Foin du bricolage !

par Erwin Van Hove

01/09/08

Il y a eu une époque où la première chose que je faisais après avoir déballé une pipe nouvellement arrivée, c’était d’inspecter en détail son exécution technique. Perçages, passages d’air, flocs, mortaises, becs étaient minutieusement examinés sous ma lampe de bureau. Parfois je sortais même une petite lampe de poche et mon pied à coulisse numérique. Si vous me prenez pour un fou, dites-vous bien que c’est ainsi que font la plupart des passionnés que je connais. Il paraît même, d’après les consignes que je lis par ci par là sur le web, que c’est obligatoire pour juger de la qualité d’une pipe.

Pourtant, depuis un an ou deux, je ne me livre plus à ces pratiques. Quand une pipe arrive, j’examine ses lignes et sa symétrie, sa surface et sa finition, son bec et sa jointure tige/tuyau. Je la soupèse, je teste son équilibre et son confort en bouche. Je souffle dans son tuyau et j’aspire. Je ne regarde plus ses entrailles. Du tout. Je ne dévisse même pas le tuyau. Si mon laisser-aller fait honte aux collectionneurs exigeants parmi vous, je leur présente humblement mes excuses.

Pourquoi donc ce volte-face ? Les raisons ne manquent pas. Parce qu’en examinant en détail l’intérieur d’une pipe, on finit presque toujours par trouver quelque imperfection. Parce que pareille fouille intime aboutit trop facilement à des préjugés avant même l’épreuve du feu. Parce qu’il arrive qu’une pipe techniquement parfaite déçoive quand même au fumage. Surtout parce qu’il n’est pas rare que malgré des imperfections, voire en dépit d’une exécution tout sauf impeccable, une pipe à risque s’avère être une fumeuse tout à fait satisfaisante. Et finalement parce que ce qui compte après tout, ce n’est pas le potentiel théorique, mais bien les performances réelles d’une pipe, c’est-à-dire la qualité de son tirage, son confort et la façon dont elle développe les saveurs des herbes qui lui sont confiées. Nos amis anglophones ont bien raison de dire que the proof of the pudding is in the eating.

Bref, ces jours-ci ce n’est qu’au moment où une nouvelle pipe me déçoit au fumage que je me penche sur ses entrailles. Neuf fois sur dix je vois d’emblée où se situe le problème et pourquoi telle pipe n’a pas de goût, telle autre surchauffe, telle autre encore a tendance à glouglouter. Et neuf fois sur dix ce problème se situe quelque part entre l’entrée du floc et l’ouverture dans le bec. Je l’ai toujours dit et je le répète encore une fois : d’accord, une tige doit avoir un passage d’air suffisamment large, c.-à-d. d’au moins 4mm, mais rien, mais alors rien n’a une influence aussi directe et aussi déterminante sur les prestations d’une pipe, que le floc, le tuyau et le bec. Et c’est au niveau du bec que se font le plus d’erreurs qui ne pardonnent pas. D’ailleurs, les mots les plus sages que je connaisse venant d’un pipier, c’est la maxime d’Ingo Garbe : Le dernier centimètre est le centimètre le plus important. Quel dommage que tant de pipiers ne s’en rendent toujours pas compte !

Récemment le vénérable connaisseur qu’est Marty Pulvers et moi partagions notre totale incompréhension envers un phénomène qui nous taraude tous les deux : pourquoi tant d’artisans dépensent-ils de petites fortunes à un outillage professionnel, à des plateaux de qualité supérieure, à des tubes d’ébonite importés d’Allemagne, et pourquoi se mettent-ils en quatre pour créer et tailler des formes superbes, pour mettre en valeur le grain de la bruyère et pour chercher l’harmonie entre grain et forme, pour obtenir des surfaces ultra lisses, pour nous séduire avec des finitions chatoyantes et avec des décorations précieuses et parfois compliquées, alors que manifestement ils semblent se ficher comme de l’an quarante de la façon dont leurs œuvres fument ? Pardi, avant d’être belle, une pipe se doit de bien fumer ! A titre d’exemple, Marty m’a parlé avec une évidente irritation de deux pipes dans son stock, une danoise et une allemande toutes deux splendides, dont le prix s’écrit en quatre chiffres et que, pourtant, il refuse de mettre en vente parce que leur tuyau insuffisamment ouvert annonce un fumage insatisfaisant. Cela confirme d’ailleurs mon expérience personnelle : un pourcentage trop élevé de pipes présente des problèmes de tirage. Et trop souvent je me vois donc dans l’obligation de corriger le travail mal fait du pipier. Il semblerait qu’un fumeur de pipe ait intérêt à disposer de réels dons de bricoleur.

