Font-ils un tabac ? n°137

par Erwin Van Hove

18/11/2023

McClelland, Stave-aged Virginia 35 Ribbon

Des tabacs fermentés ou âgés en fût, ça se connaît. Mais un tabac dans lequel on ajoute un copeau de chêne provenant d’un fût de kentucky bourbon, c’est nouveau. Or, en 2012, c’est précisément cela que Mike McNiel a choisi de faire en créant un virginia blend pour fêter le 35ième anniversaire de McClelland.

Quand j’ouvre la boîte âgée de 11 ans, je trouve enfoui dans les ribbons multicolores un cube de chêne dont une surface est brûlée. Immédiatement d’intenses odeurs me sautent au nez. Imaginez ce que doit donner la combinaison olfactive de chêne, de bois brûlé, de bourbon et des virginias mclellandiens si typés. Vous l’aurez deviné : le résultat n’est pas exactement subtil. Certes, avec l’âge les arômes se sont fondus en un tout dans lequel je décèle évidemment le bourbon et du boisé, mais également du clou de girofle, un filet de sirop d’érable, et, en humant profondément, des relents des VA. Ce nez n’a pas grand-chose en commun avec celui des grands virginia blends de la maison. En fait, c’est le nez d’un aro. Et je ne vous cache pas que ça me gêne.

Je peux allumer sans séchage préalable et d’emblée ma conviction est faite : ce n’est pas un tabac pour moi. Adultérer de la sorte les saveurs des meilleurs virginias au monde me semble un sacrilège tout aussi choquant que si un chef enduisait de moutarde de Dijon une truffe blanche d’Alba. D’accord, là j’exagère parce que ce n’est pas une cacophonie de goûts que véhicule la fumée. N’empêche que je regrette goûter davantage du bourbon, du boisé et une note empyreumatique que du virginia. En plus, il s’avère très vite que ces goûts lourds et denses se mettent à m’écœurer. Et ça ne s’arrange pas parce que le mélange s’avère à peine évolutif. Fumer jusqu’au bout est donc une corvée plutôt qu’un plaisir.

La pratique de plus en plus fréquente qui consiste à ajouter des copeaux de chêne à des vins, m’offusque. Là je viens de constater qu’appliqué à du tabac, ce procédé me vexe tout autant. Le fait qu’une grande majorité des dégustateurs américains sur Tobaccoreviews décerne à ce blend quatre étoiles, ne m’étonne point. Il était à prévoir que vu l’engouement américain pour les vins lourdauds et surboisés, ce tabac parkérisé plairait.

Tabakhaus Falkum, Old Days 2

Établie depuis 1948 à Miltenberg, une petite ville en Bavière, la maison Falkum s’est d’emblée spécialisée dans la pipe et le cigare. Aussi, dès le début des années 60, le fondateur d’origine norvégienne, Magne Falkum, s’est-il mis à composer des mélanges. Cette tradition perdure jusqu’à nos jours puisque le magasin propose une centaine de mélanges Falkum pour la plupart basés sur des recettes maison, mais produits chez Kohlhase & Kopp. La série Old Days, composé de six mélanges sans aromatisation et sans latakia, fait cependant exception puisqu’il s’agit du résultat d’une collaboration avec MacBaren.

Le Old Days 2 est un broken flake qui prétend combiner le goût chocolaté du burley avec la douceur sous-jacente du virginia.

Le tabac exhibe divers tons de brun sans traces de blond. Le nez n’est pas expansif, mais dégage tout de même d’agréables arômes de fruits secs, de sucre candi et en moindre mesure de chocolat au lait. Le degré d’hygrométrie des broken flakes est parfait, ce qui permet de les réduire facilement en brins bourrables et de les enfourner sans séchage préalable.

