Les bottes des chasseurs, exposées à la flamme, fument. Le bourgogne chatoie dans les canons épais. L'âme opulente du vieux semois se déroule en blanches volutes sous le toit pointu.
La chevauchée au grand air, le vin, le tabac plongent les chasseurs
engourdis dans une griserie enchantée.
Le Belge différencie ses tabacs de pipe comme les crus de Bourgogne. Il en a de délicieux: ni le caporal républicain, ni le tabac blond comme la chevelure d'une gretchen cher aux Allemands et à leurs frères Hollandais, ni le tabac au miel des Britanniques, n'ont cette plénitude liturgique de l'obourg dont le riche bouquet vous fera suivre à la piste un fumeur pour le plaisir de sentir l'arôme.
L'obourg se récolte aux environs de Mons. Le semois qui prend son nom de la rivière ardennaise sur les bords de laquelle il croît est aussi suave : c'est du havane poussé sur les coteaux d'Ardennes à côté d'herbages odoriférants. Il y a encore l'appelterre qui participe des deux autres et est plus léger.
Moi qui suis de Sambre-et-Meuse, je crois aimer lobourg et le semois, non parce que je participe d'un sol, mais parce que ces tabacs ont une plénitude de goût et de parfum qui en font des chefs-d'œuvre.
Plus que la cigarette et le cigare, la pipe a donc été célébrée ; c'est qu'elle s'adapte à la personnalité de son propriétaire en même temps qu'elle plait au fumeur ; la pipe, c'est quelque chose comme une maitresse, une maîtresse fidèle dont on ne se fatigue jamais et qui souvent console des autres, c'est la compagne, c'est l'amie de tous les instants, de la solitude et de la méditation.
Vous n'êtes pas seul quand vous êtes avec votre pipe allumée, mais avec un être animé dont la personnalité a beaucoup d'analogie avec la vôtre.
Le tabac procure le repos parce qu'il charme les loisirs et occupe l'oisiveté ; en chassant l'ennui, il assure la béatitude d'un loisir complet. Et il fait naître dans le cerveau un bouquet de pensées heureuses. Il excite les idées à se développer, à s'épanouir, il allume dans l'esprit une gerbe d'étincelles.
Il faut convenir que le geste du priseur s'accordait merveilleusement à l'art de conter qui fut un grand charme du XVIIIe siècle. La prise permet de prendre son temps, de chercher un effet, de laisser l'auditeur en suspens et d'aiguiser son attention. La prise peut servir d'exorde, de précaution oratoire, voire de péroraison, comme un éternuement bien placé peut être redoutable pour l'adversaire.
.... y a encore les brevas et les cassadores, qui se font avec le tabac male et le bas de la plante. Ce sont des cigares noirs et corsés, d'un parfum puissant ; ils possedent une saveur toute romantique. Violents et sauvages, ils font naitre dans le cerveau des rêves héroïques; ils sont comme un chant d'orgue dans les senteurs des bois, lorsqu'on les fume après un déjeuner de chasse, en se levant de table et en se dirigeant vers l'enceinte que les traqueurs vont battre pour en faire sortir le cerf ou le sanglier; ils évoquent la vaillance comme une fanfare «S c'est à eux que faisait allusion Maurice Barrès en parlant des cigares d'Amori et dolori sacrum.