Deux ans de promenade à travers le paysage pipier

par Erwin Van Hove

10/09/12

Tout gentiment, ça devient une tradition : tous les deux ans, à la fin du mois d’août, je fais le point. Quels pipiers livrent du travail impeccable ? Qui, par contre, a encore pas mal à apprendre avant de mériter le titre d’artisan-pipier ? En examinant cinquante-cinq pipes de trente et un pipiers différents, accumulées au courant de vingt-quatre mois, je crois être en mesure de formuler certaines conclusions sur la qualité moyenne des pipes artisanales disponibles sur le marché mondial. Certes, ces conclusions n’ont pas la prétention d’être à 100% probantes. Toutefois, je suis convaincu que l’examen d’un échantillon d’une bonne cinquantaine de pipes d’origines diverses permet quand même de percevoir des tendances. Ainsi, il y a quatre ans, j’avais été irrité par le pourcentage étonnamment élevé de pipes qui nécessitaient du bricolage, voire un retour à l’expéditeur, pour remédier à de graves défauts d’exécution, notamment au niveau du passage d’air et du bec. (artbricolage.htm) Deux ans plus tard, j’avais pu constater un net progrès. (artbricolage2.htm) A présent, il convient donc de vérifier si la croissance de la qualité moyenne notée en 2010 était un phénomène purement fortuit et éphémère ou si vraiment on trouve de moins en moins de pipes avec de manifestes déficiences techniques.

Avant de passer à la liste alphabétique des pipiers examinés, je vous présente quelques chiffres. Sur ces 55 acquisitions, 8 sont des pipes préfumées. Parmi les neuves, il n’y en a que 12 trouvées dans le commerce. La moitié des 35 pipes achetées directement aux pipiers, ont été faites à ma demande. Les pipes testées ne représentent ni la gamme des pipes à deux sous, ni les über high grades dont les prix s’écrivent en quatre chiffres. La moins chère, une Butz-Choquin estate, m’a coûté $30 et la plus onéreuse, une Brad Pohlmann, $750, la grande majorité se situant dans une fourchette de prix allant de 150 à 300 euros. Pour terminer, un chiffre qui en dit long sur le phénomène de la globalisation de l’artisanat pipier : ces 55 pipes sont originaires de 14 pays différents !

1. Ailarov, Sergey

A $350 on ne peut pas s’attendre à un véritable chef-d’œuvre au grain époustouflant d’un des Russes les plus accomplis. Ceci dit, quel pipier ayant pignon sur rue des Collectionneurs Internationaux, vous livre encore une belle pipe lisse, respectablement flammée au prix que pratiquent des cohortes de débutants au talent douteux ?

Depuis son bec fin à sa finition satinée qui ne se détériore pas, cette apple est irréprochable. En plus, c’est une excellente fumeuse de virginias dont elle rend avec clarté toutes les nuances. Une classique dont on ne se lasse jamais.

Sergey Ailarov

2. Aivazovsky, Armen

Un poids de 27g et un bec de 3,6mm. C’est menu, c’est fin, c’est élégant. Après des débuts un peu houleux (surchauffe dans le talon), cette dublin aux accents de hawkbill s’est avérée très plaisante. Bois sans défaut, respiration naturelle, bec confortable doucement arrondi, saveur qui s’harmonise parfaitement avec le virginia. Qui dit mieux pour $225 ?

Armen Aivazovsky

3. Aksenov, Yuriy

Encore un roi du rapport qualité/prix. $330 en tout pour les deux rustiquées que voici : une bulldog au guillochage original et long à faire et une forme signature, baptisée fig (figue), dont le rusticage évoque le sablage. La bulldog est très bien taillée et la fig brille par sa ligne gracieuse. Les deux finitions sont exécutées avec soin et maîtrise. L’intérieur des lèvres pourrait être plus arrondi, mais pour le reste ce sont des pipes confortables qui se fument sans problèmes et qui produisent une saveur agréable. Ce ne seront pas mes dernières Aksenov.

4. Ardor

La pipe du groupe 2011. Il y a du bon et il y a du mauvais. Une pipe typiquement italienne, c’est-à-dire avec une saveur irréprochable, mais avec une exécution technique assez médiocre, notamment avec une ouverture dans le bec vraiment primitive et un passage d’air qui tend de temps à autre à glouglouter. Ceci dit, c’est une pipe élégante avec un très joli spigot en argent, taillée dans un plateau de qualité pour un prix plus que correct. Si les Italiens avec leurs splendides bruyères travaillaient dans l’esprit perfectionniste des meilleurs Allemands ou Américains, ils seraient difficilement battables.