Pour preuve voici un aperçu alphabétique des pipes que j’ai achetées durant ces douze derniers mois, soit de septembre 2007 à août 2008. Je vous raconterai mes expériences et je partagerai avec vous mes impressions en toute franchise et dans un souci d’objectivité. Je ne cherche donc ni à flatter et à caresser des egos, ni à montrer du doigt et à détruire des réputations. D’ailleurs il s’agit d’expériences personnelles, ni plus ni moins. Il serait donc déplacé de les généraliser, d’en tirer des conclusions définitives ou de les ériger en dogme.

Baki, Fikri

Voici quelques années, au moment où j’ai acheté ma première écume de Baki, une courbe en l’occurrence, j’ai demandé à Deniz Ural, le distributeur de Fikri, de vérifier si une chenillette passait facilement du bec au fourneau. Il me l’a confirmé et je dois dire que j’étais surpris. Enfin un pipier turc qui faisait attention à la qualité de ses passages d’air ? La deuxième, c’était une full bent poker avec une courbure très prononcée. A nouveau une chenillette passait, mais une chenillette très fine. Je me suis alors longuement entretenu avec Deniz de l’importance d’un passage d’air bien ouvert. Discussion parfois pénible et mouvementée car le commerçant turc tend à prendre des conseils bienveillants pour des critiques et en plus il a la mèche courte…

Cette année deux nouvelles écumes XL sont arrivées à mon domicile. Blocs d’écume exceptionnels, formes modelées avec maîtrise, belles bagues en argent, tuyaux en acrylique tout à fait corrects. A l’intérieur, des flocs bien exécutés et des passages d’air suffisamment ouverts. Ca se fume facilement, ça s’harmonise parfaitement avec les mélanges anglais et balkan. Rien à redire. Et tout cela pour un montant somme toute plus qu’honnête. Sans conteste Fikri Baki, c’est le top absolu des artisans turcs. Enfin un pipier plutôt qu’un sculpteur sur écume.

Davis, Jody

Jody Davis est une des coqueluches des collectionneurs et connaisseurs américains. Il a un style personnel reconnaissable, il travaille méticuleusement et il propose donc des produits séduisants et bien faits. Du moins, c’est ce qui se dit Outre-Atlantique. Ce n’est pas la pipe que voici qui risquera de ternir la réputation de Jody. C’est tout simplement du travail très soigné. Un plaisir à regarder et à fumer. Chapeau.

Jody davis

Davis, Rad

Cette année ma collection de Rad Davis s’est vue augmenter de deux belles pièces. L’une était un cadeau de Rad, l’autre une commande. Comme toujours, ces pipes sont des outils de fumage agréables et performants. Confort, légèreté, tirage exemplaire et saveur nette et précise. En plus l’élégance est au rendez-vous.

Un seul hic cependant. Toutes deux ont un tuyau un peu lâche à mon goût. J’aurais préféré plus de tension des flocs dans les mortaises. Quand je lui ai fait la remarque, Rad m’a répondu que c’est manifestement dû à la différence de taux d’humidité entre nos deux domiciles et il m’a garanti que dans son atelier la tension était parfaite. Il a immédiatement proposé de s’occuper du problème et si besoin était, de me refaire deux tuyaux. Gratuitement. J’ai décliné cette offre généreuse. N’empêche, la serviabilité et le sérieux de Rad Davis peuvent servir de modèle.

DG (Dal Fiume, Gabriele)

Quand j’ai découvert sur le site web de Marty Pulvers cette pipe svelte avec sa tige en bambou noir, c’était le coup de foudre. Pourtant j’ai hésité pas mal de temps avant de l’acquérir. Remarquez que Pour Paolo Becker je fais volontiers exception, mais en général je n’achète que très rarement des italiennes. Souvent elles sont trop volumineuses à mon goût, leurs tuyaux en acrylique ne brillent pas vraiment par leur confort et puis, en général, les Transalpins n’ont pas exactement la mentalité perfectionniste de mes pipiers favoris. En outre, Marty m’avait averti que le passage d’air de cette DG ne correspondait pas vraiment à mes attentes personnelles. Mais bon, vous le savez aussi bien que moi : le cœur a ses raisons que la raison ignore.

