Font-ils un tabac ? n°145

par Erwin Van Hove

22/07/24

New York Pipe Club, Jack’s Shanty

La chanson marine de Jack. Le Jack en question, c’est Sailorman Jack, l’alias de Laurence Koback. Pour en savoir plus sur ce personnage légendaire, je vous renvoie à mon texte sur le Billy Budd de Cornell & Diehl.
Font-ils un tabac ? n°115

Le Jack’s Shanty fait partie d’une série de quatre mélanges exécutés par Russ Ouellette pour le compte du célèbre NYPC. Il s’agit d’une recette personnelle du Sailorman qui reflète évidemment son goût pour la combinaison de latakia et de tabac à cigare. À part ces deux ingrédients, le mélange contient des virginias blonds et rouges et du perique.

Je vois du ribbon cut avec une panoplie de couleurs. Au nez, je suis déçu. Je sens un latakia blend classique, mais pas de tabac à cigare, même en humant longuement. Au toucher, le tabac est sec, même trop. Pourquoi, nom d’une pipe, Russ Ouellette s’obstine-t-il à employer des boîtes surdimensionnées qui contiennent tant d’air ?

Pfff. C’est la flemme. D’une part, le Jack’s Shanty me déçoit, d’autre part il ne m’incite pas à le décortiquer. S’il me déçoit, ce n’est pas parce que ce serait un mauvais tabac, loin de là, mais parce que c’est l’un de ces cigar blends où l’on peine à découvrir un goût de cigare. L’autre hommage à Sailorman Jack, le Billy Budd de Cornell & Diehl, est à cet égard nettement plus convaincant. S’il ne m’inspire pas à pondre de la copie, c’est parce que c’est un mélange anglais certes honorable, mais qui ne se démarque nullement. C’est tarte à la crème qui doit ne pas déplaire aux latakiophiles, mais qui n’a aucune chance de faire partie de leur top 10.

Je me demande si Ouellette a vraiment repris la recette originelle du Sailorman. Non seulement les saveurs de cigare sont à peine perceptibles, mais en plus, la rondeur et le crémeux qu’apporte en général le tabac à cigare à la fumée, font défaut.

Si vous êtes à la recherche d’un cigar blend autrement plus réussi où le tabac à cigare constitue un plus, tournez-vous vers le Key Largo de Pease, le Habana Daydream de C&D, le Cuban Mixture de Peretti ou le Storm Front de John Patton.

Samuel Gawith, Brown N°4

Samuel Gawith, Brown N°4

Voilà une fois de plus un mélange dont la composition exacte est source de dissension. Les uns prétendent qu’il s’agit d’un mélange de virginia et de kentucky, d’autres affirment que le blend contient également du tabac à cigare, alors que selon Tobaccoreviews le Brown N°4 n’est composé que de deux virginias, l’un fire cured et l’autre air cured. Le site affirme même explicitement l’absence de tabac à cigare. Et ce n’est pas le texte sur ma boîte qui permet de trancher : il mentionne uniquement le terme "tabacs bruns fire cured".

Il s’agit d’un twist, donc du modèle de rope le plus épais, fait avec des feuilles de tabac entières, ce qui fait qu’en découpant des rondelles, on obtient de longs filaments. Pour éviter des problèmes de combustion, il convient de découper des rondelles fines d’une largeur d’un millimètre.

Même après plusieurs années d’encavement, le twist est resté souple, mais sans excès d’humidité. En humant le tabac, je comprends les différences d’opinion quant à la composition du twist. Je sens de l’acidité volatile, des épices et notamment du poivre, une odeur de grillé qui rappelle le kentucky mais qui pourrait également provenir du virginia fire cured, et, c’est vrai, des arômes qui évoquent le cigare.