Ardor

5. Au Caïd

D’accord, cette belle pipe sortant d’un vieux stock de sanclaudiennes n’est pas à proprement parler artisanale. Toutefois, ce n’est pas non plus un produit anonyme et standardisé, vu que le gérant du Caïd, Didier Tubiana, a habilement adapté le bec à mes souhaits. Le grain du bois sans failles s’harmonise parfaitement avec la forme, le conduit d’air largement ouvert garantit un tirage exemplaire, le goût est des plus agréables. Cette pipe témoigne du fait qu’à la grande époque, les ouvriers de Saint-Claude savaient faire du beau et du bon.

Au Caïd

6. Baki, Fikri

De l’écume de première qualité, une ligne élégante, un perçage bien ouvert, un bec en acrylique de 3,7mm. Que voulez-vous que je vous dise de plus ? Je ne peux que me répéter : Fikri Baki est sans conteste le meilleur pipier travaillant l’écume de mer. Point barre.

Fikri Baki

7. Butz-Choquin

Une Butz-Choquin Collection 4 étoiles, vous en connaissez le prix neuf ? Je viens d’en voir une à $570 et une autre à €429. Moi, j’ai acheté la mienne chez Briarblues pour $30. En excellent état. Ca vous donne une idée de la mégalomane surcote des Collection neuves.

Le bois est beau, sans être extraordinaire, le bec confortable sans aucunement égaler le confort des allemandes, le tirage parfait. Cette pipe aime les aromatiques dont elle restitue les saveurs avec douceur et précision. Au prix payé, un maître-achat, au prix officiel, une arnaque, d’autant plus qu’Alain Albuisson, le maître-pipier à qui Butz-Choquin attribuait fièrement l’entière série Collection, a publiquement renié la paternité de bon nombre de ces pipes.

8. Claessen, Dirk

Et hop, trois Claessen de plus : une bulldog inspirée de Miyasaka, une liverpool et une freehand basée sur la forme volcano. Une visite à son site web permet de constater que petit à petit, le Belge vivant en Espagne est en train de développer un style reconnaissable. Ca mérite un coup de chapeau, non pas parce que je suis un fervent amateur de tous ses modèles, mais parce qu’un style personnel, ce n’est pas donné à tout le monde.

Pour le reste, je peux être concis. Toute Claessen est exécutée de main de maître : les becs sont exemplaires et ses pipes se fument toutes seules, tant leur passage d’air est parfait. Et puis, mes sept Claessen ne déçoivent jamais niveau goût. De la grande pipe à un prix honnête.

9. Enrique, David

Voilà un autre as des pipes exécutées dans les règles de l’art pour des prix démocratiques. Trois commandes cette fois-ci : une Bing, une egg façon Mimmo et une interprétation d’une pod, création de Jeff Gracik. Ces pipes prouvent que David Enrique continue à progresser : il comprend instinctivement l’essence des formes qu’on lui demande de reproduire ou d’interpréter et il a l’habileté pour les réaliser avec précision, il orne ses pipes d’éléments décoratifs bien intégrés dans l’ensemble et pour ce qui est des becs, à mon avis il n’a plus rien à envier aux vedettes internationales de la lentille.

Ce sont des pipes très soignées qui tirent parfaitement bien. Dommage que le goût de la pod s’avère plutôt austère.

10. Glasner, Axel

Ces dernières années, Axel Glasner était une étoile montante au firmament allemand. Depuis peu, c’est enfin la consécration : le voilà distribué par le prestigieux commerce en ligne Scandinavian Pipes. Inspiré par Ilsted et Tao, Glasner se retrouve donc tout naturellement parmi la fine fleur scandinave. C’est tout mérité. Ma dublin asymétrique respire la classe : du bois sans défauts, des ajustages imperceptibles aux doigts, une surface lisse comme un derrière de bébé, une finition miroitante, un bec taillé avec précision même si je l’aurais préféré plus arrondi, un tirage absolument parfait.

Axel Glasner

Vu sa capacité limitée, je l’aurais volontiers dédiée aux flakes. Récalcitrante et têtue, cette prima donna fait la fine bouche et n’admet que le semois. Sans enthousiasme. Vérification faite, j’apprends que Glasner a préculotté sa pipe au verre liquide. Des poids lourds comme Greg Pease, Mike Glukler, Marty Pulvers ou Fred Hanna ne cessent de mener la campagne contre l’emploi du verre liquide et par ailleurs tous les sondages menés dans divers forums démontrent qu’une grande majorité des pipophiles préfèrent un foyer vierge. C’est à se demander si les pipiers qui s’obstinent à dénaturer la saveur de leurs bruyères, souffrent d’une affection des papilles gustatives ou s’ils se contrefichent des préférences de leur clientèle.

