Font-ils un tabac ? n°66

par Erwin Van Hove

30/01/17

Dunhill, Black Aromatic

Burley, virginia, orientaux, qu’ils disent sur Tobaccoreviews. Mon œil. Ni mes yeux ni mon nez n’hésitent : dans ce Black Aromatic il y a pas mal de black cavendish. D’ailleurs, à quoi rimerait le nom du mélange s’il ne contenait pas une bonne portion de tabac noir ?

Le nez est extraverti et tout simple : une cuillerée de sirop de candi. Et ça se confirme d’emblée en bouche. D’accord, il y a une note toastée et une vague saveur de café, mais le candi règne en maître. Autre chose qui frappe après l’allumage : l’excellent équilibre entre acidité noble et douceur agréable. Certes, ça manque de oumpf, d’autant plus que la fumée n’est pas exactement du genre dense, mais il faut dire que cet aro tient la route. Il est même franchement bon. A ce stade-là. Parce que bientôt le Black Aromatic subit le triste sort qui est celui de la grande majorité des aromatiques : petit à petit se développe une amertume peu agréable qui gâche l’équilibre doux/acide pendant que le goût perd nettement en clarté et en définition. La soupe aigre-douce, amère et épicée qui en résulte, commence donc d’abord à m’ennuyer et ensuite à me peser, à plus forte raison que l’acidulée sensation en bouche me dérange. Désormais, finir la pipée relève de la corvée et quand, enfin, le fumage est terminé, un collant arrière-goût de cendre tapisse mon palais.

Cette expérience décevante prouve-t-elle que les aromatiques vieillissent mal ? Ou que le Black Aromatic, pourtant un Dunhill, souffre des mêmes défauts que les prosaïques aros vendus en pochette ? Ou tout simplement que le cavendish saucé n’est pas ma tasse de thé ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que pour moi, c’est encore un de ces aros qui inévitablement se désagrège en cours de route, ce qui m’irrite au plus haut point. La raison d’être de tabacs qu’il faut jeter à mi-bol m’échappe complètement.

Torben Dansk, Burley Maduro

Oubliez l’archétype du robuste et vigoureux Prussien. En vérité, nos voisins allemands, ce sont de délicates chochottes. Quand les hommes du Lakeland, les vrais, qualifient de fort un tabac, ils ne blaguent pas. Vous avez alors intérêt à mettre votre caleçon en zinc et à vous accrocher dans votre fauteuil comme aux montagnes russes. En revanche, quand les mauviettes de DTM-Dan Tobacco nous mettent en garde contre leur dernier-né, je me demande pour qui ils nous prennent. Dans le catalogue, le Burley Maduro est présenté comme un puissant poids lourd qui a été conçu pour être mélangé avec d’autres tabacs et que seuls les accros aux sensations fortes peuvent tenter de consommer pur. Je viens de le fumer tôt le matin sur un estomac vide. En haussant mes épaules de petit Belge.

Burley et maduro donc. Un couple insolite mais quand on y pense, pas tant que ça. Traditionnellement, le burley, qui est très pauvre en sucres, est combiné avec le virginia, le tabac avec la teneur en sucre la plus élevée. Or, dans l’univers du cigare, les capes maduro en contiennent également un taux élevé. Et puis, tout comme la plupart des virginias, le maduro est lui aussi épicé. Et comme il produit en plus des saveurs chocolatées, il renforce l’une des caractéristiques typiques du burley.

La boîte de 50g est plus volumineuse qu’une boîte habituelle pour la bonne raison que les brins n’ont pas été mis sous vide pour leur permettre de respirer et d’évoluer, pratique d’habitude réservée aux blends américains. Ces brins sont uniformément brun foncé et contiennent juste ce qu’il faut d’humidité. Le nez est fort discret et sent fondamentalement le tabac sans susciter une ribambelle d’associations.

En bouche on découvre un tabac harmonieux et cohérent dans lequel de fins accents de chocolat et de franches notes de cigare se dégagent d’un fond terreux, épicé, salin et aigre-doux. Ces saveurs ne cassent pas la baraque et ne sont pas exactement inoubliables. Elles sont faites pour ceux qui apprécient un goût de tabac sobre et sérieux, comme les amateurs de bruns. Ce n’est pas un blend fort évolutif, mais ce n’est pas un véritable inconvénient vu que du début à la fin le tabac est en parfait équilibre. Et la force alors ? Oui, c’est un mélange corsé. Mais de là à prévenir la clientèle qu’il faut l’approcher avec mille précautions…

Je ne vais pas racheter du Burley Maduro. Non pas parce qu’il ne serait pas réussi, mais parce qu’il y a d’autres mélanges contenant du tabac à cigare que je trouve plus complexes et d’autres burley blends plus expressifs et plus flatteurs. Quant à sa vocation première de blending tobacco, je ne vois pas très bien avec quoi on pourrait le mélanger à bon escient. Disons que c’est un tabac intéressant qui s’adresse exclusivement aux blasés qui ont déjà tout essayé.

Gawith Hoggarth & Co, Brown Flake UnscentedGawith Hoggarth & Co Brown Flake Unscented

U/S ou Unscented. Voilà comment Gawith & Hoggarth désigne sa gamme de tabacs non aromatisés. Excellente idée d’ailleurs que de faire une distinction claire et nette entre les blends naturels et ceux qui sont parfumés à la sauce Lakeland. Cela permet à ceux qui détestent les arômes si typiques de Kendal de passer commande sans risque de se tromper. Du moins en théorie. Parce qu’en réalité, cette distinction nage dans le flou artistique. Par la force des choses.

Après la séparation avec Samuel Gawith, Gawith & Hoggarth ont fondé leur propre entreprise en 1865. Or, la plupart des machines employées aujourd’hui sont toujours celles installées il y a 150 ans. Regardez-moi par exemple la photo des presses. Faudrait-il s’étonner que tout l’outillage soit imprégné des arômes dont les blenders se servent si copieusement ? Cela expliquerait en tout cas comment il se fait que même les mélanges unscented semblent si souvent porter des traces des parfums kendaliens. C’est d’ailleurs le cas du Brown Flake. Pas au nez, remarquez, qui est fort neutre et qui se borne à sentir le tabac. Mais quand vous allumez, votre palais d’emblée détecte des arômes floraux.

83,5% de virginia, 12,5% de Malawi burley et 4% de Malawi dark fired. Les flakes longs, pliés en deux sont bien évidemment bruns, tout en étant parsemés de roux, de fauve et de blond. Ils sont souples sous le doigt et se transforment aisément en brins fumables. La vague initiale de saveurs savonneuses passée, le tabac évolue rapidement vers un goût nettement plus naturel. On découvre alors un tabac en tous points modéré : du virginia doux mais sans excès, des burleys légèrement chocolatés, une présence acide et amère discrète, des épices jamais piquantes, une dose de vitamine N mesurée. Quant aux arômes du Lakeland, de temps à autre ils pointent la tête à l’horizon, sans aucune volonté d’occuper le devant de la scène.

Le Brown Flake U/S se consume tranquillement, n’a aucune tendance à vous mordre la langue et produit une fumée peu dense mais assez crémeuse. Il ne cherche nullement à vous éblouir. C’est au contraire un typique all day smoke, simple, franc et agréable. Vu son caractère peu trempé, il n’aspire pas à devenir votre favori. Accommodant et bon enfant, il se veut un discret et amène compagnon de route dont la présence ne risque jamais de vous peser. Nous avons besoin de tabacs pareils. A mon avis, comme dirait l’autre.