Depuis des décennies la civette américaine Smokers’ Haven propose sous son propre nom une belle gamme de tabacs anglais et balkan. Rien d’extraordinaire me direz-vous, puisqu’aux Etats-Unis la plupart des tobacco shops traditionnels vendent des mélanges maison. C’est vrai, mais ces house blends courants n’ont rien en commun avec les Smokers’ Haven Imported Blends. Si ici et là on trouve un téméraire comme Rich Gottlieb de 4Noggins qui compose et produit ses propres recettes, en général ces soi-disant house blends sont tout simplement des mélanges populaires produits en masse par de grosses boîtes américaines et commercialisés par les civettistes sous leur propre marque. Ainsi le humble 1Q de Lane/Altadis se vend aux quatre coins des Etats-Unis sous des noms les uns encore plus appétissants que les autres.
Les Smokers’ Haven Imported Blends, c’est une tout autre paire de manches. Depuis toujours, Smokers’ Haven engage les meilleures manufactures britanniques pour produire une série de tabacs faits à partir de recettes exclusives. Jusqu’à sa fermeture, c’était la légendaire House of Sobranie qui livrait les mélanges maison. Depuis, Premal Chheda a mis sous contrat la maison jersiaise J.F. Germain & Son. Cette vénérable manufacture fondée en 1820 produit certains des mélanges contemporains les plus mythiques tels le Stonehaven et le Penzance qu’on s’arrache à l’instant même où quelque civette en propose quelques boîtes. Plusieurs des mélanges faits pour Smokers’ Haven comme le Krumble Kake et l’Exotique ont rapidement atteint le même statut légendaire et sont par conséquent en quasi perpétuelle rupture de stock.
Il faut le dire : le In-B-Tween (Entre les Deux) ne porte pas exactement le plus sexy des noms. Il a été sèchement baptisé ainsi pour la simple raison que sa puissance et son intensité se situent entre le robuste Our Best Blend et la délicate Select Mixture. Il est composé d’un pourcentage élevé de virginia et relevé au latakia et aux herbes orientales. Comme les autres mélanges de Smokers’ Haven, il se présente sous forme de ribbons presqu’aussi fins qu’un shag cut. Le seul et l’unique reproche qu’on peut faire à la gamme entière, c’est l’humidité excessive. Franchement, je connais peu de tabacs qui sont humides à ce point. Ma boîte de 8oz date d’avril 2005 et même après huit ans de conservation, il faut impérativement sécher les brins avant d’en bourrer sa pipe, sinon la combustion s’avère désagréablement difficile. Attention également au bourrage et au tassage : allez-y mollo pour éviter que votre pipe ne s’éteigne pour un oui pour un non.
Visuellement, le mélange de divers bruns et d’anthracite n’a rien de particulièrement excitant, mais quand on plonge le nez dans la boîte, on découvre avec délectation des arômes complexes et fondus de tabacs âgés. Peut-être qu’ils ne sont pas flatteurs, mais ces effluves entrelacés de cuir, de caoutchouc, de terre humide, de bois, de marc de raisin promettent des saveurs qui se fondent en un tout homogène et sophistiqué.
Promesse tenue. Ce mélange prouve une fois de plus à quel point des tabacs à base de virginia se transforment, s’harmonisent et s’adoucissent avec le temps. Désormais les trois ingrédients forment un trio remarquablement uni qui improvise des lignes mélodiques sur un thème de base. Le latakia se borne à tisser de ses notes sombres une ligne de basse souple et sobre, le virginia vous fait fondre de sa voix suave et veloutée, alors que le piano des herbes orientales alterne les riffs, les arpeggios et les accords en contrepoint. Seule la structure où fusionnent une profonde douceur, une vivace acidité et une bonne pincée de sel, est stable et constante. Pour le reste ça part de tous les côtés, ce qui fait que le fumage est une belle aventure gustative au cours de laquelle on découvre de la crème brûlée et de la cannelle, du cuir et de l’humus, de la livèche et du cube bouillon, du whisky tourbé et de la viande fumée. Ces passionnantes permutations, variations et évolutions des saveurs compensent amplement l’absence de kick nicotinique de ce tabac léger.