Malgré le nez qui semble davantage marqué par le VA que par le burley, les premières bouffées ne laissent pas de place au doute : c’est bel et bien un burley blend. Le terreux, la rustique petite note amère et le chocolaté se retrouvent immédiatement sur le devant de la scène. En cours de route, ces premières impressions se confirment : le Old Days 2 est un burley blend classique qui se consume facilement et dont le goût reste stable du début à la fin. Son plus grand atout, c’est l’efficace collaboration avec des virginias de qualité qui font exactement ce qu’ils sont supposés faire : ils servent d’assise confortable, arrondissent le mélange, apportent des nuances fruitées et équilibrent le tout. Cette évidente harmonie entre les deux ingrédients est d’autant plus remarquable que la dégustation a été faite immédiatement après l’achat du mélange, sans lui donner le temps de fondre ses goûts.

Tabakhaus Falkum, Old Days 2

Il y a vingt-cinq ans, à l’époque où j’étais un latakiophile invétéré, j’ai testé plusieurs mélanges Falkum. Si ces essais n’avaient conduit ni au coup de foudre ni à des souvenirs impérissables, ils m’avaient amené à conclure que c’étaient des blends parfaitement respectables. Le Old Days 2 me conforte dans ce jugement. Ce n’est pas le genre de tabac grandiose qu’on sort les grands jours, mais un compagnon aimable et solide qui peut servir de all day smoke. Que voulez-vous de plus à €18.90 les 100 grammes ?

G.L. Pease, Cairo

Introduit en l’an 2000, le Cairo fait partie de la toute première série de mélanges de Greg Pease, les Original Mixtures. Comme le blender californien est un as du marketing qui sait écrire des descriptions particulièrement alléchantes, je vous traduis le texte imprimé sur la boîte : Cairo est un mélange merveilleusement complexe de virginias rouges, oranges et blonds, d’exotiques tabacs d’Orient et d’un soupçon de perique. La saveur est riche, naturellement douce, légèrement noisettée et finement épicée. De subtiles notes d’agrumes soutiennent les saveurs plus robustes des virginias plus foncés. Moyennement corsé, Cairo est un tabac fort satisfaisant avec des arômes délicats qui sera apprécié autant par les amateurs de virginia que par les connaisseurs de tabacs orientaux.

À l’ouverture de la boîte légèrement bombée, encavée pendant exactement dix ans, il s’en échappe du gaz de fermentation. Immédiatement des arômes riches et complexes me sautent au nez. Je sens un tout fascinant et intense dans lequel des odeurs fruitées, vineuses, surettes et épicées s’entremêlent. Voilà un nez absolument fantastique dominé par les herbes d’Orient.

Les fragments noirs de perique se cachent dans un océan de teintes dorées, orangées et brunes. Quoique le tabac ne soit pas humide, il s’avérera que la combustion nécessite plusieurs rallumages.

Dès le tout début, c’est le feu d’artifice qui reprend l’intensité et la complexité du nez : les virginias ronds et fruités soutiennent et complémentent les orientaux acidulés, aromatiques et légèrement piquants. Il m’arrive de goûter de la pamplemousse, de la pâte de tamarin, des fruits secs, de la cannelle, du pain, du parmesan, des accents de vin botrytisé. Pease est en plein dans le mille : le Cairo satisfait tout autant les fumeurs de virginia que les fans des tabacs d’Orient.

Le tabac se consume assez rapidement, ce qui fait qu’il n’a pas le temps d’évoluer. Mais vu que les saveurs sont tellement parfaitement équilibrées, qui pourrait s’en plaindre ? Pas de plaintes non plus de la part de ma langue : malgré les acides, le Cairo ne se montre pas agressif. Par contre, s’il ne sort pas le marteau, il contient tout de même une bonne dose de vitamine N.

J’ai lu plusieurs commentaires de dégustateurs plutôt déçus après avoir fumé du Cairo tout frais. Mais à l’âge de dix ans, ce mélange au caractère exotique m’a ravi. C’est même l’un des tout meilleurs oriental blends sans latakia que j’aie goûté à ce jour.