DG Pipe

Bref, premier fumage avec un flake VA/perique. Très décevant. Carrément problématique. Un tirage difficile, un manque de goût évident. En plus il me fallait rallumer pour un oui pour un non. Pas faite pour les flakes, la belle. Deuxième essai donc avec du semois. Aucune amélioration. Grand temps d’examiner le passage d’air. Je démonte donc le tuyau et j’aspire dessus. Pas trop de résistance. C’est OK. Je tiens alors la pipe sous ma lampe de bureau et là je découvre d’emblée le problème : dans la paroi de l’extension en acrylique qui sert de mortaise, je vois une ouverture de 2mm. Ca ne peut jamais marcher. D’ailleurs quand je mets la tige en bouche et que j’aspire dessus, l’air ne me parvient pas convenablement. Il faut à tout prix un diamètre plus important. Je sors donc mon jeu de vrilles et je choisis celle avec laquelle je sens un début de résistance. Je commence à tourner lentement et prudemment. Après quelques secondes, c’est l’horreur : j’entends un craquement. Je m’arrête immédiatement et je vois une fine fissure sur l’extension en acrylique. Je remonte le tuyau pour voir, mais il ne tient plus. Et merde !!

Je raconte mes déboires à Marty et il me propose immédiatement de me rembourser, ce que je refuse pour deux raisons : j’ai toujours le coup de foudre et je ne veux pas me séparer comme ça de l’élue de mon cœur et puis, surtout, Marty ne porte aucune responsabilité. Alors Marty et moi, chacun de notre côté, écrivons à Gabriele Dal Fiume pour lui expliquer ce qui s’est passé et pour lui demander s’il accepte de réparer l’extension et d’ouvrir le passage d’air. Ni Marty ni moi ne recevons de réponse. Deuxième courriel donc. Pas de réaction. Enfin, après une semaine, Marty, qui avait écrit en italien, voit apparaître une réponse sur son écran : Gabriele veut bien remplacer la partie fissurée, mais il explique que vu la finesse de la tige, il est très difficile de percer plus large sans fragiliser le bambou. Je mesure le diamètre : autour de 7,5mm. Or, j’ai une Jürgen Moritz avec une tige en bambou de 6,8mm qui est pourtant percée à 4mm. C’est donc faisable. Marty transmet ma remarque à Dal Fiume. Il ne réagit pas mais Marty me dit de lui envoyer la pipe.

Le colis est parti depuis une semaine. Pas de réaction. Dix jours. Rien. Je commence à avoir les mains moites. Puis après 15 jours, le pipier fait savoir à Marty que la pipe est arrivée. S’ensuit un silence-radio absolu. Deux semaines plus tard le facteur me remet un colis. La revoilà ! L’extension en acrylique est remplacée et quand je démonte le tuyau, je vois que l’ouverture dans la paroi est nettement plus grande. Sans tarder je bourre ma DG de semois et là, c’est la révélation : elle s’avère tout simplement excellente. Depuis, cette pipe ultra légère est devenue une favorite. Son tirage est parfait, elle fait honneur aux arômes indescriptibles du semois et son bec en acrylique est vraiment bien modelé.

Evidemment j’ai écrit à Gabriele pour le remercier et pour lui demander combien je lui devais pour la réparation et les frais postaux. J’attends toujours une réponse…Taciturne, mais serviable, le Gabriele.

Enrique, David

Ma toute nouvelle Enrique ne sera livrée qu’en septembre. Je ne peux donc pas encore en parler. Reste cette autre pipe qui est en quelque sorte un morceau d’histoire. C’est en effet la toute première pipe sablée dans la nouvelle cabine de sablage de David.

Sans fioritures, c’est un cheval de travail que j’emmène souvent avec moi. Légère et équipée d’un bec fin et confortable, elle s’oublie en bouche. Une fumeuse de semois loyale et jamais décevante. Pourquoi acheter des pipes de série quand on peut s’offrir pareil travail irréprochable dans une fourchette de prix comparable ?

Geiger, Love

J’aime tout dans cette pipe : sa forme à la fois virile et élégante de rhodesian-pas-comme-les-autres, sa finition mate, son bec à l’arrondi sensuel qui me rappelle ceux de Brian Ruthenberg. En plus ça se fume tout seul et ça raffole de mes latakias chéris. Rien à redire.

