Font-ils un tabac ? n°62

par Erwin Van Hove

24/10/16

DTM – Dan Tobacco, Patriot Flake

Sweet and spicy qu’ils disent. C’est comme ça que je les aime. Les tabacs aussi d’ailleurs. Voyons ça.

De classiques virginias américains sont mélangés avec du virginia naturellement très sucré (25% !) en provenance de Mysore, fermentés sous pression, maturés dans la presse et enfin coupés en tranches. Sont empilés alors dans la boîte des flakes passablement secs qui se transforment aisément en brins fumables. Les arômes qui s’en dégagent sont des plus plaisants : une corbeille de fruits secs, notamment de la datte, du pruneau, de la pomme. Du moins, c’est ce que je perçois à l’ouverture de la boîte. Mais après quelques jours, le nez perd clairement en fruité. Il y a désormais plutôt des odeurs de boulangerie, de café, de foin, de terre sèche, de poivre blanc.

Oui, c’est spicy. C’est poivré, voire piquant. Oui, c’est sweet, mais sans jamais devenir doucereux. Au contraire, le sucre se cantonne constamment dans le fond et tente de contrebalancer une évidente présence acidulée qui renforce le côté épicé. Et puis, il y a dans ce mélange quelque chose de très sec, voire d’asséchant qui confère à l’ensemble un caractère droit et strict. Bref, ce n’est pas si sweet que ça après tout.

Comme tous les vrais patriotes, le flake prend des airs virils et sérieux. Il se permet à peine des espiègleries fruitées et il roule des mécaniques nicotiniques. Il ne rigole pas. Et bien évidemment, il ne se rend nullement compte qu’à la longue, il devient passablement barbant. La sécheresse caustique, l’acidité constante, la chaleur épicée, la fumée rêche finissent par fatiguer le palais, d’autant plus qu’un arrière-goût de cendre tapisse les muqueuses.

Le Patriot Flake m’étonne et me déçoit. Je me sens dupé parce que de la part de virginias contenant 25% de sucre, j’aurais attendu une sensuelle opulence et de douces caresses.

Faut dire que le patriotisme n’a jamais été mon fort.

Dan Tobacco, Skipper’s Flake

J’aime nettement mieux le vieux marin barbu que le patriote américain sur le couvercle. Cette fois-ci, pas de trace de DTM. Décidément, je ne comprendrai jamais le marketing des bonnes gens de Lauenburg.

Encore un virginia flake. Mais cette fois-ci composé exclusivement de tabacs américains. Il y a du blond et du fauve, mais ce sont les bruns qui dominent. Plutôt sèches et peu épaisses, les tranches se transforment aisément en brins. J’aime beaucoup le nez. Il n’a rien d’ostentatoire, mais tout gentiment il dégage des arômes vraiment plaisants : des figues, du pain, du foin, du vinaigre et une pincée d’épices. Le tout a quelque chose de chaleureux et de réconfortant.

Dès lors, l’allumage réserve une surprise de taille : un géant de corsaire vous assène de sa main rude une claque en pleine poire. Une double ration de vitamine N et une colossale vague de goût intense s’éclatent sur vos papilles. Je vous jure que ça vous sort sitôt de votre torpeur. Vous voilà en plein centre d’une tempête de sel, de tabasco, de vinaigre, d’amertume. Mais pas de panique, en même temps vous vous sentez soutenu par une solide coque de douceur sous-jacente et de figue sèche. Vous ne chavirerez point.

J’imagine que le Skipper’s Flake ne s’adresse ni aux débutants, ni à tous ceux qui ont une aversion aux sensations fortes. Moi, je l’adore, même si je me rends compte que même pour moi, ce ne sera jamais ce que les anglophones appellent an all day smoke. Quoi qu’il en soit, avec le Skipper’s Flake, Dan Tobacco nous livre une création originale qui détonne. Et qui détone.

Gawith Hoggarth & Co, Gawith Red

Il m’arrive d’être un peu con sur les bords et d’agir sans réfléchir. Je sais que ce n’est pas vous qui me contredirez. En tout cas, quand je passe dans ma civette locale pour acheter une bonbonne de gaz et que soudain, de loin, je découvre entre les boîtes multicolores de Samuel Gawith une seule boîte verte de Gawith & Hoggarth, pourtant une marque qui n’est pas distribuée au royaume des Belges, je suis tellement excité que je perds tout recul et qu’il ne me reste plus deux sous de jugeote. Hébété, je fonce vers la boîte en priant le ciel qu’il ne s’agira pas d’un mélange au latakia. Je jubile donc quand, fébrilement, je lis l’étiquette : Gawith Red. Du red virginia ! Fantastique ! Vendu ! Je suis tellement content de cette aubaine inattendue que je décide d’ouvrir la boîte à l’instant même où je rentre. Un pschitt moqueur et voilà que la massue de la réalité me tombe dessus : mon virginia rouge est aussi blond qu’un Suédois de vieille souche. Et parfumé avec ça.

MERDRE !!!

Google se fait un plaisir de m’achever : le Gawith Red n’est autre chose qu’une tentative de clonage de l’Amphora Red retiré du marché britannique. C’est pas vrai, finalement, mon Red n’est qu’un ersatz du fucking Amphora rouge ! Soupir.

Tout blond qu’il soit, le mélange contient quand même des brins plus foncés. A vrai dire, la surface dorée parsemée de notes plus automnales est assez appétissante, d’autant plus que les arômes de caramel et les senteurs à la fois fruitées, florales et boisées qui en émanent, sont équilibrés et plutôt discrets. C’est donc un aro qui a de l’élégance. D’ailleurs, outre du burley et du virginia, le mélange contient également des orientaux et du kentucky. Quant à l’aromatisation, il s’agit d’extraits de fleurs d’arbres fruitiers, ce qui explique d’emblée l’agréable parfum fruité/floral.

Le tabac est trop humide à mon goût, ce qui ne l’empêche pas de se consumer sans problèmes. Toute première impression : on est bien dans le Lakeland. C’est légèrement savonneux. Mais après quelques secondes cette saveur s’estompe pour faire place à un bel ensemble de goûts plus classiques dans lequel les féminines notes fruitées et florales se voient sublimées par un punch tout viril sous forme d’une dose de vitamine N toujours présente mais jamais pesante, d’une ration particulièrement bien dosée d’épices, d’une incisive griffe de kentucky, et d’une pétillante fraîcheur acidulée qui empêche toute tendance doucereuse.

N’ayant plus goûté l’Amphora Red depuis au moins trois décennies, je suis incapable de vous dire si le Gawith Red s’en rapproche vraiment. Par contre, je peux vous garantir qu’on est loin des patauds aros déséquilibrés et écœurants. Les ingrédients sont de qualité, la composition harmonieuse, la fumée dense et riche, les saveurs fringantes et frétillantes. En plus, à partir de la deuxième moitié du bol, la structure évolue vers une plus grande intensité. Bref, c’est du vrai tabac qui peut satisfaire même le fin bec blasé.

Non, le Gawith Red n’est pas un favori. N’empêche qu’en fin de compte, je ne suis pas mécontent de mon accès d’impulsivité. Je tire mon chapeau à cet aro d’homme sans aucune niaiserie. Si tous les aros fruités et floraux étaient de ce niveau-là, je n’aurais plus de raisons de les dédaigner. Je vais en racheter, tiens.