11. Goldman, Vladimir

D’origine russe mais vivant en Israël, Vladimir Goldman est un pipier amateur à peine débutant. D’ailleurs il m’a offert cette rhodesian pour que je lui communique mon jugement et mes conseils. La forme un peu molle manque de définition et le bois n’est pas extraordinaire. Par contre, entre le tuyau et la tige il n’y a pas de jour, le cumberland s’harmonise bien avec la teinture et le bec bien taillé est suffisamment confortable. Comme le perçage dans le tuyau était d’un diamètre un peu juste, je l’ai ouvert et depuis, la pipe se fume parfaitement bien et produit une saveur fort agréable.

Vladimir Goldman

Ce n’est pas du grand art pipier, mais un loyal cheval de bataille dont je me sers régulièrement. Je suis convaincu que Goldman a le potentiel de devenir à terme un pipier respectable.

12. Hennen, Hermann

Je ne me suis pas borné à acquérir deux pipes du groupe millésime 2010, j’ai également commandé à Hermann Hennen trois autres spécimens et pas des moindres : une Ramses et une calabash à la Bo Nordh et une variante plus personnelle sur le thème de la calabash.

Les deux pipes du groupe présentent un excellent rapport qualité/prix : ce sont à la fois de jolies formes taillées dans du beau bois et des outils de fumage performants. Quant au goût, si l’une s’avère très douce avec les virginias, l’autre a plus de mal à se livrer. Mais pour vraiment se faire une idée de la maîtrise de Hennen, il faut se tourner vers les trois autres. Avec elles, on entre de plain-pied dans l’univers de l’authentique high grade où, malgré les complications formelles et techniques que pose ce genre de pipes, tout respire la perfection, depuis la lecture et la mise en valeur du grain, jusqu’à la précision des perçages, la respiration exemplaire et le rendu des saveurs. Et tout ça pour des prix qui sont inférieurs à ceux d’une Butz-Choquin Collection. Chapeau bas.

13. Hubartt, Paul (Larrysson)

Tout comme mes deux autres Larrysson, mes deux nouvelles acquisitions sont très bien exécutées. La tree bark est une pipe au look original qui se fume comme un charme et qui met bien en valeur les latakias qui lui sont confiés. La strawberry est toute récente et prouve que l’Américain vivant au Royaume-Uni continue à progresser, tant au niveau esthétique que technique. Ainsi, l’harmonie entre la couleur de la bague en ivoire de mammouth et la teinture trahit un sens de la composition accompli, alors que le bouton sensuellement arrondi témoigne de l’attention que le pipier porte désormais aux détails. Ajoutez à cela que dès les premières bouffées, la strawberry s’est loyalement mise au service du semois et vous comprendrez qu’elle me procure entière satisfaction.

Bien qu’ils aient grimpé, les prix de Paul Hubartt restent plus qu’honnêtes au vu de la qualité livrée. Larrysson pipe

14. Jopp, Uwe

Récemment, Skip Elliott, propriétaire de la civette The Briary et pipier doué à ses heures, me disait que selon lui, le pipier le plus sous-estimé au monde, c’est Uwe Jopp. Je comprends ce point de vue. Tout comme ma première, ma nouvelle Jopp exhibe du beau bois bien mis en valeur par une teinture ensoleillée et une finition chatoyante. Elle cache dans sa tige un perçage courbe exécuté sans faille et présente un bec taillé à l’allemande. Ajoutez à cela que l’équilibre est remarquable, le tirage irréprochable et le goût plus que plaisant et vous comprendrez pourquoi Skip Elliott s’étonne tant des prix abordables et du manque de renommée de l’artisan allemand.

Uwe Jopp

15. Knets, Maigurs

Ce Russe vivant aux Etats-Unis est un phénomène. Son style sculptural impressionne par son originalité et par son élégance. Une typique Knets témoigne du fait que son créateur déborde d’idées et dispose de la maîtrise pour les exécuter. Malgré son classicisme, la cherrywood que voici ne fait pas exception. C’est une calabash system sans tige surdimensionnée, le fourneau amovible se vissant sur une chambre de condensation. Or, grâce à une exécution technique perfectionniste, de la condensation il n’y en a guère.

