Font-ils un tabac ? n°14

par Erwin Van Hove

18/11/12

Gawith Hoggarth & Co, Best Brown #2

Des flakes longs, épais et bruns (ben oui) assez humides qui s’effritent. Un nez tout discret et introverti avec dans le fond des notes vaguement savonneuses voire mentholées. C’est le genre d’odeur qui n’inspire ni enthousiasme ni dégoût. Un haussement d’épaules, voilà tout. Correction. Cette odeur ne me laisse pas indifférent après tout. Elle m’irrite. Les flakes de Gawith & Hoggarth sont classés en deux catégories : les scented parfumés façon Lakeland et les unscented naturels. Or, le Best Brown #2, composé de virginia et de burley, est présenté comme un mélange non aromatisé. Alors comment se fait-il que je détecte des traces de sauce à la Kendal ?

En bouche il ne se passe pas grand-chose : le virginia est fatigué et fadasse, alors que le burley ne sert qu’à imprégner vos muqueuses d’une bonne dose de nicotine. Pas de langoureuse douceur, pas de fruits, pas d’herbes, pas de noisettes, pas de chocolat. Même pas de savon ou presque pas. Une structure maigrelette, un goût passablement neutre, parfois même cendreux qui n’est pas sans rappeler celui d’une cigarette, et de temps à autre une brève percée de VA sans caractère. D’accord, ce flake n’est pas infumable, mais on est très loin de l’orgasme gustatif.

Best Brown ? Croyez-moi, il y a des tabacs mieux baptisés que ça ! Remarquez cependant que sur Tobaccoreviews.com il obtient un score de trois étoiles sur quatre. Peut-être que c’est moi. Quoique. Quand je parcours la liste des autres mélanges de Gawith & Hoggarth auxquels les dégustateurs ont décerné trois étoiles, je ne me fais pas trop de soucis : Coffee Caramel, Coconut Twist, Kentucky Nougat, Kendal’s Banana Gold et j’en passe.

Paul Olsen, My Own Blend 7000

Si vous pensez que les Danois sont incapables de produire un English blend vraiment bien typé, ravisez-vous. Avec sa recette centenaire, le 7000 vous plonge dans la tradition anglaise.

Certains mélanges sont tellement parfaits qu’ils font office de standard. Ainsi, c’est le mythique Balkan Sobranie qui sert de boussole à tout blender qui se risque à un balkan. Quant au roi des English blends, depuis des décennies c’est sans conteste le porte-drapeau de la maison Dunhill : My Mixture 965. Son secret ? Une composition très particulière : un mélange savant de latakia et de tabacs orientaux, cela va de soi, mais aussi du virginia sous forme de cavendish non sucré. My Own Blend 7000 reprend cette formule magique : une base de latakia chypriote et d’herbes orientales relevée de samsun turc et de cavendish.

La coupe en ribbon cut est fine et même s’il y a des brins acajou et bruns, c’est clairement le noir qui domine. Après huit ans d’encavement, le tabac est resté souple. L’odeur qui se dégage de la boîte, répond parfaitement aux attentes : feu de camp, cuir, épices et un agréable mélange de fraîcheur et de douceur. Pas non plus de surprise en bouche : le latakia règne en maître mais sans écraser les vigoureux accents aigres-doux qu’apportent les condiments turcs. Le cavendish, quant à lui, joue son rôle d’édulcorant. N’empêche que c’est un mélange qui nécessite un fumage posé, sinon l’acidité se met à agir sur les muqueuses. Remarquez qu’il s’agit de picotement plutôt que de morsure. Peut-être que c’est à cause de cette acidité élevée qu’on a l’impression que la fumée peu dense manque de velouté. Ce n’est pas qu’elle soit rêche, mais elle pourrait être plus crémeuse.

La combustion se passe sans encombre, ce qui fait qu’on arrive à terminer le bol avec un minimum de rallumages. Au cours du fumage, les saveurs se distinguent davantage par leur constance et par leur intensité que par leur caractère évolutif. Mais qui s’en plaindra ? Malgré sa faible teneur en nicotine, du début à la fin le 7000 tapisse le palais d’une généreuse couche goûteuse.

Non, ce mélange danois n’égale pas le modèle britannique qui l’a inspiré. Ce n’est pas un chef-d’œuvre étant donné qu’il n’est pas exempt de petits défauts. Pourtant je garantis que quiconque apprécie le latakia et les orientaux, ne sera pas déçu par ce tabac vif et énergique.

