Qu'est-ce qu'une pipe ? n°6

par Bernard Mathieu

18/11/17

Quelques réponses simples aux questions complexes que pose l'habitude de fumer la pipe

6ème partie

Lors de la précédente livraison, je t'avais promis, ami lecteur, ami fumeur, de traiter de ce qu'on peut fumer dans une pipe et qui n'est pas du tabac. Que nous dit donc notre cher dictionnaire ?

En particulier. [Chez les toxicomanes] Dose d'opium ou de hachisch qui s'absorbe en fumant une pipe.

fumerie

Fumerie d'opium à New-York vers 1900. Trop composé à mon sens pour ne pas être une mise en scène.

J'ai fumé quelques pétards, comme tout le monde, mais sorti de là, je ne connais rien aux drogues, mais alors rien de rien et je n'ai pas l'intention de combler cette lacune.
C'est pas très Rock and Roll, j'en conviens. Dans certains cercles où on s'enfile des rails de coke dans les trous de nez comme d'autres s'envoient un pain au chocolat pour calmer le p’tit creux du milieu de matinée, l'abstinence est même considérée comme une marque de totale ringardise.
Si je n'ai jamais essayé de voir ce que donnaient les diverses substances qui, un jour ou l'autre, me sont passées sous le nez, ce n'est ni de la vertu, ni de la prudence, c'est tout bêtement parce que ça ne m'a jamais intéressé. (Et puis je dois confesser que toutes celles et tous ceux que je vois déambuler, la tête à l'envers et les bras perforés jusqu'à los, dans le quartier que j'habite depuis bientôt trente ans, ne donnent pas envie de les imiter.)
Des effets de l'opium je ne sais rien d'autre ce qu'on peut lire dans : “le lotus bleu” d'Hergé, publié pour la première fois, en noir et blanc, en 1936. (Cote de l'album en bon état, avec pages de garde grise : 4 000 euros).

lotus bleu

On peut également lire quelques pages, probablement très informées, sur les effets de la consommation d'opium à court et à long terme dans “Monsieur le Consul”, le roman de Lucien Bodard, publié chez Grasset en 1973.
Bien que je ne connaisse pas le dessous des cartes, il me semble abusif de qualifier “le Consul” de roman. A mon sens, c'est plutôt une chronique romancée. (Tu connais, ami lecteur, ma propension irrépressible à émasculer les mouches ! Les mouches mâles, bien entendu : ça n'aurait aucun sens de chercher à émasculer une mouche femelle ! A quoi reconnaît-on une mouche mâle, t'interroges-tu ami lecteur ? Ben comme chez nous : à ses tatouages (pardon Alexandre), à son poil aux pattes, à ses gros biscotos… La vraie difficulté de ce sport est de repérer les roubignoles. Une fois qu'on les a localisées, soit on choisit la méthode européenne, dite classique, soit on opte pour la méthode chilienne. Tu ne connais pas la méthode chilienne, ami lecteur ? Dans ce cas, reportes-toi au “Sillage de la Baleine” paru chez Phébus en 1998. Dans ce roman qui évoque très fort le Moby Dick de Melville, Francisco Coloane : un poète et romancier originaire de l'île chilienne de Chiloé, explique comment castrer un bélier avec les dents. Il n'y a pas que les béliers qu'on castre avec les dents, les Sami, peuple autochtone du nord de la Scandinavie, ont longtemps procédé de même avec leurs rennes et je suis persuadé que certains doivent continuer. Quant à savoir quelle méthode préfèrent les rennes des Sami et les béliers de Chiloé ? Reste à le leur demander.)

mouche

Mouche domestique mâle castrée de frais et pourtant vaillante

Bodard décrit une Chine des années vingt qui part en brioche. Son père : Albert, longtemps consul à Chengdu, capitale du Sichuan, y représentait la France.