Ça, c’est du tabac ! C’est ce que je me dis après avoir allumé ma pipe. Quelle fumée complexe et profonde, intense et puissante, opulente et veloutée. Il y a de tout : du terreux, du boisé, du grillé, du végétal, de l’épicé, de la croûte de pain, une touche fumée, des saveurs de cigare. Pourtant ce n’est pas la cacophonie, mais un tout parfaitement harmonieux. Et c’est pareil pour la structure : l’amertume, l’acidité, la salinité et les sucres sont dosés de main de maître. J’avoue qu’il n’y a guère question d’évolutivité, mais tout au long du fumage il y a tellement de saveurs à découvrir qu’on ne se lasse jamais.

Vous l’avez compris, j’adore ce twist rassasiant, pour ne pas dire monumental. Je peux cependant aisément comprendre que ce tabac ne s’adresse pas à tout le monde, notamment à cause de sa puissance. Les nicotinophobes ont donc intérêt à s’abstenir. Remarquez qu’à Kendal on produit des twists plus forts encore, mais c’est tout de même du lourd. Il faut donc avoir l’estomac solide, même si la main de fer est enveloppée d’un gant de velours.

Comme tant de créations de Samuel Gawith, le Brown N° 4 est indisponible sur le continent européen. On en trouve encore au Royaume-Uni. Ce qui est plus inquiétant, c’est que j’ai lu sur plusieurs sites qu’il n’est plus produit. Si c’est le cas, c’est vraiment dommage.

Mac Baren, Classic Roll Cake

Que nous sommes chanceux de vivre dans l’Union européenne ! Alors que les pauvres habitants d’autres continents sont sans défense face aux terribles dangers du malsain Vanilla Roll Cake, Mère Europe protège vaillamment et efficacement la santé de sa progéniture en interdisant à Mac Baren d’employer le nom originel du mélange.

Pourquoi un ennemi invétéré des aros s’est-il procuré un tabac aromatisé à la vanille ? Pour deux raisons. D’une part, parce que je suis fan de la gamme des roll cakes de Mac Baren et d’autre part parce que ce tabac obtient un score impressionnant sur Tobaccoreviews et même de la part de quelques dégustateurs que j’apprécie.

Des virginias, du cavendish "moderne" plus doux aux dires de Mac Baren et une pincée de burley sont enroulés dans des feuilles entières de virginia et le tout est saucé, toujours aux dires de Mac Baren, d’authentique vanille de Madagascar.

Contrairement à la plupart des autres curlies de la maison danoise, ceux-ci n’ont pas de cœur foncé. On ne voit que divers bruns. Les rondelles sont sèches, mais pas trop, ce qui promet un fumage sans rallumages répétés. À l’ouverture de la boîte, une odeur de crème anglaise me saute au nez et, il faut le dire, l’arôme de vanille n’a rien de vulgairement chimique. Quand je hume plus longuement, je découvre du pain d’épices et ensuite des odeurs sous-jacentes qu’on n’associe pas à un aro traditionnel, notamment des relents empyreumatiques sur le toasté, le grillé, voire le fumé. Un nez intéressant.

La bouche rappelle le nez, c’est-à-dire que d’abord on goûte une fumée crémeuse et vanillée qui ne cache pas les saveurs de tabac et qu’ensuite elle évolue vers un goût épicé, voire piquant avec des accents terreux et grillés dans lequel la vanille se fait plus discrète. En fait, plutôt que de la vanille, je goûte de la réglisse. L’aromatisation ne domine donc pas, mais s’intègre sans heurts dans l’ensemble. Et cet ensemble évite soigneusement les tares dont souffrent bon nombre de tabac saucés. Ici ni fadasse mièvrerie ni lourdeur sirupeuse. Le Classic Roll Cake est un aro viril qui n’est pas trop sucré et qui combine une bonne dose de vitamine N avec un épicé marqué.

Le tabac ne devient pas désagréablement amer en cours de route et il n’agresse absolument pas la langue. Il est donc évident que les tabacs employés sont de qualité et que Mac Baren n’a pas menti : sa vanille ne sort clairement pas de la fiole d’un chimiste. Bref, le Classic Roll Cake est en quelque sorte un aro noble. Même si un tabac aromatisé à la vanille ne sera jamais ma tasse de thé, force m’est d’admettre que celui-ci a réussi à me procurer un plaisir certain.