Bref, c’est du travail impeccable. Maigurs Knets fait des Rolls. Le délicieux goût de noisette que cette cherrywood confère au burley est un atout supplémentaire qui en fait une pipe sublime.

Maigurs Knets

16. Mastro Cascia

Voilà un pipier italien inconnu qui travaille toutes sortes de bois, tout comme Tommaso Spanu. Cette calabash par exemple est taillée dans du bois de citronnier. C’est d’ailleurs une agréable surprise : le goût s’harmonise bien avec les virginias. Niveau exécution, c’est du travail rudimentaire, mais, il faut le dire, la pipe se fume sans aucun problème. Bref, ce n’est pas exactement du Castello, mais c’est un produit artisanal correct pour le prix d’une industrielle moyenne gamme. De là à s’attribuer le titre de Mastro

Mastro Cascia

17. Mathias, Eder (Mr Hyde Pipes)

Depuis cette année, Eder Mathias est distribué par la très sérieuse maison Al Pascia. Un gage de qualité. Pour s’en approprier une, il faut être rapide puisque toutes ses pipes sont réservées à l’instant même où elles sont mises en ligne. Si Mathias est tellement en demande, c’est qu’il a des clients satisfaits. Bref, je suppose qu’il livre du travail bien fait.

Les pipes que je vous présente, datent de 2010. A cette époque, les Mr Hyde venaient tout juste d’être commercialisées et étaient uniquement disponibles à travers le site web du pipier d’origine brésilienne. Je lui en ai acheté deux d’un coup. Une terrible déception. L’une était pour ainsi dire infumable à cause d’un passage d’air ridiculement étroit. Sa tige extrêmement fragile a d’ailleurs fini par se casser. L’autre qui me reste, celle avec la tige en bambou, est correcte sans plus, si on oublie un instant l’horrible recette de précarbonisation employée, mais fondamentalement, c’est du travail d’amateur.

Je dois m’empresser d’ajouter qu’après avoir écouté mes critiques, Eder Mathias a refusé d’être payé et a arrêté pendant six mois de vendre ses pipes, période qu’il a consacrée à l’étude et à l’exercice afin de s’améliorer. Cette attitude honnête et sérieuse mérite un compliment.

18. Morel, Pierre

Pierre Morel

Dix pipes en deux ans. Un record. Alors pourquoi ce soudain engouement pour le travail du pipier-phare sanclaudien ? Parce que depuis qu’il ne travaille plus pour une grande boîte, Pierre Morel s’est épanoui et montre de quoi il est vraiment capable. Parce que des décennies d’expérience aboutissent désormais dans un style reconnaissable et achevé. Parce que Morel est incapable de tailler des formes moches. Parce que, malgré son parcours de vétéran, il est à l’écoute des remarques et des commentaires de ses clients. Parce que ses prix restent incroyablement sages. Parce qu’il continue à évoluer, par exemple en apprenant en un temps record l’art du sablage. Parce que j’adore ses finitions satinées très stables. Parce que je ne suis jamais tombé sur une Morel au goût vraiment décevant, même si bien évidemment, certaines sont meilleures que d’autres. Et puis, parce que ce bougre au caractère bien marqué, je l’aime bien.

Cet éloge, signifie-t-il que je suis aveugle aux défauts des pipes de Pierre Morel ? Pas du tout. Je suis le premier à penser que Pierre pourrait faire mieux en prêtant davantage attention aux détails. Avec un esprit perfectionniste accru, il pourrait égaler un Former ou un Ilsted. Ceci dit, je suis suffisamment réaliste pour comprendre que ses prix sages seraient tout simplement impossibles s’il devait fignoler tous les détails.

Pierre Morel est le pipier préféré de Skip Elliot. Il est à deux poils d’être le mien.

19. Morrisette, Steve

Est-ce que cette blowfish se fume bien ? Oui. Est-ce qu’elle est bonne ? Oui. Et pourtant c’est le genre de pipe qui m’irrite. A partir de $400, il me semble qu’on est en droit d’attendre qu’un bec ne dépasse pas les 4mm, que des arêtes soient nettes et bien définies, qu’une finition soit miroitante, qu’une chenillette passe sans bloquer, et surtout, surtout que dans une mortaise il n’y ait qu’un seul perçage plutôt que deux, dont l’un avorté !

Du travail indigne de quelqu’un qui, pourtant, se prend pour un pipier haut de gamme. Heureusement que Dame Bruyère ait bien voulu fermer les yeux sur tant de nonchalance et de médiocrité.

