Font-ils un tabac ? n°61

par Erwin Van Hove

26/09/16

W.O. Larsen, Selected Blend n°32 Curly Flake

Regardez-moi ça. Qu’est-ce que c’est mignon ! Ce croisement entre curly cut et flake mérite un prix de beauté. Comment ça se prépare, que vous me demandez. Simple : des virginias en provenance de l’Afrique et des Etats-Unis sont pressés en rouleaux, maturés, pressés à nouveau mais maintenant dans des moules rectangulaires et finalement découpés en tranches carrées.

Le nez fait très danois, c’est-à-dire que si l’odeur de foin et le petit côté fruité des virginias sont toujours perceptibles, on sent avant tout du caramel, du miel, de la mélasse. Remarquez toutefois que ce 32 n’est pas un aro à proprement parler, le but de l’aromatisation étant d’accentuer les sucres naturels des virginias.

Pas de surprises en bouche : du miel et du caramel, de l’agrume, du foin, quelques épices. Une bonne dose de sucre et peu d’acidité. Et puis nettement moins de nicotine que dans un flake à l’anglaise. Bref, c’est un tabac bon enfant et doux qui ne peut offusquer personne et qui, dès lors, ne brille pas exactement par sa personnalité. Vu l’absence de réelle évolution, il finit même par ennuyer. Ceci dit, c’est malgré tout un tabac bien fait qui en dépit du dopage au sucre ne chauffe pas outre mesure et n’agresse pas la langue.

Ce Curly Flake est le genre de mélange que je recommanderais aux amateurs d’aros qui voudraient essayer quelque chose de plus naturel. Par contre, pour satisfaire l’aficionado de VA, il lui manque à la fois vigueur et subtilité.

Planta, Empire Perique Flake

Je ne vous ai jamais caché ce que je pense de la marque allemande : des tabacs de piètre qualité trop souvent dénaturés par l’ajout excessif de produits chimiques. C’est donc davantage par sens du devoir que par réelle envie que je me suis procuré une boîte de ce nouveau mélange Planta. Introduite sur le marché en 2015, la série de flakes Empire se décline en trois variantes : Aromatic, Latakia et Perique.

Composition : des virginias, du dark fired, une pincée d’herbes d’Orient et bien sûr du perique, lequel, selon le descriptif, se trouve sur le devant de la scène.

Surprise : dans la petite boîte les flakes sont entassés dans le sens de la largeur. Ce sont donc des tranches courtes et larges. Et par ailleurs passablement épaisses. Bel assortiment de couleurs allant du fauve à l’aubergine. Le nez est peu expansif, ce qui ne l’empêche pas d’être franchement agréable avec ses odeurs de biscuit et de gâteau. Mais est-ce qu’un mélange qui se pose comme objectif de mettre en exergue le perique, devrait sentir la pâtisserie ? Après avoir trituré un flake, ce qui demande pas mal de temps, je sens dans le fond une note terreuse, probablement due au dark fired. Toujours pas d’arômes de perique.

A peine les brins allumés, je sourcille. Mes papilles décèlent un goût artificiel qui me fait penser à la vanilline et à la crème anglaise. C’est foutu, d’emblée ça me coupe l’appétit. Mais même en faisant abstraction de ce goût vanillé, le fumage relève de la torture : rugueuse, amère, acide et piquante, la fumée attaque les muqueuses comme un abrasif. Quand je passe la langue sur mon palais, c’est comme si je léchais du papier de verre. Ce n’est pas tout. A deux reprises, je me mets à éternuer comme un fou. Merci, Planta. Cette fois-ci, c’est définitif : plus jamais je n’achèterai un tabac produit par Planta. Promis juré.

Pendant une semaine je laisse traîner la boîte sur mon bureau. Quand j’ai enfin le courage de faire un essai supplémentaire, je découvre à ma surprise un tout autre tabac. Il ne me fait plus éternuer, il ne m’agresse plus le palais. Ma foi, il est devenu fumable. Remarquez que ce n’est toujours pas un mélange suave ou velouté. Et que je décèle toujours des saveurs vanillées, quoique moins prononcées qu’avant. Et que ce n’est toujours pas un flake qui illustre la grandeur du tabac louisianais. C’est devenu un mélange barbant et sans caractère, peu agréable en bouche qui ne saura jamais satisfaire ni l’amateur de VA/perique opulent et fruité ni le fan de perique virilement poivré et acidulé. C’est donc fondamentalement un tabac sans mérite qui ne manquerait à personne s’il venait à disparaître du marché. C’est du Planta tout craché.