Love Geiger

GRC (Christian Dah, Darius)

Dans ma carrière, j’ai acheté treize pipes de Darius Christian Dah. Il m’en reste douze et la seule dont je me suis séparé, je l’ai vendue pour la simple raison qu’elle ressemblait trop à une autre GRC de mon harem. Je vais vous dire : de toutes les marques et de tous les pipiers, c’est de Darius que je possède le plus de pipes. C’est vous dire mon appréciation pour cet artisan injustement méconnu. Non, Darius n’est pas le meilleur technicien au monde. Et Darius n’est pas non plus le plus grand artiste pipier au monde. Par contre, peu de pipiers vous livrent avec une telle cohérence des pipes dont le goût ne déçoit jamais. Plutôt que des prouesses techniques ou des œuvres de musée, ces pipes sont des fumeuses parfaitement fiables. Si je vous dis en plus que ce personnage attachant qui combine une grande gueule avec un cœur en or, est menacé de cécité, souffre d’une affection aux poignets et d’un sérieux problème dans le dos qui transforment les longues heures passées sur la moindre pipe en un vrai calvaire, vous en conviendrez avec moi que Darius mérite notre respect et notre soutien.

Après deux ans d’absence, Darius a fait un come-back l’année passée. Depuis, je lui ai acheté neuf pipes dont cinq entre septembre 2007 et août de cette année. Je peux être bref : je les aime toutes et il n’y a pas de jour qui passe sans que je fume au moins une GRC.

Cela ne veut pas dire que Darius soit infaillible. En vérité, cette année j’ai eu des pépins avec deux pipes.

Quand la dublin svelte à tige longue (voir photo) est arrivée, je la trouvais superbe. En plus elle était incroyablement légère et confortable. Mais après quelques fumages du jus est apparu sur le dessus de la tige. Petit à petit se sont formées à cet endroit de la tige trois minuscules taches foncées. Pas de bol : des sand pits juste sous la surface, invisibles au pipier comme au client. Si on ne peut pas blâmer le pipier pour des vices cachés, la responsabilité de ses produits lui incombe néanmoins. Retour donc au détaillant, en l’occurrence Marty Pulvers. La pipe a été remplacée sans discussion aucune. Shit happens.

En juillet dernier, j’achète deux pipes à Darius : un horn XL lisse et une dublin sablée en ring grain régulier. La horn est parfaite dès les premières bouffées, mais quand je me mets à fumer la dublin, j’ai l’impression de sucer du miel à travers une paille et voilà que la pipe se met à glouglouter. Je n’en crois pas mes yeux. Une GRC qui a un problème de tirage : du jamais vu ! A l’instant même où je démonte le tuyau, je vois la cause. Et cette cause, elle saute aux yeux ! Voilà un floc qui ne ressemble en rien aux flocs bien ouverts et en forme d’entonnoir dont toutes les GRC courbes sont équipées. Je découvre un floc tout sauf en entonnoir avec un trou de 2mm dedans. Je sais déjà ce qui s’est passé : ce que je vois, c’est le premier perçage du floc et Darius a oublié de le finir.

Quand j’en informe Darius, il confirme mon hypothèse. En se rendant compte de son oubli, il est foudroyé. Son univers s’effondre. Il en fait une dépression. Il me confie même que s’il commence à faire des bêtises pareilles, il vaudrait peut-être mieux qu’il s’arrête pour de bon. Le problème des perfectionnistes, c’est qu’ils ne se pardonnent rien.

Darius me propose de lui renvoyer la pipe pour qu’il s’occupe du floc, mais comme il s’agit d’une intervention simple, je m’en charge moi-même. Depuis la dublin fume sec, respire avec facilité et produit un goût irréprochable. Un goût de GRC.

Hennen, Hermann

Quand j’ai découvert sur le site web de Volker Bier cette calabash en morta avec un foyer en bruyère et un rebord en buis, j’ai su immédiatement qu’il me la fallait, même si le prix était plutôt élevé pour un illustre inconnu. Je ne le regrette pas. Bien au contraire parce que cette pipe s’est avérée excellente. Pourtant je me rappelle qu’en l’examinant une première fois, j’avais une inquiétude sur la qualité du tirage. Bien que le passage d’air soit parfaitement bien percé, je trouvais l’ouverture dans le bec trop fine et le tirage à vide peu généreux. D’ailleurs ma deuxième Hennen m’a donné la même impression. Dans les deux cas je me suis trompé. De toute évidence, Hermann Hennen sait ce qu’il fait. Et ce qu’il fait, c’est de belles pipes joliment exécutées et finies qui ne causent aucun problème. A découvrir.