PS : Le 31 août, Morrisette a annoncé que dorénavant il fait partie de la prestigieuse écurie de Per Billhäll. Les premières photos sur Scandpipes.com semblent prouver qu’il s’est amélioré.

Steve Morrisette

20. Mustran, Daniel (tNd Pipes)

Je ne suis pas exactement impressionné par le sens esthétique de Daniël Mustran. Je trouve d’ailleurs que visuellement parlant, le tuyau ne convient absolument pas à la tête de ma calabash. Par contre, je dois dire que l’exécution technique et la finition de ma tNd sont tout à fait correctes et résultent en un fumage facile et agréable. Seul hic : l’épaisseur du bec. Mais cette faiblesse est largement compensée par un goût parfaitement doux.

Si les formes surprenantes de Daniël Mustran ne vous effraient pas, vous pouvez vous offrir une bonne pipe d’artisan pour une somme fort modique.

tnd pipes

21. Nazarenko, Maxim

Une composition à la Ilsted réussie, des lignes et des arêtes nettes, du grain attractif, une exécution et une finition classe. C’est léger et confortable, ça tire parfaitement bien, c’est savoureux avec les latakias. Pas étonnant que Nazarenko commence à être distribué par des revendeurs spécialisés dans la pipe haut de gamme et que le prix de $225 que moi, j’ai payé, ait désormais doublé.

nazarenko pipe

22. Pastuch, Wojtek

Pastuch est un amateur débutant. Et ça se voit : ses interprétations des formes classiques ne brillent ni par leurs proportions justes, ni par leurs lignes naturelles et fluides. Techniquement parlant, ma pipe est correcte avec un bec respectable et une bague en corne bien intégrée, même si elle présente une fissure à peine visible. Seulement voilà, si je me fie au goût passablement vert de ma Pastuch, je me demande si ce jeune Polonais arrive à s’approvisionner en bruyère de qualité, suffisamment mûre. Ceci dit, il me semble qu’un jeune qui a du potentiel et qui vend des pipes au tuyau fait main pour moins de cent euros, mérite à la fois notre indulgence et notre soutien.

pastuch pipe

23. Pohlmann, Brad

Brad Pohlmann est le pipier favori de Dirk Claessen. Le pipier belge admire notamment le sens de la précision de son collègue américain. Après un examen minutieux de ma pipe, je le comprends. Ca, c’est du véritable boulot high grade. En tous points irréprochable. Ma Pohlmann se fume toute seule et s’avère exquise avec les virginias, pourtant des tabacs qui tendent à faire la fine bouche.

pohlmann pipe

A $750, ce n’est évidemment pas donné, mais vu la qualité livrée, il est difficile de se sentir arnaqué.

24. Ponomarchuk, Aleksander

Deux pipes, deux styles. L’une respire une grâce toute classique, l’autre, une aviator, illustre la créativité du pipier ukrainien, ancien pilote d’avion. Un seul reproche : par endroits, la finition de l’aviator manque de stabilité. Pour le reste, ce sont deux pipes joliment taillées et exécutées avec soin qui tirent facilement et qui ont un goût vraiment agréable. La superbe lovat est même une de mes meilleures fumeuses de burley.

25. Remington, Adam

En commandant cette pipe à Adam Remington, je lui ai simplement indiqué quelle forme je voulais. Pour le reste, il avait carte blanche. Le résultat ? C’est racé, c’est élégant, c’est tout en finesse. Voilà un garçon qui sait faire des pipes. Au fumage c’est donc un vrai plaisir : légère comme une plume, elle s’oublie en bouche. En plus, elle tire toutes les nuances des anglais légers. Parfait.

remington pipe

26. Savenko, Andrey

Un pipier russe incroyablement versatile. En visitant sa galerie, on découvre du classique BCBG, des pièces architecturales aux arêtes bien définies et des créatures organiques abracadabrantes dont l’origine pourrait être extraterrestre. Un talent inné. Pour preuve cette calabash à foyer amovible, taillée comme une colonne grecque. Il faut savoir qu’une vraie calabash en bruyère est un véritable tour de force. David Enrique par exemple, malgré ses années d’expérience, refuse de s’y risquer. Et en 2008, le petit génie de la pipe qu’est Cornelius Mänz s’avouait incapable de me tailler une calabash. Remarquez que depuis, il y arrive et comment. Or, Savenko a débuté en 2009 et cette calabash était en vente en 2010. Présomptueux, aurait-il surestimé son savoir-faire ? Du tout. La calabash est taillée avec autorité et fonctionne à merveille. Quand un pipier danois, allemand ou américain vend une calabash, le prix s’écrit systématiquement en quatre chiffres. Le Russe, lui, m’a demandé $210. Un prix dérisoire.