Mac Baren, Scaferlati Caporal

Il faut dire que pour quelqu’un dans mon genre pour qui le Caporal est aussi exotique que le tambolaka ou le bashi bagli, les exhortations des fanas français n’inspirent pas exactement confiance. « Tu verras comme il est bon, le Caporal ordinaire. » Ordinaire ? Ah bon. « Je te jure, fonce sur le gros cul, tu m’en diras des nouvelles. » Euh, pardon ? En plus, ils me sortent avec désinvolture des propos abracadabrants du genre : « Ah, tu fumes du semois. Alors, mon pote, si tu aimes le brun, faut essayer le gris et le vrai gris, c’est le rouge. » Ouais, c’est ça. Alors, un beau jour, j’ai tout de même fini par tester ce fameux Bandeau Rouge. C’était exécrable : des herbes lyophilisées et racornies sortant tout droit d’un tombeau de pharaon. A l’époque, quand j’ai exprimé sans vergogne ce que je pensais du conditionnement ridiculement inefficace qu’était le fameux cube, on m’a reproché un manifeste manque de respect pour la tradition française. En vérité, j’aurais violé la Jeanne d’Arc nationale, la patriotique populace ne me serait pas tombée sur le râble avec plus de haineuse véhémence. Je me suis publiquement fait traiter de raciste et de nazi. Un individu est même allé jusqu’à me promettre de venir pisser sur ma tombe. Sic.

Mais voilà que tout a changé. Le roi est mort, kongen leve ! Je sais, il y a de fortes chances qu’étant Gaulois, vous ne soyez pas exactement polyglotte. Permettez-moi donc de vous éclairer : c’est du danois. Et pour cause. Désormais c’est à Mac Baren qu’il incombe de perpétuer la tradition française. C’est effectivement un comble d’ironie que le porte-drapeau du tabac à pipe français est à ce jour aussi français que la Carlsberg, la petite sirène ou les écrits de Kierkegaard. Remarquez, pas la peine d’en faire un complexe. Vous n’êtes pas les seuls à avoir abandonné votre trésor national aux mains avides des petits Danois. Pensez par exemple au triste sort des very British Dunhill, Capstan, St. Bruno et autres Three Nuns.

En tout cas, ça vaut un test 2.0. Et je commencerai par un appel public : tout réactionnaire et franchouillard que vous soyez, à chaque rencontre avec un Viking, posez-lui un chaste baiser sur le front. Pour le remercier non seulement d’avoir sauvé votre gros cul national, mais aussi de traiter votre sacrosaint gris-gris avec le respect dont il n’a jamais joui avant. Grâce aux Danois, le Caporal est enfin livré frais. Dans une pochette scellée. Ce n’est point un soufflet au génie français. Ça s’appelle le progrès.

Tiens, plus de cheveux d’ange. Voilà enfin des brins adaptés à l’usage dans une bouffarde. C’est pour le mieux. Les couleurs ? Ben, c’est brun. Les arômes ? Disons par politesse qu’ils sont du genre discret. A vrai dire, ils sont platement fades. C’est plus ou moins rustique. Il y a vaguement de l’étable dans l’air. Rien à voir avec les senteurs marquées et complexes du semois, le brun belge.

Je lis que le Caporal contient du virginia. Moi, je n’arrive pas à en déceler la présence. Et puis du kentucky. OK, à la limite, il y a l’âcreté et un petit côté terreux. Et enfin il y a ce que les bonnes gens de Mac Baren décrivent comme un tabac unique, séché à l’air libre et fermenté. Euh, vous connaissez un tabac, vous, qui ne soit pas fermenté ? Cet ingrédient mystérieux, n’est-ce pas tout simplement du paraguay ? Or, pour moi, ce paraguay, c’est l’un des parents pauvres de la famille Nicotiana. Et ça se remarque en bouche : d’accord, la fumée est épicée et plutôt amère, mais elle manque terriblement d’intensité et de définition. Et surtout de profondeur. C’est simple et superficiel et maigrichon. Certes, il y a de la nicotine revigorante, mais elle n’arrive pas à compenser la fadeur étriquée des saveurs. Par conséquent, chaque pipée me semble médiocre et monotone, et me laisse sur ma faim du début à la fin. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est vraiment mauvais, mais de là à enthousiasmer…

Mac Baren a l’incontestable mérite de nous livrer un gris bien conservé. Mais même bien conservé, le Scaferlati Caporal est un tabac sans intérêt pour un pipohile habitué à des mélanges autrement plus goûteux, complexes et profonds. C’est de la piquette faite tabac. La dénomination Caporal Ordinaire convient donc parfaitement à ce mélange roturier.

Allez-y, les beaufs, déversez votre fiel.

Mac Baren Scaferlati Caporal
Mac Baren Scaferlati Caporal