Howell, Jack

Deux pipes dans des styles diamétralement opposés : d’une part une pipe qui en jette plein les yeux avec ses lignes quasi architecturales, son straight grain et ses oeils-de-perdrix BCBG, son tuyau tape à l’œil ; d’autre part une petite lovat modeste et discrète. Et Jack Howell maîtrise ces deux styles avec un égal bonheur. Ce n’est pas tout. Mes quatre Howell sont exécutées avec beaucoup de soin et chacune est un plaisir à fumer. De l’art pipier haut de gamme à des prix encore abordables.

Il Ceppo

J’ai toujours aimé le rapport qualité/prix des pipes de Franco Rossi, surtout quand on les achète en Italie, mais bon, ce n’est plus le genre de pipe qui me tente aujourd’hui. En principe. Parce qu’au moment où j’ai vu apparaître cette variante eskimo sur le site The Piperack, j’ai cliqué sans tarder sur le bouton « Buy ». Encore un coup de foudre.

Quand la pipe est arrivée, j’étais bouche bée devant la finesse du tuyau. Du jamais vu. Un bec pareil pourrait me réconcilier avec l’acrylique. Côté fumage, que du bon. Cette ukulele brille avec les VA.

Et puis après quelques semaines, voici ce qui m’arrive. Je suis en train de nettoyer gentiment ma Ceppo avec une chenillette quand j’entends un crac sinistre. Floc cassé. Aucune idée pourquoi. Vraiment pas. Un mystère.

Il Ceppo

Un incident pareil, ça m’exaspère. Non seulement il faudra envoyer la pipe au fabricant ou au détaillant pour la faire réparer, risquer qu’elle se perde et payer les frais postaux, en plus il faudra expliquer à un pipier et/ou à un commerçant incrédules ce que j’aurais du mal à croire moi-même. A contrecœur je m’adresse donc à Michael Lindner, le propriétaire du Piperack, pour lui expliquer ce qui est arrivé. J’ajoute dans mon message que je n’ai pas particulièrement envie de perdre mon temps en d’interminables discussions pour déterminer si oui ou non cet accident est couvert par la garantie. Je suis prêt à assumer les frais. Je demande simplement que lui ou Franco Rossi me répare la pipe. Et qu’ils prennent mon histoire au sérieux. Lindner me répond qu’il n’a pas le temps de réparer lui-même le floc et que dans un avenir proche, il ne verra pas l’importateur d’Il Ceppo en Amérique. Je lis par ailleurs entre les lignes que Michael a du mal à croire mon récit. J’avoue que cette réticence, je la ressens comme une injure. Je n’aime pas exactement passer pour un vandale ou pour un débutant qui vient de faire une connerie et qui essaie d’en rendre responsable le fabricant. J’ai même la prétention de croire que ma réputation ne justifie pas ce genre de méfiance. D’ailleurs quand l’associé de l’importateur d’Il Ceppo apprend mon histoire, il ne cache pas sa gêne et il veut intervenir pour régler mon problème, mais je refuse poliment. Je n’ai plus envie de ressasser mon histoire devant l’importateur, puis devant Rossi.

En fin de compte Michael Lindner me propose un rabais de $25 sur un nouvel achat et je finis par envoyer la pipe à Thierry Melan qui me remplace rapidement et à un prix compétitif le floc cassé. Tout est bien qui finit bien.

Nielsen, Bjarne

Une Bjarne Nielsen, ce n’est pas une Bjarne. C’est une pipe entièrement fait main par l’un ou l’autre pipier danois plus ou moins célèbre. Celui qui a taillé celle-ci ne s’est pas exactement tué à la tâche : il reste nettement trop de matière là où l’on est supposé poser les dents et, rebelote, j’ai dû ouvrir l’intérieur du bec. A quel Danois puis-je envoyer la facture pour mes prestations ? J’espère que ce n’est pas à toi, Phil ! Là, je serais vraiment déçu.

