Qu'est-ce qu'une pipe ? n°7

par Bernard Mathieu

22/01/18

Quelques réponses simples aux questions complexes que pose l'habitude de fumer la pipe

7ème partie

Bonjour ami fumeur, ami lecteur.
Tout roule ?
La santé, les pépettes, les amours ?…
La pipe et le tabac ?
Si ce n’est pas le cas, lis donc ce qui suit pour oublier un moment tes tracas et si tu as le bonheur de vivre sous un ciel serein, lis quand même car ces vaticinations ne sont pas réservées au cafardeux, elles sont ouvertes à tout le monde.

b) Odeur de tabac de pipe. Relent de pipe.
Elle sentait la pipe et l'eau-de-vie comme la gloire au bivouac (Alphonse de Chateaubriand, Mémoires d’Outre Tombe, tome 4, édition de 1848, p 293).

En dehors des bonnes pages qui figuraient dans le Bordas (le manuel de Français qui a accompagné des générations de collégiens pour leur plus grand bonheur) je n’ai jamais lu le vicomte. (Je tiens à préciser que, bien que roturier des orteils à l'extrême pointe des cheveux, je n’ai aucune prévention contre les vicomtes ni, d’ailleurs, contre aucune espèce de gens à particules. Il en est des vicomtes comme il est en des fumeurs de pipes, comme il en est des blondes, et des fausses blondes, comme il en est des vendeurs de bagnoles, des marchandes de chapeaux, des pianistes, des éleveurs de poules, des joueurs de cornet…).

Pourquoi n’ai-je pas encore lu ce cher Alphonse, un des monuments de la littérature nationale, te demandes-tu ami lecteur ?
Je l’ignore.

Chateaubriand par Girodet

Portrait de Chateaubriand par Anne-Louis Girodet

Parce qu’il se coiffait avec un pétard ? Parce que, sur le seul portrait de lui que je connaisse, il regarde ailleurs d’un air pénétré comme si ça l’agaçait qu’on pose les yeux sur sa précieuse personne ?
Mystère et boule de gomme !
(Selon sister Wiki, cette expression aurait été employée pour la première fois dans la littérature par Henry de Montherlant en 1949 dans sa pièce : “Demain il fera jour”. Pour certains, ce serait un jeu de mots construit à partir de « mystère de la Bégum » faisant référence au roman Les Cinq Cents Millions de la Bégum dont l’ébauche de Jean-François Paschal Grousset a été remaniée par Jules Verne en 1879).
Je le lirai peut-être un jour. La lecture est une aventure qui ne se termine vraiment que le jour où on devient gaga ! (Comme disait ma grand-mère Nonœil, que je suspecte fortement de n’avoir, au cours de sa longue vie de borgne, rien lu d’autre que le Progrès de Lyon, l’almanach Vermot et l’album du jardinier)
En conséquence, je suis dans l’impossibilité absolue de situer la phrase dans son contexte mais (comme je ne peux m’empêcher de faire le malin, tu t’en es sûrement aperçu, ami lecteur), je vais tout de même me permettre de raconter là-dessus ce qui me passe par la tête.

Elle sentait la pipe et l’eau de vie ! Le “Elle” sujet ne désigne pas forcément une dame. (Qui, par exemple, ferait des gâteries à la chaîne en se rinçant le bec à la gnôle…) Il pourrait s’agir d’un lieu : d’une salle d’auberge par exemple.

Pieter Bruegel

Scène d’auberge par Pieter Bruegel le Jeune dit aussi Bruegel d’Enfer,
né à Bruxelles vers 1565 et mort à Anvers en 1636