Complexe et fascinant à l’âge de 8 ans, au moment de l’achat, le In-B-Tween n’est pas l’un des meilleurs Imported Blends de Smokers’ Haven. N’empêche qu’il vaut vraiment la peine parce qu’il est composé de main de maître par une des meilleures manufactures de tabac au monde et parce qu’à lui seul le plantureux virginia vaut le détour. Comme il est souvent disponible, laissez-vous aller : achetez, encavez, patientez, jouissez.
Le Full Virginia Flake est extrêmement populaire. À en croire les sondages et les innombrables témoignages dans les forums dédiés à la chose pipière, le FVF serait l’un des tout meilleurs virginia flakes au monde. D’emblée j’avoue que personnellement, je n’ai jamais bien compris cet engouement pour cette herbe certes respectable, mais qui manque de personnalité et qui, surtout, avant tout, fait tout pour vous rendre la vie compliquée.
Je dis vous, alors que manifestement je devrais dire me, puisqu’à peu près personne ne fait état d’un sérieux problème de combustion rencontré avec le FVF. Par rapport à tous ces fumeurs experts qui le domptent avec brio et désinvolture, qui distinguent avec discernement toutes ses nuances et qui, par conséquent, chantent les louanges de ce fabuleux VA, je me sens un débutant incompétent. Un minus. Eux, ils se laissent béatement flotter sur les vagues de la jouissance. Moi, je rame et je patauge. J’en fais des complexes.
Déjà quand j’ouvre la boîte, mon rythme cardiaque s’accélère. Non pas parce que, surexcité, je m’impatiente de me voir catapulté direction nirvana. Du tout. C’est plutôt la sueur froide à la vue de ces flakes passablement humides d’une épaisseur monumentale. Ce ne sont pas des flakes. Ce sont carrément des planchettes. En tout cas dans la boîte que j’ai devant moi. Quand je les émiette comme tout autre flake, je me retrouve non pas avec des brins, mais avec des broken flakes XXL qui peuvent parfaitement convenir à la bouffarde de Gargantua, mais clairement pas à la mienne. Pour pouvoir bourrer ma pipe de FVF, je suis donc obligé de casser, séparer, frotter, décomposer, morceler, émietter et effriter comme un forcené. J’obtiens alors des fragments de tabac qu’avec un tantinet de bonne volonté je pourrais qualifier de brins. Humides avec ça. Il va de soi que dans ces circonstances j’ai intérêt à pratiquer un bourrage léger et à manier le tasse-braises avec doigté.
Après un allumage plus long que d’habitude c’est enfin parti. Et je dois dire que ces premières bouffées sont vraiment bonnes : c’est très doux et les saveurs reprennent le thème du nez : du pain fraîchement cuit, des viennoiseries. Mais bientôt la guerre du feu commence : pour que la pipe ne s’éteigne pas, me voilà obligé de tirer plus que de raison. Et voilà que la douceur et le goût flatteur se dissipent peu à peu. Reste alors un virginia assez quelconque qui n’arrive pas à me combler. C’est plutôt fadasse et mou. Et ça finit toujours par me barber, malgré ici et là un flash de vraie saveur, surtout vers la fin. Dans ces instants-là, le FVF se montre sage et bon enfant, mais on est loin du truculent tempérament d’un McClelland.