Mais bon, désormais cette bulldog se fume sans problèmes et adore le VA. Grâce au bricolage.

Reichert, Axel

Axel reichertCa fait plus de douze mois que j’ai acheté ma dernière Reichert, mais à Noël Axel m’a fait cadeau de la pipe que voici.

Ne perdons pas notre temps. Cette pipe est certes l’œuvre d’un designer novateur. Mais elle est beaucoup plus que ça : comme mes trois autres Reichert, c’est avant tout un outil de fumage parfaitement performant fabriqué par un des plus grands perfectionnistes que je connaisse. Le top absolu.

Senatorov, Sergej

Toujours à l’affût de nouveau talent, ça faisait des mois que je suivais l’évolution de ce jeune loup originaire de la ville de Riga en Lituanie. Récemment je voyais apparaître de plus en plus de modèles qui me plaisaient bien et voilà que depuis le mois de juillet, ce garçon, visiblement, progresse : des formes tantôt classiques et très bien proportionnées, tantôt plus modernes, pour ne pas dire en vogue. Des bruyères parfaitement bien lues. Des finitions luxueuses. Et de plus en plus souvent des jeux de lignes parfaitement maîtrisés et donc des compositions harmonieuses et fluides.

Je vous avoue sans détours que lorsque j’ai sorti ma première Senatorov de son emballage, j’étais vraiment déçu. Et ce n’étaient pas les raisons qui manquaient : la couleur réelle de cette horn ne ressemblait que vaguement à celle sur les photos manifestement surexposées ; la finition s’avérait plutôt terne ; le tuyau lui aussi manquait d’éclat, faute de polissage suffisant, et il présentait même une tache mate ; la teinture et la finition de la tige à l’endroit où elle rejoint le tuyau, étaient peu réussies ; il ne fallait pas sortir sa loupe pour découvrir sous la teinture pas mal de traces d’outils ; le bec était trop épais ; le floc coinçait vraiment trop.

Ce qui me surprit le plus, c’était l’ouverture dans le bec. Alors qu’avant l’achat, Sergej m’avait confirmé qu’elle était percée en V, je découvrais un bec sans V et dans lequel il aurait fallu enlever beaucoup plus de matière pour former une sortie largement ouverte. En plus l’ouverture n’était absolument pas symétrique. Du travail d’une maladresse assez étonnante.

Par contre, les perçages étaient vraiment bien exécutés, la forme était taillée avec maîtrise et en harmonie avec le grain. Et, chose rare si tôt dans une carrière de pipier, la tête et le tuyau formaient une vraie entité : voilà une pipe et non pas un assemblage de deux parties.

Vu le bec, je m’attendais à des problèmes lors de l’épreuve du feu. Et bien, pas vraiment. Même s’il était évident que le tirage n’était pas idéal et que la pipe avait tendance à chauffer, l’expérience n’était pas déplaisante, d’autant plus que ce bloc de bruyère développait d’emblée des saveurs douces et agréables. Toutefois, après que j’ai ouvert le bec, la pipe s’est clairement améliorée et désormais elle fume comme une grande.

J’ai fait part de toutes ces remarques à Sergej qui m’a gentiment écouté et qui m’a simplement répondu qu’à l’avenir il ferait de son mieux pour remédier aux problèmes mentionnés.

Deux semaines plus tard, rebelote. Je vois une Senatorov que je trouve tout simplement splendide. Je demande à Sergej de me la réserver. A une condition : de bien veiller à la fois à l’ouverture et à l’épaisseur du bec. Sergej s’exécute, me montre un gros plan d’un bec en V qui désormais fait 3,8mm. Vendu.

Premières impressions. Une forme vraiment classe. Des lignes et des angles nets. Un tuyau visiblement mieux poli et confortable en bouche. Une ouverture qui n’est pas encore parfaite mais qui n’a plus grand-chose en commun avec le boulot maladroit d’avant. Une teinture à contraste bien appliquée et une finition nettement plus chatoyante. Des perçages toujours bien exécutés. Un tirage à vide naturel et sans résistance. Le progrès qu’a fait Sergej en quelques semaines est impressionnant. Pourtant, pour atteindre le niveau auquel il aspire, c’est-à-dire l’univers des high grade, il lui faut une attitude plus perfectionniste. A ma surprise, la surface pourtant bien visible de la décoration en corne d’élan n’a absolument pas été polie. Elle est donc toute rugueuse et présente des taches jaunâtres. Sergej me promet qu’il ne refera plus cette erreur.