Au fil des interviews télé (la télé avait découvert qu’il était ce qu’on appelle : un bon client, autrement dit qu’il faisait ce qu’on attendait de lui, comme le lapin Duracell, en somme, qui joue du tambour quand on le somme !), le personnage de Bodard avec sa truculence et son énorme pif qui lui mangeait toute la figure (vous connaissez la tirade des nez dans le “Cyrano” de Rostand : « c'est un roc ! ... c'est un pic... c'est un cap ! Que dis-je, c'est un cap ? ... C'est une péninsule ! » Eh bien Bodard aurait pu la reprendre à son compte. Son pif ressemblait d'ailleurs beaucoup à celui de mon tonton Marcel (qui n'avait pas cassé trois pattes à un canard, soit dit en passant), à moins que ce ne fut le contraire, que ce ne fut le pif de mon tonton Marcel qui ressemblât trait pour trait à celui de Bodard ? Quoi qu'il en soit, les tarins de l'un et l'autre n'étaient pas piqués des hannetons !) le personnage, donc, avait pris le pas sur l'écrivain et c'était bien dommage. Si le bonhomme, qui n'en finissait pas de discourir avec un phrasé d'asthmatique, me saoulait un peu, www.ina.fr, je garde un excellent souvenir du bouquin, qui est très vivant et témoigne d'une connaissance approfondie de la Chine et du peuple chinois. On devine que le jeune Bodard ne se contentait pas de regarder ce qui se passait du haut de sa fenêtre, il a visiblement payé de sa personne. Il décrit le port, les bordels chics et populaires, les fumeries, il compose une magnifique galerie de portraits de notables chinois, d'expatriés européens, il sait installer une ambiance. Bref, si d’aventure tu ne sais pas quoi lire, ami lecteur, jettes-toi sur “Monsieur le consul”, et tu passeras un bon moment.

lucien bodard

Lucien Bodard à l'époque de la parution du Consul.
Mon Tonton Marcel tout craché !

Pendant que j'y suis, permets-moi, ami lecteur, de te signaler un autre roman qui met en scène un consul fameux. Tu auras reconnu : "Au-dessous du Volcan”, de Malcolm Lowry publié en 1947 et devenu cultissime en quelques années. Le roman : un vrai celui-là, raconte les dérives amoureuses et alcooliques de Geoffrey Firmin, consul britannique à Quauhnahuac, Mexique, en réalité Cuernavaca. (Lorsque je m'y suis rendu en pèlerinage, au début des années quatre-vingt, j'ai bouffé en chemin un tacos qui avait mijoté trois grosses semaines au soleil et qui s'était fait piétiner par des nuées de mouches (Comme on sait, les mouches ne se lavent jamais les pieds avant de passer à table, d'où ma haine des mouches qui me pousse à les émasculer, mais on ne va pas remettre le couvert sur les diptères, n’est-ce pas ?) Ami lecteur, je te laisse imaginer l'état éruptif de mes tripes lorsque je suis arrivé à l'hôtel. C'est pas poétique, je sais, c'est pas épique non plus, si tu ne veux pas passer pour un branque, ami fumeur, mieux vaut écrire que tu es arrivé à Cuernavaca les yeux embués de larmes tant l'émotion de retrouver les lieux où avait vécu le consul imaginé par Lowry te bouleversait, plutôt que d'avouer que t’as foncé vers les chiottes en renversant une grosse rombière qui t'a agoni d'injures. Et pourtant… Les personnages de romans ont rarement un trou du cul, tu l'auras remarqué, et leur bistouquette ne leur sert jamais à pisser mais seulement à enfiler des blondes nucléaires dont un simple battement de cil suffit à ouvrir une braguette.)

Malcolm et Margerie Lowry

Malcolm et Margerie Lowry devant leur villa de la rue Humboldt à Cuernavac

Le consul de Lowry ne carbure pas à l'opium ni à aucune poudre, fut-elle à récurer, il carbure au mescal et à la tequila et, crois-moi, ami lecteur, ça le met dans des états pas possibles! (Je sais de quoi je parle pour avoir carburé à ce genre de limonade pendant quelques semaines à Puerto Angel et Puerto Escondido qui n'étaient alors que de misérables bourgades de pêcheurs échouées au bord du Pacifique).
Montand qui voit sortir les habitants du placard dans “Le cercle rouge”, c'est de la bibine à côté des hallus du consul.

Yves Montand

Montand en proie au délirium tremens dans le Cercle rouge, film de Jean-Pierre Melville sorti en sorti en 1970

Ferral faisait semblant de fumer −une, deux pipes, toujours moins qu'il n'en eût fallu pour qu'il éprouvât l'action de l'opium − (Malraux, la Condition humaine, parue en 1933. page 345).