La deuxième est une de mes pipes préférées. Elle n’a rien d’extraordinaire et pourtant j’aime tout, depuis l’arête exécutée avec une impressionnante précision et le bec dont l’ouverture me rappelle celles de Brian Ruthenberg, jusqu’à sa respiration naturelle et la façon dont elle adoucit les austères burleys.

Un seul point négatif cependant : la qualité de l’ébonite employée. Les deux tuyaux sont parsemés de minuscules points bruns et celui de la calabash ternit trop rapidement. J’espère qu’entre-temps, Savenko s’approvisionne en Allemagne.

27. Shekita, Konstantin

Qui pourrait imaginer que cette poker à la ligne tellement raffinée est le travail d’un ancien cascadeur ? Cette pipe, je l’adore et les raisons abondent : belle comme tout, joliment sablée, légère, équipée d’un bec tout en finesse, elle se fume comme un charme et produit une saveur fort douce. Ce n’est pas un hasard que cet excellent pipier ukrainien soit distribué entre autres par Qualitybriar. C’est de la toute grande pipe.

shekita pipe

28. Talbert, Trever

Voilà une pipe qui a du caractère à revendre. Et au premier coup d’œil, on reconnaît la patte de Talbert qui n’a jamais peur du spectaculaire. Comme elle est hééénooorme, c’est une pipe à tenir dans la main, ce qui fait que je peux vivre avec un bec un tantinet trop épais à mon goût. J’aurais également préféré un passage d’air un peu plus ouvert, même si au fumage ça fonctionne sans problèmes.

Achetée en estate, cette pipe date de 2007. Depuis, Talbert a progressé. Désormais, il fait mieux que ça.

talbert pipe

29. Todorov, Georgi (Getz Pipes)

Comme ma première Getz a déjà fait l’objet d’un article, je vous renvoie volontiers à ce texte-là : artcalabash_system.htm.

Etant parfaitement satisfait de son calabash inside system, je n’ai pas hésité quand le pipier bulgare a lancé une offre alléchante : pour financer l’achat de nouveau matériel, il a proposé à un prix défiant toute concurrence un nombre limité d’exemplaires de quatre modèles de brûle-gueule équipés d’un système calabash. J’ai pris une poker et une rhodesian.

En dépit du prix bradé de 100 euros, Todorov n’a pas lésiné sur la qualité : le bois est pur et bien grainé, la taille précise, le montage soigné, la finition impeccable. Mon seul reproche concerne l’épaisseur des becs en acrylique : bien sûr, il serait risqué d’équiper des pipes aussi massives de becs fragiles, mais 4,8mm, c’est vraiment trop.

Passons au fumage. Comme les brûle-gueule sont arrivés la dernière semaine d’août, ils ne sont pas encore culottés. N’empêche que d’ores et déjà leur saveur est prometteuse. Quant au système calabash, il garantit un tirage agréable et naturel et une fumée parfaitement sèche. Du moins dans la rhodesian. A mon grand étonnement, la poker tend à produire du jus dans le tuyau. Comment deux pipes avec une construction et une exécution technique parfaitement similaires, peuvent-elles se comporter si différemment ? Un examen comparatif des deux tuyaux immédiatement révèle la réponse : le passage d’air dans le tuyau de la poker est visiblement moins large que celui de la rhodesian. Je suppose que Georgi Todorov a oublié de faire le perçage final dans le conduit d’air avec la mèche appropriée. Je le fais donc à sa place. Résultat : plus d’humidité excessive.

Si ce genre d’oubli ou de distraction peut se comprendre, je ne vous cache pas qu’à mes yeux, le manque de contrôle qualité qui a permis qu’une pipe mal percée termine entre les mains du client, trahit une approche qui manque de perfectionnisme.

30. Wolfsteiner, Christian (Tarock Briar)

Quand j’ai découvert le site web de Tarock Briar, j’étais bouche bée. Voilà un iconoclaste qui pousse le non-conformisme jusqu’aux extrêmes : des formes inouïes et des finitions qui évoquent tantôt l’érosion, tantôt la moisissure et la pourriture. Si Christian Wolfsteiner est manifestement sous l’influence de son mentor Roger Wallenstein, il va plus loin dans la douce folie. Beaucoup plus loin.

