J’ai horreur qu’on me mente. Surtout si c’est systématique. Dans ma revue de l’Ascanian N°2 (artfontilsuntabac63.htm), j’avais déjà attiré votre attention sur le fait que, sans scrupules, DTM présente sa gamme de tabacs Ascanian comme des naturbelassenen Blends, donc des mélanges pure nature, alors qu’une petite visite au site web du ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture révèle que l’Ascanian N°2 est à la fois aromatisé à la louche et bourré de produits chimiques.
Rebelote : le N°1 contient lui aussi du propylène glycol, de la gomme arabique, du sorbate de potassium, du solvant pour tabac à pipe, du cytise indien, de la coumarine artificielle, de l’extrait de tamarin, des arômes de figue, de truffe, de chocolat et de noisette sucrée et pour finir du virginia casing et, tenez-vous bien, de l’arôme de tabac à pipe. Un mélange naturel ? My ass !
Vous comprendrez que j’entame ma dégustation avec un minimum d’enthousiasme.
Le Riverside Blend, précédemment vendu sous le nom Soft & Unique, est un ready rubbed fait à partir de virginias originaires de Zambie et de Mysore, d’orientaux et de 5% de perique. Ce serait donc une copie conforme du N°2 si ce n’est que le N°2 contient une double dose de perique. Au premier coup d’œil on a la confirmation qu’il s’agit en effet d’un tabac pressé transformé en fragments. Rien de surprenant non plus côté couleurs : des bruns, du fauve, de l’aubergine.
A l’âge de trois ans, le Riverside Blend a un nez assez complexe : clairement vineux, épicé, assez exotique. Je perçois l’extrait de tamarin et l’arôme de figue, mais aussi une note de café moulu. Le tout est loin d’être mauvais.
Les premières bouffées prouvent à quel point le perique est sensible au dosage. Alors que dans le N°2 il roule des mécaniques, ici il est certes présent, mais il laisse s’exprimer ses partenaires africains et indiens. Bref, l’introduction est équilibrée et, ma foi, pas déplaisante : c’est aigre-doux, c’est fruité et épicé à la fois, c’est du VA/perique classique.
Ce qui se passe ensuite me plaît nettement moins. La fumée manque de velouté et finit par me râper le palais, ce qui rend le fumage désagréable. Parallèlement le fruité se perd et je perçois des goûts qui me semblent chimiques et qui me coupent l’appétit. Est-ce le résultat de mes préjugés ? Possible. Toujours est-il que ça m’arrive à chaque fumage et que ça dure jusqu’à la fin du bol.
Ma conclusion rejoint donc celle formulée au sujet de son frère : ce n’est pas un tabac pour moi. Je ne suis pas convaincu par la qualité des tabacs employés et surtout, avant tout, j’ai l’impression de fumer du chimique. D’ailleurs, au vu de la liste d’ingrédients, il ne s’agit pas d’une simple impression… A cet égard, on ne peut qu’accuser d’hypocrisie la législation européenne qui, au nom de la protection de la santé des citoyens, trouve nécessaire d’interdire le nom Soft & Unique, mais qui, apparemment, continue à permettre aux fabricants de tabac de présenter comme naturels des mélanges bourrés de produits chimiques.
Personnellement, je suis ravi que Mac Baren ait enfin décidé d’explorer dans le cadre de sa magnifique série HH l’univers du modeste burley. Ce tabac, je l’ai vraiment attendu et je vous le dis donc avec regret : je suis plutôt déçu.
Les beaux flakes larges et finement coupés contiennent du burley, du virginia et une pincée de kentucky. Quand je m’apprête à déguster mon échantillon, les flakes sont passablement secs. Je peux donc les enfourner tels quels, soit en les pliant, soit après les avoir triturés. L’odeur qu’ils dégagent s’exprime en sourdine et n’est pas typique d’un burley blend : je sens surtout du sous-bois avec notamment des relents de cèpe séché. Je suis à peu près certain que ce sont là des arômes tertiaires dus à l’oxydation qu’on ne retrouvera pas dans une boîte fraîchement ouverte.
