Dans la mise à jour du 14 avril, jour de mon 65ième anniversaire, j’ai annoncé ma retraite de chroniqueur de tabac. Après avoir présenté cinq cents mélanges en douze ans et demi, je me sentais fatigué et gavé.
Cette décision ne m’a pas empêché de continuer à prendre des notes de dégustation des tabacs que je goûtais pour la première fois en vue d’orienter mes futurs achats. Avec l’arrivée de l’été j’ai senti que ce que j’avais pris pour de la lassitude était en fait un simple coup de blues, et que l’envie me reprenait de rédiger des textes à partir de mes notes. C’est chose faite. Le projet des Font-ils un tabac ? est relancé. Voici donc à l’occasion de la rentrée le numéro 153.
Dans le numéro 152 je vous ai raconté qu’en achetant une boîte d’Unique de Tabak Träber, je me suis retrouvé avec un aro sur les bras alors que le descriptif sur le site m’avait promis un mélange naturel.
L’Anniversaire faisant partie de la même série de blends, je me méfie. Voici comment il est présenté : Des tabacs de Virginie, de Kentucky et de Louisiane sont combinés harmonieusement avec du black cavendish. La combinaison de différentes coupes, entre autres avec du curly cut et des morceaux de flake, garantit une combustion fraîche et régulière. La saveur fruitée est discrète.
A la fois en allemand et en anglais, Träber emploie le terme saveur et non pas casing ou topping. Je comprends donc qu’il se réfère au goût naturellement fruité qui peut provenir des virginias et du perique. Grosse erreur. Il me suffit d’ouvrir la boîte pour découvrir des odeurs de caramel et de pot-pourri fruité et floral. Rebelote. Je me suis fait avoir une deuxième fois.
Il est vrai que cette odeur est moins prononcée que celle de l’Unique. N’empêche que l’Anniversaire est bel et bien un aro. C’est pareil en bouche : l’aromatisation est moins envahissante que chez son cousin, mais de là à dire qu’il s’agit d’une discrète saveur fruitée… En vérité, le virginia et le kentucky sont méconnaissables et le perique se borne à épicer le fruité d’un tour de moulin à poivre. C’est donc uniquement le black cavendish saucé qu’on goûte clairement.
Par souci d’objectivité, je dois tout de même reconnaître que dans son genre, l’Anniversaire est bien fait. L’aromatisation est harmonieuse et stable du début à la fin sans devenir amère. Je suis donc certain que ceux qui aiment les aros, apprécieront cette création. Je vous avoue même que moi qui dédaigne systématiquement tout topping ou casing qui cache le goût de tabac, ne me sens pas dégoûté. Il se peut même que de temps à autre je vais m’en bourrer une pipe. N’empêche que c’aura été la dernière fois que j’ai commandé un mélange maison de chez Träber vu qu’on ne peut clairement pas faire confiance aux descriptifs sur leur site.
Sur son site web Falkum déclare sans équivoque que les mélanges de sa gamme Old Days sont faits par Mac Baren. Et en effet, sur les boîtes des numéros 1, 2 et 4 on trouve la confirmation : Made in Denmark by Mac Baren Tobacco Company. Par contre, je lis sur les étiquettes des numéros 3 et 5 que ces tabacs n’ont pas été produits à Svendborg, mais à Berlin par Unitas Tabakfabrik, une société sœur de Planta. L’affirmation de Falkum est-elle donc mensongère ? Pas vraiment puisqu’en 2019 Planta s’est fait racheter par Mac Baren.
Le mélange est composé exclusivement de virginias qui sont pressés à chaud avant d’être découpés en broken flakes. Du fauve, du brun clair, du marron, de l’aubergine. Cela confirme l’emploi de divers virginias. Alors que le descriptif de Falkum promet de la paille et du citron, le nez me surprend par ses odeurs sombres et un peu confuses dans lesquelles dominent des relents d’engrais chimique et une senteur maltée qui me rappelle le pain pumpernickel. Comme les broken flakes sont passablement secs, on peut immédiatement procéder au bourrage.