Plus organique que la pipe que voici, c’est difficile à imaginer. Elle suinte par toutes ses pores la forêt et notamment le bois en décomposition. L’effet de moisi, Wolfsteiner l’obtient par un traitement chimique de la surface de la bruyère. Si vous estimez qu’une pipe ne devrait jamais entrer en contact avec des produits chimiques, ne vous demandez surtout pas comment Tom Eltang concocte sa célèbre finition golden contrast.

Les archives de son site web prouvent que l’amateur allemand sait tailler une multitude de formes originales et qu’il excelle dans les finitions fascinantes, mais qu’en est-il de ses talents de technicien de la pipe ? La mortaise et la tige sont soigneusement percées. Le tuyau taillé dans une matière synthétique destinée à la fabrication de becs d’instruments à vent est agréablement souple sous la dent et bien ouvert avec une sortie en V. Il se termine par un bec agréablement arrondi et confortable. A la bonne heure. Tournons-nous vers le foyer. Etonnant ! Alors que le fourneau est passablement volumineux, le fond du foyer se situe au beau milieu du fourneau, ce qui résulte en une capacité de bourrage qui ne correspond qu’à une groupe 1 ou 2. Quant au passage d’air, il ne débouche pas à l’endroit où la tige rejoint la paroi du fourneau, mais en plein milieu du talon, comme dans une calabash. En découvrant cette construction bizarre, je commence à transpirer parce que j’y décèle un réel risque de glougloutage. Sous le foyer doit se trouver non pas une volumineuse chambre de condensation dans laquelle l’humidité se dépose sur les parois, mais une simple cavité dans laquelle fatalement se produira de la turbulence et donc de la condensation qui, sous forme de gouttelettes, se déposera dans le fond. Et là, c’est cuit.

Autre source d’inquiétude : une bonne couche de précarbonisation à base de verre liquide. Tout ce que je déteste. Comme ce produit chimique est soluble dans l’eau, je frotte le foyer avec un chiffon humide jusqu’à ce que tout le dépôt noir soit parti. Or, il est de mon expérience que cette intervention ne rendra jamais à la bruyère sa saveur virginale.

Premier fumage : un goût absolument infect de verre liquide qui assèche la gorge et après quelques minutes, la pipe se met à glouglouter. Heureusement une chenillette passe sans problèmes jusqu’à la cavité. Fumages suivants : le goût chimique s’estompe petit à petit mais à chaque fois le glougloutage est au rendez-vous.

J’écris un long courriel à Christian Wolfsteiner. Le soir même, il m’appelle. Voici sa première phrase : Je suis un idiot. Il m’avoue que lui-même se doutait que la pipe se mette à glouglouter et il se déclare à 100% d’accord avec mon analyse du problème. D’emblée, il me propose une série d’alternatives : soit il me rend immédiatement mon argent, soit il essaie de remédier au problème et je pourrai retester la pipe sans obligation d’achat, soit je choisis une autre pipe. Comme j’aime beaucoup le look de cette Sherrywood (sic) et comme, franchement, cet artisan est vraiment trop original et passionnant pour ne pas lui accorder une deuxième chance, je lui offre la possibilité de tenter de la rendre fumable et en plus, je choisis un autre modèle au foyer vierge que je peux tester en long et en large avant de passer au paiement. Le montage de cette pipe-là se fait au moyen de magnets, système inventé et patenté par Roger Wallenstein. Or, avant de m’envoyer la pipe, Wolfsteiner rend visite à Wallenstein qui lui avoue qu’après quelque temps ces magnets se mettent à rouiller. Foudroyé, Wolfsteiner prend la décision de ne pas me vendre cette pipe à risque.

Bref, comme à tout pipier amateur manquant d’expérience, il arrive à Christian Wolfsteiner de faire des conneries, d’autant plus que cet excentrique sort résolument des sentiers battus. C’est tout à son honneur qu’il les admet sans discussion et qu’il les assume. C’est donc avec impatience et curiosité que j’ai attendu le retour de ma Tarock.