On ne célèbrera jamais assez la contribution du Livre de Poche à la culture. Pas seulement à la culture populaire, à la culture tout court. Au tout début de sa création, on trouvait des présentoirs dans tous les commerces qui voulaient bien les accepter : bistrots, tabacs, épiceries. Chaque quinzaine, ou peut-être chaque mois, (quoi qu’il en fut, le rythme des nouveautés était toujours trop lent à mon goût.) je voyais arriver des auteurs dont je n’avais jamais entendu parler. Orwell, Hougron, Kafka, Tolstoï et bien d’autres…

Lorsque j’avais découvert le bouquin de Malraux sur le présentoir du café tabac où mon père m’envoyait acheter ses cigarettes, j’avais sauté au plafond et je l’avais acheté aussi sec. Avec le pognon des cigarettes !
(J’habitais à l’époque un bled de pedzouilles : de vrais pedzouilles, du pedzouille blindé, pourtant le présentoir du tabac se retrouvait régulièrement à poil ! Preuve que chez les pedzouilles on ne fait pas qu’écluser des godets, on nourrit aussi sa cervelle !)
A l’époque, Malraux était sans doute la plus grande gloire de la littérature française. Il avait eu le Goncourt avec : “ La condition”, précisément, il avait fait commandant d’escadrille durant la guerre d’Espagne, il avait pillé des temples royaux au Cambodge, (et s’était fait piteusement gauler) il était ministre de la culture, bref, il planait très, très, très haut dans le ciel français. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il prononçait une de ces phrases définitives qui me persuadaient, avec amertume, que jamais, au grand jamais, je n’aurai de pensées si élevées, si profondes, aussi puissamment chargée d’intelligence, d’histoire et de tout le tralala.

André Malraux

Le colonel Malraux commandant de l’escadrille Espana en 1936

La “Condition Humaine !” Quel programme ! Je m’étais dit : tu vas lire ce bouquin et il t’en apprendra tellement sur l’espèce (quelle espèce te demandes-tu ami lecteur ? Ben la nôtre! L’espèce humaine tiens ! Tu suis ami fumeur ou tu regardes les mouches voler ?) que tu deviendras savant. Tu ne trimbaleras plus jamais du fumier collé à tes sabots.
Je bichais.
Je vais bluffer les poulettes !
La grosse Dany, je lui lis trois pages de “La condition” et hop ! (Quoi “hop” ? te demandes-tu ami lecteurs. Eh bien, pour être franc, je ne sais pas ce qu'aurait pu être ce “hop” pour la bonne raison que la grosse Dany m'a envoyé au bain quand je me suis présenté avec mon bouquin à la main. Elle m'a trouvé minable ! A l'époque, elle se faisait sauter par un forain qui tenait le gouvernail d'un énorme bateau balançoire qu'il installait sur le flanc de l'église à la vogue des noix. Vers une heure du matin, lorsqu'il ne restait plus sur la place que des papiers gras et du verre cassé, il faisait embarquer la grosse Dany à bord de son bateau balançoire, il jetait une couverture sur le fond sali de la coque et il lui montrait la grande ourse, ou la petite, ou je ne sais laquelle des constellations qui paraissaient dans le ciel des Fumées, lorsqu'il était clair. A force de mater les étoiles des nuits entières, par-dessus l'épaule de son forain, elle a fini par se chopper un lardon ! J'ai pas eu la cruauté de lui dire, “ben voilà, Grosse Dany, c'est ça la condition humaine !” Je me suis contenté de la regarder gonfler. Après avoir délaissé le bateau, la Grosse Dany s'est essayée à la Montgolfière et j'peux pas dire que ça lui ait réussi ! Elle a une demi-douzaine de lardons et les pères se bousculaient pas au portillon pour payer les pensions !)

Je ne me souviens pas grand-chose du roman, à part qu’on y enfournait des hommes vivants dans le foyer des locomotives et qu’un type disait que pour avoir la paix avec les chinoises, il en mettait deux à la fois dans son plumard ce qui, bien sûr, n’était qu’une rodomontade de colon !
Il me semble que la prose était plate, ennuyeuse, sentencieuse…empreinte d’une certaine arrogance.
Mais peut-être n’étais-je pas assez malin ni assez éduqué pour comprendre ce roman, peut-être que si je le lisais aujourd’hui, le talent de Malraux me sauterait à la figure ? J’ai tout de même un doute parce que son Ferral, qui fume sans fumer, use d’une ruse qui me paraît bien médiocre. Un personnage de roman qui se respecte ne s’abaisse pas à de si minables simulacres. C’est comme si en plein milieu d’une scène de baise, le héros sautait en route et tirait dans la touffe !
Ce serait nul, pas vrai ?
Archi nul !

Fumerie

Fumerie chinoise à la fin du XIX° siècle

On fait ça dans la vie, parce que dans la vie on a des contingences qu’on n’a pas dans les romans. Mais ceci n’est qu’un avis de pedzouille, ami lecteur, un pedzouille qui a mûri, qui fume la pipe, mais un pedzouille quand même.

Voilà, c’est tout pour cette fois ami Fumeur.
Allez bye bye !
Dors bien, fais des rêves marrants !





Copyright Bernard Mathieu.