Chaque fois que je tombe sur un Bruegel, j’éprouve une véritable jouissance, qu’il s’agisse de Pieter l’Ancien, de Pieter le Jeune ou de Jean Bruegel l’Ancien, frère de Bruegel d’Enfer. (C’est moins compliqué que ça n’en a l’air. En fait ils sont trois. Le père et deux frangins.) Je passe de longs moments à décortiquer la toile et à m’en délecter.
Dans la partie gauche du tableau ci-dessus, tout part de traviole (Si le gentilhomme saoul coince la servante avant qu’elle ne parvienne en s’enfermer quelque part, c’est sûr qu’elle passera à la casserole ! Les filles d'auberges, tout comme les filles de fermes, et, plus généralement les femmes de la domesticité, fournissaient les institutions charitables en bébés abandonnés à la naissance. A la Cathédrale, de Mende, (Lozère), par exemple, il y avait un guichet aménagé pour recevoir les nouveaux nés dont on voulait (ou devait) se débarrasser. Quand on parle du “Bon Vieux Temps”, il faudrait savoir de quoi on parle! Ont voit également les prémices d’un meurtre que tente d’empêcher une dame qui accompagne le trio de sacripants bien vêtus, une scène d’ivrognerie gloutonne et un chien qui panique à l’idée que son maître va se faire ouvrir la panse.)
La partie droite respire le bonheur paisible d’un chat qui roupille et l’espièglerie d’un enfançon, assis sur les genoux de sa mère, laquelle ne prête aucune attention à ce qui se passe alentour comme si le tumulte en cours n’était qu’un épisode ordinaire et sans intérêt de la comédie humaine.
Pour moi, cet enfant hilare qui adresse un salut au spectateur, c’est le peintre qui nous fait signe à travers les siècles !
Salut Bruegel, salut mon vieux, merci, merci et remerci d’être encore là, quatre siècle après que tu sois parti fumer les mauves! (Encore une expression de Nonœil. Dans son lexique perso qu’elle rapportait des montagnes où elle avait grandi, fumer les mauves était l’équivalent de bouffer les pissenlits par la racine.)
Je vais sûrement dire une ânerie, (soit parce que je suis à côté de la plaque, soit parce que d’autres ont dit ce qui va suivre depuis belle lurette. Quoi qu’il en soit, dire des âneries n’est pas chose qui m’effraie, comme tu l’as compris ami lecteur !) mais avec de tels ancêtres, il me semble naturel que la bande dessinée Belges soit aussi riche en talents.
Il pourrait s’agir également, d’une salle réservée à des soldats puisque la phrase met en relation l’odeur de pipe et celle de l’eau de vie avec la gloire et le bivouac qui renvoient à la chose militaire.
Lorsqu’il écrit : “comme la gloire au bivouac”, le vicomte veut dire, j’imagine, que le lieu, ou la personne, dont il est question, sentaient aussi fort la pipe et l’eau de vie que le bivouac sent la gloire.
Ça, mon cher vicomte, c’est pure spéculation de ta part !
Je ne suis pas certain que les soirs de bataille, même victorieuse, le bivouac sentait la gloire. A mon sens, il devait sentir la peur, l'épuisement, la joie incrédule d'en être revenu, le sang, la merde, la boue, mais la gloire?…A moins que le parfum de la gloire ne soit un remugle combinant ces diverses puanteurs…

miniature ivoire

Miniature sur ivoire : scène de bivouac militaire

Je pourrais gloser longuement encore sur cette phrase sibylline, mais je vois ton nez qui s’allonge ami lecteur, ton sourire qui se fane. Je te connais suffisamment maintenant pour en déduire que tu penses : “il nous rase avec ses histoires d’eau de vie, de bivouac et de gloire ! Assez de balivernes, passons à autre chose !”
Très bien, fort bien, tes désirs sont des ordres ami fumeur.
Je ferme le ban !
Examinons maintenant la ligne suivante de mon dictionnaire adoré.
Un jour, une dame, épouse de colonel de zouaves, (je ne déconne nullement ami lecteur, c’est la vérité vraie dans toute sa nudité : la vérité, pas la dame, je serais parti en courant !) qui se pomponnait chaque matin à l’eau bénite, m’a vertement repris parce que j’avais dit que j’adorais quelque chose : la confiture de myrtilles, peut-être, ou le parfum du serpolet…. (La scène se passait à la campagne) “On n’adore que Dieu monsieur!” m’avait-elle jeté à la figure d’un air outragé avant de me tourner le dos et de me montrer un derrière qui n’avait pas du rigoler bien souvent. Non pas à cause du colonel : les zouaves sont réputés ne pas faire la fine bouche quand il s’agit d’aller au claque, mais par sa volonté à elle qui, j’en suis sûr, classait la rigolade parmi les turpitudes passibles de l’enfer.
Un sourire : 24 h chez Satan !
Une quinte de rire : une semaine de villégiature au bord du Styx…
Rompez !
Quant à la gaudriole en dehors des maternités, c’est le purgatoire assuré !
Comme chacun sait, le purgatoire est bien pire que la salle d’attente du dentiste et on y séjourne beaucoup plus longtemps, sans voisin sans voisine avec qui tailler le bout de gras, sans lecture débile, sans mouches à regarder voler !
Si les officiers montrent du courage dans la bataille c’est parce qu’ils savent ce qui leur pend au nez une fois qu’ils seront rentrés dans leurs quartiers. (Tu auras noté, ami lecteur, que cette remarque trahit une misogynie indéniable ce qui prouve, s’il le fallait, que je suis prêt à tout pour te distraire.)
Pour couper court à toute autre remarque, fondée ou non, disons : mon dictionnaire chéri.
(Vous acceptez chéri, madame la colonelle ? c’est OK pour votre vertu ?
Non ?…
Vous trouvez que ça fait pédé ?
Vous préférez : “ mon dictionnaire bien aimé ?”
Soit, mais je vous préviens que c’est ainsi qu’on châtre une langue : en euphémisant à tour de bras pour respecter la bienséance.
Vous trouvez que ça tombe bien ?
Qu’est-ce qui tombe bien ?
Vous estimez qu’il faut châtrer tout ce qu’on peut châtrer ?
Je vous reconnais bien là, madame la colonelle.
)

Puisque j’en suis, incidemment, à traiter de colonelle, je me dois de signaler qu’au théâtre, La Colonelle est la répétition qui précède la répétition générale, autrement dit : La Générale. Elle est le plus souvent en costume (La première répétition en costume, celle durant laquelle on voit ce qui va et ce qui ne va pas dans les costumes, est appelée La Couturière). Guillaume en sait plus que moi dans ce registre et je lui laisse le soin de démentir ou de compléter.

avignon kleist

Répétition du Prince de Hombourg de Heinrich Von Kleist dans la cour d’honneur du palais des papes le 04 juillet 2014 mise en scène Giorgio Barberio Corsetti

c) Action, habitude de fumer la pipe.