Au cours des fumages successifs, il s’avère que le mélange est très sensible au choix de la pipe. Pourtant il a été dégusté exclusivement dans des pipes dédiées au VA. Dans la moitié des tests, j’ai découvert un tabac qui n’est certes pas mauvais, mais qui manque de personnalité. A défaut de rondeur et de saveurs bien définies, le plaisir n’est pas au rendez-vous. Ça se laisse fumer, voilà tout. Dans l’autre moitié, les virginias ont réussi à mettre en avant une agréable douceur aux accents de raisin sec et des saveurs qui reprennent le thème du nez. Mais même si dans ces instants-là l’Old Days 3 tient la route, la relative satisfaction que j’en ai tirée ne cache pas qu’il n’a rien d’un grand VA. Fondamentalement, ça reste un produit trop anodin pour enthousiasmer l’aficionado de virginia. N’empêche qu’il n’est pas dépourvu de qualités : il se consume tranquillement sans agresser la langue et il contient suffisamment de vitamine N pour combler le fumeur.
J’ai cru acheter un mélange de Mac Baren et je me suis retrouvé avec un produit de chez Planta. Une fois de plus, je dois me rendre à l’évidence : à part le Presbytarian Mixture, je n’ai jamais fumé un mélange berlinois qui me plaise vraiment .
2010 – 1977 = 33. Vous vous demandez ce qu’un trente-troisième anniversaire a de si spécial, n’est-ce pas. La réponse est simple : rien du tout. Il se fait que McClelland a sorti l’Anniversary en 2002 pour fêter son quart de siècle. Mais vu le succès de cette édition spéciale rapidement épuisée, ils ont recréé le mélange à deux reprises : en 2005 et en 2010. Remarquez qu’en 2017 ils ont lancé l’Anniversary 1977 – 2017, mais c’était un blend différent pour célébrer leur quarantième anniversaire.
La recette n’est pas compliquée : du ribbon cut fait avec des virginias matures et naturellement doux et avec une petite dose de latakia chypriote. Pas de trace de teintes claires, mais uniquement du marron, de l’aubergine et de l’anthracite. Pas de ketchup ni de sauce barbecue au nez, mais des odeurs fondues par le temps dans lesquelles le cuir et un léger fumé du latakia s’entremêlent avec l’aigre-doux des virginias. C’est un nez harmonieux dans lequel le latakia est indéniablement présent, mais sans aucune volonté de dominer.
Malgré ses 15 ans, le tabac n’est pas devenu sec. Je peux donc immédiatement procéder au bourrage. A chaque fumage, les premières bouffées confirment que le temps a fait son travail et qu’il en résulte des saveurs fondues en un tout. En fait, je devrais plutôt dire des touts. Parce que d’une pipe à l’autre, le tabac se comporte différemment. Dans les unes, je découvre des goûts auxquels je m’attends, c.-à-d. des goûts empyreumatiques et de cuir sur fond aigre-doux de virginias mûrs et étuvés. Dans les autres, je perçois des saveurs atypiques que ma mémoire olfactive semble reconnaître mais sans réussir à les définir. Jusqu’à ce que j’allume une LC de David Enrique et que d’un coup ça fait tilt : ce sont des saveurs de vin de Madère à base du cépage sercial.
Dommage que ce goût umami complexe ne perdure pas. Très vite je retrouve dans toutes les pipes les mêmes saveurs classiques : un fumé discret, du cuir, une note balsamique provenant du latakia toujours présent mais en sourdine, et un léger épicé et des acides policés équilibrés par une suave douceur qui témoigne de la grande qualité des virginias de la maison. En fait, ces virginias sont si sucrés qu’ils évoquent du cavendish non saucé fait à partir de virginia.
Bourrage et combustion faciles, taux de vitamine N peu élevé, aucune agressivité. Pour un fumeur qui apprécie autant le latakia que les virginias plantureux, l’Anniversary est le parfait all day smoke. Il s’adresse par ailleurs aussi à ceux désireux de s’essayer au latakia sans risque de se sentir dégoûtés. D’ailleurs même moi qui n’apprécie plus guère l’herbe chypriote, j’ai bien aimé cet anglais, même si je préfère de loin les VA purs de McClelland.