Après les premières bouffées, je me sens soulagé : Mac Baren n’a pas versé dans le burley édulcoré, mais nous présente un burley de qualité dans toute sa rustique simplicité : un tantinet sec et spartiate, terreux à souhait, avec dans le fond de discrètes touches de noisette, voire de noix de coco. Le virginia de son côté fait ce qu’il est supposé faire, à savoir apporter juste ce qu’il faut de sucre pour contrebalancer l’amertume, alors que le kentucky se borne à rehausser le terreux du burley d’une note boisée. Que ce soit donc clair : les deux partenaires du burley se mettent entièrement au service de la star de l’affiche.
Les flakes se consument gentiment sans agresser la langue. Ce n’est pas un tabac pour nicotinophobes, mais pour le fumeur averti, la puissance ne pose aucun problème, même si vers la fin la fumée gagne en force. Pour le reste le mélange ne se montre pas particulièrement évolutif. En vérité, je vous avoue qu’à la longue il finit même par m’ennuyer. C’est en vain que j’attends des variations, des flashs surprenants, un feu d’artifice final.
Non, le HH Burley Flake n’a nullement le génie de l’Edgeworth Sliced. Il n’atteint pas non plus le niveau des burley flakes de Solani et de Wessex. C’est tout simplement un burley blend honnête et franc qui, plutôt que de chercher à sublimer le humble burley, nous montre le parent pauvre de la famille Nicotiana tel qu’il est : sympathique mais un peu simple sur les bords.
Les Etats-Unis ont une longue tradition de mélanges communément appelés OTC-blends ou encore drugstore blends, c’est-à-dire de mélanges populaires et bon marché disponibles jusqu’en grande surface, généralement faits à base de burley plus ou moins aromatisé. Au fur et à mesure que la pipe s’est embourgeoisée, la plupart de ces blends rustiques ont fini par disparaître, mais certains comme le Carter Hall ou le Prince Albert continuent à faire la joie d’une clientèle loyale.
L’un des over the counter-blends les plus populaires était le Granger produit par Pinkerton. Cette société existe toujours, mais a changé de cap en se spécialisant dans le tabac à priser et à chiquer. Désormais c’est le Scandinavian Tobacco Group qui se charge de la production du Granger. Cette reprise cadre clairement dans une stratégie : le STG a systématiquement racheté dans plusieurs pays des marques localement populaires. Ainsi le Burrus suisse, les Clan, Sail et Troost hollandais, l’Erinmore et l’Escudo britanniques ou le Half & Half et le Sir Walter Raleigh américains sont dorénavant scandinaves.
Le nez ne laisse aucune place au doute : le Granger, c’est du burley, mais pas du genre huppé. Ce sont des odeurs de burley populaire et old school, c’est-à-dire dopé au sucre et légèrement aromatisé. Je décèle un fond de mélasse, un vague arôme de compote de pommes, une note médicamenteuse. Ce nez ne m’enthousiasme pas, mais ne me rebute pas non plus. Après deux ans de conservation dans un bocal hermétiquement clos, la grosse coupe en fragments plutôt qu’en brins est toujours passablement humide. Bonjour le propylène glycol.
Point besoin de verbeuse analyse : le Granger est simple et monolithique, c’est-à-dire que du début à la fin il nous livre des saveurs constantes. Des saveurs plaisantes de burley édulcoré. C’est d’ailleurs ce qui fait son charme : l’aromatisation discrète n’empêche en rien le burley de s’exprimer. Pour le reste, il n’y a pas grand-chose à mentionner si ce n’est que tout baigne : un fumage tranquille sans problèmes de combustion, une fumée sans agressivité aucune et une puissance maîtrisée.
Le Scandinavian Tobacco Group a réussi à capter l’esprit des anciens drugstore blends. Le Granger correspond donc exactement à ce qu’on est en droit d’attendre de ce genre de mélange : des plaisirs simples. Bien sûr, pour les aficionados de burley à la recherche d’un tabac de dégustation, il y a mieux, nettement mieux. Mais pour faire du jardinage ou une balade en pleine nature, le Granger convient parfaitement.