Le conseiller aulique Hans et Meister Philippe, Pour elle avaient laissé le genièvre et la pipe (Théophile Gautier, Albertus, publié en 1833, p 140).

Albertus ou “l’Âme et le Péché” est un recueil de poèmes de jeunesse. Gautier a vingt deux ans lorsqu’il les écrit et ça se sent : c’est farci d’un romantisme exalté, et même boursouflé, difficilement lisible aujourd’hui à moins qu’on ne soit un fou du shibari de la cervelle.
Qu’est-ce donc que le shibari t’interroges-tu, ami lecteur ?
Comme de bons croquis, ou de bonnes photos, valent parfois mieux que de longues explications, voici un exemple qui, je pense, éclairera ta lanterne.

shibari

Shibari : une réalisation de Nawashi Shadow

Comme tu peux constater, le Shibari est un art du ligotage qui n’a rien à voir avec le ficelage de rôti (ou roulé), de bœuf, de veau ou de tout autre bidoche.
Le Shibari serait né en Chine avant d’être importé et développé au Japon. Il a désormais ses maitres (dont Nobuyoki Araki est le plus fameux et le plus forcené) et ses fans, masculins et féminins.
Cet aimable divertissement a débarqué en Europe depuis quelques années, et notamment à Paris où des ateliers de travaux pratiques proposent désormais de transformer sa copine, ou sa moitié, ou sa cousine Loulou, en rosette, en salami ou en saucisson de Lyon. (Il faut prévoir de rentrer autrement qu'en métro à la fin de la séance.)
Le Shibari du cerveau n’est, ni plus ni moins, que l’art de se faire des nœuds dans la cervelle.

Albertus est un poème de Quarante strophes de douze vers, qui n'en finit pas.
La strophe d'où est extraite la phrase d'illustration citée par mon cher dico appartient à la XXXV° que voici.

— Le conseiller aulique Hans et Meister Philippe
Pour elle avaient laissé le genièvre et la pipe;
— C’était vraiment plaisir de voir ces bons flamands,
Types complets, — gros, courts, la face réjouie,
Négligeant leur tulipe enfin épanouie,
Transformés en dandys, et faire les charmants
Auprès de la diva.

paquebot gautier

L'équipage du paquebot Théophile Gautier, des Messageries Maritime en Grèce, Août 1940
La photo n'a rien à voir mais elle est chouette, pas vrai ?

Lorsqu'il n'écrivait pas des poèmes ou des romans dont les plus connus sont “Le Roman de la Momie” et “Le capitaine Fracasse”, (écrit en 1863) le bon Théophile se rendait chez son ami Baudelaire. Les rejoignaient une troupe de joyeux drilles dont Théodore de Banville, poète lui aussi, et dramaturge. Tout ce beau monde prenait le thé en avalant des boulettes de Hachich.
Théophile a d'ailleurs publié des nouvelles intitulées : “Le club des Hachichins” ou “une pipe d'opium”, (preuve s'il en était besoin, que le Hachich n'était pas le seul produit qui se trouvait au menu de leurs agapes, preuve également que tous les Louloutes et Loulous qui se croient rebelles parce qu'ils fument du shit, ont cinq, voire dix trains de retard !)
Gautier, enfin, est l'auteur d' “Émaux et Camées”,
Camées ?
Tiens, je croyais que ça s'écrivait Camé.

victor hugo

Hugo en condottiere du mouvement romantique avec Théophile Gautier, cheveux longs, moustachu et chapeauté, en croupe.
Gravure et légende piquées telle quelle à sister Wiki

Les hommes (...) interrompaient leur pipe ou leur partie de bézigue (Huysmans, Marthe, 1876, p.14):

bezigue caillebotte

La Partie de Bézigue de Gustave Caillebotte 1881

Concernant le bézigue, je me contenterai, ami lecteur, de mentionner que c'est un jeu de carte. Je ne décrirai pas les règles parce que c'est trop chiant et que, de toute façon, personne n'en a plus rien à foutre.

Voilà c'est tout pour cette année lecteur de mon cœur. Ne crois pas que j'en aie terminé avec la pipe, quelques questions restent encore sans réponse et je vais m'atteler à les trouver.

Allez, porte toi bien ami fumeur, pétune autant qu'il te plaît, fais des ronds au plafond et à la prochaine.






Copyright Bernard Mathieu.