modèle d’Orlik, présentent trois bandes, c.-à-d. deux bandes foncées aux extrémités avec au milieu une bande nettement plus claire. D’autre part, le nez est différent. Mes toutes premières impressions sont d’ailleurs assez déroutantes : brièvement je sens de la fraise et du maquereau fumé. Ces odeurs disparues, je retrouve ce à quoi je m’attendais : de la mélasse, de la réglisse, du grillé. Mais également, plus prononcées que dans les clones de K&K, une odeur de pruneau ou de datte probablement due au perique intégré dans le mélange VA/kentucky. Un nez chaleureux et invitant.

Les tout petits flakes se prêtent parfaitement à un bourrage sans triturage préalable. A mes yeux, cette méthode qui ne rend pas le tabac homogène, favorise un fumage plus intéressant avec davantage de variation. Je peux me tromper, mes si mes souvenirs sont bons, le DSK Flake est plus sucré que les versions de chez K&K. Cette douceur qui s’exprime sur la mélasse, la réglisse et le pruneau constitue même l’épine dorsale des saveurs, alors que le grillé du kentucky s’harmonise particulièrement bien avec ce trio. A noter également qu’une acidité noble tient les sucres en équilibre. Il est clair que ces sucres ne sont pas tous naturels et que le mélange a été dopé. Mais ça ne me gêne nullement. Au contraire, je trouve le tout bien équilibré et fort agréable. C’est comme une crêpe arrosée de sirop de candi ou d’érable et d’un filet de citron.

toscani

DSK

toscani

Aus dem krater


Il est toutefois à noter qu’au cours du fumage, les variations où c’est tantôt la mélasse, tantôt le grillé, tantôt le fruité qui attire l’attention, s’estompent pour faire place à un tout haut en goût mais passablement monolithique. Du coup le fumage devient moins intéressant et, quand on y prête attention, même un tantinet ennuyeux.

N’empêche que le DSK Flake tient la route. Plutôt qu’un clone du Dark Strong Kentucky, c’est une version personnelle bourrée de goût qui allie avec bonheur le trio kentucky/virginia/perique à des saveurs de mélasse et de réglisse. Pas le plus subtil des mélanges, mais un tabac au caractère bien trempé que je recommande à ceux qui veulent s’offrir une petite friandise sans devoir faire appel à un aro.

Cornell & Diehl, Bayou Night

Je sors une boîte d’un âge respectable de mon stock. C’est encore une de ces boîtes aux sobres banderoles blanches avec des caractères bleus remplacées depuis des années par des banderoles rougeâtres. Je la retourne pour lire le petit autocollant jaune qui affiche la date de production, mais il n’y en a pas. Je sors d’autres boîtes similaires de l’armoire : partout des autocollants. Bizarre. J’enlève le couvercle en plastique et là je reste bouche bée : il n’y a pas de couvercle en aluminium avec un anneau d’ouverture. Non, je tombe directement sur le tabac. Ca alors ! Du jamais vu. Serait-ce une faute de production ou cette boîte m’a-t-elle été vendue par un particulier qui a omis de dévoiler qu’il l’avait ouverte ?

Quoi qu’il en soit, en examinant la boîte de plus près, je remarque collée contre les parois une sorte de poudre granuleuse blanche et ocre. Aucune idée de ce que ça peut être. Sûrement pas des moisissures parce que le tabac lui-même n’en porte aucune trace. Je renifle la surface et découvre des odeurs d’étable et de bière qui fermente. Ce n’est pas exactement flatteur ou appétissant, mais pas non plus rebutant. En humant j’essaie de déterminer les ingrédients du mélange. Je sens une note moisie de perique mais pour le reste je n’ai aucune idée. Pourtant, vérification faite, il y a le choix. Le Bayou Night est composé de virginia rouge et d’une dose anormalement élevée de perique, mais également de latakia, de tabacs d’Orient et de burley en coupe XXL.

Après toutes ces années sans protection contre l’air, le tabac doit être mort, mais je décide tout de même de le goûter en me limitant aux brins qui se trouvent au milieu de la boîte. A ma surprise, il est bien évidemment sec, mais absolument pas racorni. D’ailleurs il suffit de souffler trente secondes dans la pipe bourrée pour qu’il retrouve sa souplesse.