Torben Dansk, Latakia Syrien

Voici l’un des tabacs de la série Special Blending Tobacco de la Deutsche Tabak Manufaktur (DTM) distribuée par Dan Pipe. Servant en principe d’ingrédient aux blenders amateurs qui composent leurs propres mélanges, aux dires du producteur, ce « monocépage » serait également un délice tout seul. Voyons ça.

En ouvrant la boîte, j’ai du mal à croire qu’elle contient exclusivement du latakia syrien. Certes, le noir domine, mais il y a également un pourcentage élevé de brins brun foncé. Le nez, c’est bel et bien celui d’un latakia, mais pour moi il évoque davantage la commune variété chypriote que le rarissime shekk-el-bint syrien. D’accord, peut-être que son odeur est un tantinet plus résineuse que celle du latakia chypriote et qu’en humant profondément, on décèle de légères notes d’encens, mais ça n’a pas grand-chose à voir avec les opulents et envoûtants arômes du Bohemian Scandal, du Black Dawg ou du HH Vintage Syrian.

Les premières bouffées véhiculent une saveur de latakia franche et intense, mais est-ce dire que les papilles reconnaissent l’authentique syrien ? Du tout. C’est un goût de latakia comme on en rencontre tous les jours. En outre, quasi instantanément le tabac se heurte à ses limites : il n’arrive pas à masquer le fait qu’en l’absence de virginia, il manque de rondeur. Sa structure passablement acide est plutôt os que chair. Le roi est sans vêtements et ce n’est pas exactement le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu que chante Rimbaud.

Au cours du fumage, les saveurs n’évoluent guère et c’est dommage parce qu’à force de rabâcher la rengaine du latakia esseulé, elles vous assomment et ennuient. Remarquez qu’à condition de ne pas faire la fine bouche, des latakiophiles invétérés doivent arriver à fumer ce tabac sans états d’âme. Par contre, ceux qui cherchent un anglais équilibré et harmonieux ont intérêt à passer leur chemin. Ce Torben Dansk a en effet le mérite de démontrer pourquoi les blenders combinent systématiquement le latakia avec des tabacs qui apportent du corps et de la douceur. Pour le reste, ce n’est pas ce tabac-ci qui me fera changer d’avis sur l’authenticité des prétendus latakias syriens dont se servent les blenders allemands.

Solani, Aged Burley Flake

Tout comme les tabacs Reiner, les Solani sont produits par le célèbre blender allemand Rüdiger Will. Avec ce flake, Will ne fait pas de concessions : c’est du burley et rien que du burley, notamment du burley foncé et corsé de Kentucky, une variante brésilienne plus claire et plus légère et du white burley en provenance de Malawi. Le tout est torréfié pour rendre le mélange plus intense et plus rond.

Les flakes plutôt courts et assez épais sont nettement plus foncés que ce qu’on voit d’habitude. Cette couleur rappelle davantage un stoved red virginia qu’un burley classique. Le nez, lui, est typiquement burley : peu expansif, mais avec d’évidentes notes de chocolat, de noisettes, voire de noix de coco. L’hygrométrie des flakes est irréprochable et après triturage on obtient des brins faciles à bourrer.

En bouche, pas de surprises : voilà un burley flake naturel et sans chichi dans lequel le côté terreux et les accents plus flatteurs de Nutella et de Bounty forment un tout cohérent et harmonieux. Comme tout burley blend qui n’a pas été édulcoré au virginia, le Aged Burley Flake ne brille pas par sa douceur, mais à aucun moment ce manque de sucre ne devient désagréable. Côté nicotine, c’est plutôt viril, mais jamais brutal. La combustion est lente et vraiment exemplaire : le tabac se consume tout seul et c’est à peine si on a besoin du tasse-braises ou du briquet. Ce qui frappe également, c’est la fraîcheur de la fumée peu dense qui malgré son caractère un peu austère, n’agresse nullement les muqueuses.

Ca vaut la peine d’attendre la finale solide et intense qui prouve qu’un blender doué n’a pas besoin de virginia pour produire un mélange qui évolue et qui se termine par un feu d’artifice.

Certes, ce Solani s’adresse exclusivement aux fans purs et durs du burley pure nature. Mais si vous en êtes un, je vous le conseille sans réserves.