Là revoilà. En examinant la Sherrywood 2.0, je constate que Wolfsteiner n’est point un écervelé fantasque : les modifications appliquées correspondent en tous points à ce que j’aurais fait, moi, pour remédier au problème. Et ça marche : fini le glougloutage. Est-ce dire que c’est devenu une pipe exemplaire ? Non. Même si désormais la fumée est sèche et qu’en approfondissant le foyer, Wolfsteiner a réduit le volume de la cavité, il reste sous le foyer une trappe à jus à la Peterson. Par définition il s’agit là d’un expédient douteux, une pipe au passage d’air bien exécuté ne nécessitant nullement ce genre de pis-aller. Or, le conduit d’air étant bel et bien constant et largement ouvert, la construction avec une trappe à jus est parfaitement superflue. Aussi ne comprendrai-je jamais pourquoi le pipier s’est compliqué la vie avec ce perçage inconventionnel et illogique qui aboutit sous le foyer.

Mais bon, peu importe puisque tout est bien qui finit bien. Ah oui, avant que je ne l’oublie, Wolfsteiner ne se servira plus jamais de verre liquide.

31. Yashtylov, Victor

D’emblée un mot sur la photo : elle ne fait absolument pas justice à cette pot mignonne. Quoique peu profond, le sablage est nettement mieux défini que ce que suggère l’image. Et puis, ce qui semble un contraste brutal entre une teinture noire et le blanc virginal de la bague en corne d’élan, est en réalité une délicate combinaison de teintes douces : un tuyau cumberland, une bague couleur crème et une teinture brun foncé avec des accents brun clair.

Un bec à la Ruthenberg sensuellement arrondi garantit à la fumée une sortie largement ouverte. Par conséquent le tirage est exemplaire et le goût se développe librement. Pour le reste, rien à signaler. C’est du boulot d’un maître de la pipe.

yashtylov pipe

Alors, le bilan ? Sur cinquante-cinq pipes, quarante-cinq ne présentent aucun problème. Quatre ont été taillées dans des plateaux au goût quelque peu décevant. Deux ont des défauts d’exécution qui cependant n’exercent pas d’influence néfaste sur le fumage. Deux ont eu besoin d’un coup de pouce sous forme de bricolage du bec pour qu’elles se mettent à fumer selon mes standards. Une autre a nécessité un retour à l’expéditeur. Finalement, il reste celle qui était tellement fragile qu’elle a fini par se casser.

Des bruyères qui ne brillent pas par la douceur de leur saveur, les pipiers n’y peuvent rien. S’ils n’ont pas commis le péché mortel d’enduire leurs foyers de verre liquide, c’est Mère Nature qu’il faut blâmer. Des pipes qui se fument bien, malgré du travail rudimentaire ou mal fait, on peut vivre avec, même si, évidemment, les pipiers responsables ne méritent pas exactement des applaudissements. Qu’est-ce qui reste ? Deux pipes qui m’ont coûté cinq minutes de bricolage pour les rendre tout à fait correctes, et deux pipes vraiment mal construites dont l’une a été retournée à l’expéditeur, alors que l’autre s’est brisée. Ce n’est bien évidemment pas un hasard si sur ces quatre pipes, il y en a trois qui sortent des ateliers d’amateurs qui au moment de l’achat, faisaient tout juste leurs premiers pas hésitants sur le marché.

Conclusion : même dans une gamme de prix comparable à celle pratiquée par les grands producteurs pour leurs séries de luxe, les artisans-pipiers contemporains ne proposent pas de camelote. Si ce ne sont pas toujours des surdoués, au moins, ils maîtrisent suffisamment le métier pour vous livrer un produit confortable et performant. En réalité, la grande majorité des pipes testées sont manufacturées avec soin et savoir-faire. Les constatations faites en 2010 se voient donc confirmées. Il semblerait que seuls les achats auprès d’amateurs débutants constituent un risque. Mais comme eux-mêmes, ils en sont parfaitement conscients et reprennent sans discussion leurs pipes décevantes, ce risque s’avère finalement très relatif.

Au terme de cet aperçu, une autre conclusion s’impose : l’époque où une pipe était d’office française, anglaise, italienne ou danoise, est définitivement révolue. Après la vague de pipiers allemands, américains et japonais, voilà que l’Europe de l’Est se réveille. Vu la qualité proposée et les prix en général restés sages, notamment les Russes et les Ukrainiens sont désormais incontournables. Par ailleurs, la croissance incessante et exponentielle du nombre d’artisans-pipiers à laquelle nous assistons depuis une décennie, contraste spectaculairement avec l’agonie des gros fabricants traditionnels, tels Stanwell qui a dû délocaliser sa production afin de survivre et la Royal Dutch Tobacco Pipe Factory, le plus grand producteur au monde, qui s’est vu forcée de déposer le bilan. Il semblerait donc que l’avenir de la pipe sera artisanal ou ne sera pas.