Bref, pour pouvoir apprécier ce tabac, il ne suffit pas de l’émietter longuement. Il faut également le sécher. Il s’avère alors moyennement bon. Mais pour vraiment découvrir son potentiel, je vous conseille vivement de le cuire au four : artfourneau.htm
L’été touche à sa fin. Avant de me submerger dans les plaisirs automnaux des latakias puissants et des virginias longuement étuvés, il me faut une dernière friandise estivale. Quelque chose de léger, de frais et d’espiègle. Le Orlik Golden Sliced pourrait convenir, mais je dois dire que ce mélange classique un tantinet superficiel et inexpressif n’a jamais réussi à me combler. Heureusement, il existe une alternative plus noble et plus complexe : le Reiner Long Golden Flake.
Disponible uniquement en conditionnement de 100g, la boîte couleur or vous réserve à l’ouverture une belle surprise : au lieu d’une pile de flakes, vous découvrez un seul flake sous forme de ceinture enroulée. Le mélange est clairement dominé par le virginia à la teinte brun clair, mais on trouve également des brins blancs de white burley et des brins foncés de perique.
Malgré 4 ans d’encavement, le taux d'humidité est parfait : le flake est encore souple, mais ne colle absolument pas aux doigts. Il est évident que le tabac est légèrement aromatisé pour accentuer sa sucrosité, mais sans que ses arômes ne s’en voient dénaturés. Les notes naturellement fruitées dominent le nez et, ma foi, le résultat est vraiment appétissant.
Le flake s'effrite très facilement en brins fins. Par conséquent, le bourrage est facile comme tout et la combustion très régulière, donc point besoin de rallumer plusieurs fois. Les premières bouffées confirment les impressions du nez : on est en plein dans le fruité subtil et nuancé. Ensuite, les notes épicées du perique commencent à se développer, mais sans jamais dominer. Voilà un emploi exemplaire de cette herbe si difficile à manier à bon escient. Dans la deuxième moitié du bol, on sent l'apport du burley quand les notes fruitées s'estompent et sont intégrées dans un ensemble harmonieux avec un évident équilibre entre le fruité et l'épicé et des saveurs de tabac naturel. Tout au long du fumage, le tabac se consume calmement, sans produire de la vapeur brûlante et sans la moindre morsure. C'est rare pour ce genre de VA blondinet. Chapeau.
Ce flake confirme brillamment la réputation de Rudiger Will, la star allemande du blending, responsable des séries Reiner et
Ce n’est pas la première fois que je le constate : souvent les descriptifs qu’imprime Greg Pease sur ses boîtes, arrivent à capter l’âme du tabac qu’elles contiennent. Le Fillmore n’est pas une exception. Un broken flake en grosse coupe dans la tradition écossaise. Des virginias rouges mûrs sont combinés avec une généreuse mesure de bon Louisiana perique, puis pressés ensemble afin de marier les ingrédients et de rendre les saveurs plus profondes. Les cakes sont alors découpés et gentiment cassés avant le conditionnement. Fillmore présente une élégante douceur et de délicieuses notes piquantes mises en valeur par une crémeuse richesse qui se développe tout au long du fumage.
C’est vrai. Ce virginia/perique âgé de cinq ans, hésitant entre le brun et l’aubergine, n’est pas une voluptueuse allumeuse qui vous plante son opulent décolleté en pleine figure. C’est une Parisienne svelte et en pleine forme, en deux-pièces sobre et élégant, discrètement parfumée, qui fait montre d’une retenue distinguée, mais qui sait se montrer à la fois douce, charmante et piquante envers l’homme qui sait s’y prendre. Ne vous attendez donc pas à une débauche de saveurs intenses et plantureuses. Fumez posément et respectueusement et vous serez récompensé d’une fumée veloutée, subtilement sucrée et épicée avec raffinement. Attention, ne méprenez pas cette délicatesse pour de la pudeur. Par moments la fougue de cette demoiselle risque de vous surprendre. Ainsi il m’est arrivé de m’ébattre avec elle à jeun. Pas une bonne idée.
Avec son Fillmore Greg Pease nous propose un virginia/perique à la fois musclé et raffiné et nous prouve ainsi une fois de plus qu’il comprend vraiment l’art du blending.