Je ne l’ai pas encore fumée parce qu’elle est envoyée à David Enrique qui me polira la surface en corne. Ceci dit, je suis quasiment certain qu’elle ne posera aucun problème.

Bref, un réel talent, une disposition naturelle pour lire la bruyère et pour tailler des formes fluides et harmonieuses, mais encore pas mal de choses à apprendre avant de pouvoir jouer dans la cour des grands. Mais bon, il n’est pas vraiment sérieux d’attendre d’une pipe à 150 euros qu’elle soit exécutée avec le même soin qu’une pipe trois fois plus chère.

Talbert, Trever

A mon avis, c’est l’archétype même de la Talbert Briar. Assez volumineuse, plutôt compacte et trapue. Virile et terre-à-terre, aux antipodes du sacrosaint style scandinave. Du classique revu par un individu avec un sens esthétique tout personnel. Et puis un sablage absolument é-pous-tou-flant et une teinture parfaitement réussie. Cette pipe, et bien je l’adore.

Trever Talbert

Son fumage se rapporte à son plumage. Elle se fume tout seul et, comme moi, elle a une prédilection pour les latakias. Un maître-achat.

Tsuge Ikebana

C’est la première fois que je m’offre une Ikebana, c’est-à-dire une fait main de Kazuhiro Fukuda, ex-élève de Sixten Ivarsson, qui travaille en exclusivité pour Tsuge. D’apparence typiquement japonaise, la semi-churchwarden frappe à la fois par sa longue tige en bambou, par sa teinture profonde et chaude qui n’est pas sans rappeler le travail des compères de S. Bang et par le fait qu’elle se tient en parfait équilibre sur son talon pourtant menu. Sans conteste une belle pipe, du moins pour les amateurs du genre.

Par contre, dès que je la mets en bouche, je sais ce qui m’attend : des problèmes de tirage. Un premier fumage le confirme : il faut aspirer trop fréquemment pour la garder allumée et du coup j’ai la langue irritée. En plus, niveau goût elle est fade. Et hop, il faut ressortir encore une fois mes outils. Un quart d’heure plus tard l’affaire est réglée : bec ouvert et passage d’air au diamètre plus large. Me voilà en possession d’une Ikebana jolie et typique et qui, désormais, me rend fidèlement service.

Wallenstein, Roger

Et voilà pour terminer un dernier coup de foudre. C’est de toute évidence le genre de pipe qu’on adore ou qu’on déteste. Moi, jusqu’à ce jour, chaque fois que je la regarde ou que je la fais tourner dans ma main, je ressens une émotion. Même un photographe doué comme Martin Reck a du mal à capter la beauté fascinante de ce petit objet étonnamment compact. La parfaite union de l’organique et de l’architectural. Et quel plaisir au toucher !

Côté technique, cette créature onirique est irréprochable. Et puis, comble de joie, voilà que c’est une des rares pipes à adorer le Three Nuns. Le paradis fait pipe.

Au terme de cet aperçu force m’est de conclure que sur 25 pipes achetées en une année, 8 se sont avérées problématiques et ont nécessité du bricolage, des réparations par des pros, voire un retour à l’expéditeur. Ca fait une pipe sur trois. Ca fait beaucoup. Ca fait trop.

Tout le monde a droit à l’erreur. Les pipiers aussi. Inévitablement il y aura donc toujours des pipes avec des erreurs d’exécution. Ceci dit, quand j’achète une pipe, surtout une pipe artisanale par définition relativement coûteuse, je suis en droit de m’attendre à un produit fini. A un produit qui ne soit pas uniquement beau, mais aussi et surtout à un produit confortable et performant. Que tant de pipes arrivent sur le marché avec des tuyaux que le client doit lui-même ouvrir pour obtenir un tirage efficace et naturel, est tout simplement une honte. C’est à se demander si les pipiers qui nous obligent à finir leur boulot, fument eux-mêmes les pipes qu’ils font à longueur de journée. Une autre question qu’il faut se poser, c’est pourquoi tant de pipiers percent leurs pipes personnelles à d’autres diamètres que leurs produits destinés au public. Quoi qu’il en soit, je veux bien fumer la pipe pendant que je bricole. Par contre, j’en ai marre de bricoler pour pouvoir fumer la pipe !