Avant d’allumer, je consulte Tobaccoreviews pour me faire une idée sur les saveurs que le Bayou Night, conservé dans des circonstances normales, est censé produire. Apparemment, c’est un blend qui divise : les inconditionnels de perique applaudissent le fait que C&D a osé faire un mélange qui contient 50% de l’herbe fermentée, alors que plein d’autres s’en plaignent et jugent le Bayou Night plus ou moins infumable. Personnellement, ce n’est pas tant l’extravagant pourcentage de perique en soi qui m’interloque, mais la combinaison avec des tabacs turcs et du burley qui doivent nécessairement être écrasés sous tant de fougue louisianaise.

L’allumage terminé, je retrouve d’emblée un registre profondément sombre sans aucune note aigue. Le virginia rouge qui devrait apporter une agréable douceur et des accents fruités, fait la grève : je goûte surtout de l’acide, de l’amer et de l’épicé. C’est d’ailleurs cette structure qui domine le fumage plutôt que des saveurs à proprement parler. Il est vrai que de temps à autre, je sens un timide flash de tabacs turcs, mais c’est le duo latakia/perique qui crée cette omniprésente impression de morne et morose sombreur. Plutôt que de développer des saveurs empyreumatiques, le latakia joue de la contrebasse, alors que le perique ne véhicule aucune note fruitée, mais insiste sur le poivré et un caverneux moisi. Évidemment, il ne faut pas s’attendre de la part de ce tabac moribond à la moindre évolution. Par conséquent, tant d’acidité, d’amertume, de piquant et de goût sinistre finissent par écœurer. D’autant plus que la vitamine N cogne fort.

Une expérience déprimante avec un mélange qui, même conservé dans de meilleures circonstances, me semble intrinsèquement déséquilibré et caricatural à cause de la dose excessive de perique.

HU-Tobacco, Aus dem Krater – Krater-Plug

Si Hans Wiedemann a supprimé toute référence à la série Aus dem Krater de son site, les tabacs sont toujours en vente dans les civettes allemandes. Je vous rappelle qu’il s’agit de mélanges que Wiedemann n’a pas créés, mais sélectionnés dans le catalogue de Kohlhase & Kopp.

Un peu perdu dans sa boîte destinée à contenir 100g de brins, le cube exhibe de très fines strates de diverses couleurs allant du fauve à l’anthracite en passant par une variété de bruns. C’est fondamentalement un tabac avec un pourcentage élevé de virginias, rehaussé d’une pincée de perique et de kentucky. Les odeurs le confirment d’ailleurs. A l’ouverture de la boîte s’en échappe une odeur de fruits macérés dans l’eau de vie, mais ce n’est là que l’effet d’un phénomène de réduction. Ensuite le plug se met à produire des arômes qui me rappellent immédiatement le style de l’Orlik Golden Sliced et du Reiner Long Golden Flake. Un nez agréable mais peu complexe avec un élégant fruité, un peu de foin et d’évidentes notes de noisette.

Il faut un couteau bien aiguisé pour découper de fines tranches qui ne s’effritent pas parce que le plug est fort compact. Pourtant je ne dois pas faire d’effort particulier pour les transformer en brins. Comme le taux d’hygrométrie est parfait, le tabac est prêt au bourrage.

Dès les premières bouffée ça se confirme : le fruité discret et gentiment épicé me rappelle effectivement le flake de Reiner. Un peu de foin et de terre qui chauffe et une structure aigre-douce complètent le tableau. En ce début de fumage, je ne décèle pas l’influence du kentucky. Tout ça est très classique et propre sur soi, ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient : d’une part ce mélange ne risque d’offusquer personne, d’autre part il est interchangeable, ce qui n’incite pas à l’achat.

À mon avis, le point fort du plug est son évolutivité. Après les débuts flatteurs, le fruité douceâtre fait place à une phase où l’acidité est nettement plus marquée et où une saveur citronnée prend le relais. Et dans le dernier tiers, on change de registre : plus de références aux fruits, mais au contraire des saveurs plus sombres où l’on découvre le toasté du kentucky, une touche de réglisse, le poivre du perique et un VA devenu terreux.

Le Krater-Plug ne casse pas la baraque, mais est tout de même respectable. Ce n’est pas le genre de tabac qui devient un favori, mais plutôt un tabac à fumer aux moments où vous ne cherchez pas du grandiose, mais où du bon vous suffit.