Font-ils un tabac ? n°132

par Erwin Van Hove

24/04/23

Pfeifendepot, Buttje

Gamin. Un nom bizarre pour un tabac. D’autant plus qu’il s’agit d’un kentucky blend, donc d’un tabac d’homme. Je le remarque d’ailleurs du premier coup d’œil : à part quelques strates fauves, je ne vois que du brun très foncé. Ce qui, par contre, est surprenant, c’est que ce n’est pas, comme le spécifie le descriptif, un ready-rubbed, mais clairement un tabac en broken flakes.

Je sens du vinaigre, du cube bouillon et évidemment le grillé du kentucky. Ce n’est pas pour autant un nez expansif : le kentucky, pourtant macho de nature, accepte la présence apaisante du virginia sans rouler des mécaniques.

Souples sans être humides, les broken flakes n’ont pas besoin de séchage préalable et se transforment facilement en brins bourrables. Le tabac se consume d’ailleurs tranquillement sans nécessiter de rallumages répétés.

J’ai fumé les deux tiers de ma boîte de cent grammes sans prendre la moindre note. Cela m’arrive uniquement quand je ne ressens pas le besoin ni de critiquer ni de vanter. Si le dégustateur aspirant à l’objectivité n’a pas grand-chose à reprocher au Buttje, le fan de kentucky est resté sur sa faim. Bref, c’est un mélange assez quelconque qui ne m’inspire pas vraiment.

Et par conséquent, plutôt que de me lancer dans une ronflante analyse, je vais d’emblée passer à ma conclusion. Non, le Buttje n’est pas mauvais. Il est équilibré, il produit des saveurs discrètes mais plaisantes tout au long du fumage, il ne mord pas. Non, le Buttje n’est pas bon. De la part d’un vrai kentucky blend, je m’attends à plus de fougue, de personnalité et de virilité. Or, le Buttje est un écolier docile et déférent. C’est bien un gamin après tout, mais alors aux antipodes du mauvais garçon.

Pfeifendepot, Halunder

Après avoir testé le Buttje, le Quittje et le Blonder Hans, lesquels avaient pourtant tout pour me plaire sur papier, j’en étais venu à conclure que si les mélanges de Pfeifendepot ne sont pas mauvais, ils n’arrivent pas à me convaincre pour de bon. Mais voilà que je tombe sur le Halunder. Et ça, c’est une tout autre paire de manches. Ce n’est rien moins qu’une révélation.

La bonne surprise commence déjà à l’ouverture de la boîte. En voilà une présentation soignée : empaquetés dans du papier métallisé doré, les flakes carrés trônent au beau milieu d’un écrin en carton noir. Ca fait classe et c’est d’autant plus étonnant que cette boîte de 100g de flakes se vend au prix modique de € 19,50.

Le site web de Pfeifendepot spécifie que les flakes sont composés de feuilles individuelles de virginias air-cured (séchés à l’air libre) et flue-cured (séchés dans des granges chauffées) et d’un burley robuste. A la sortie du pressoir, les flakes dégageraient des odeurs de purée de tomate, voire de ketchup, avec de légers accents floraux, et développeraient un authentique goût de tabac marqué par le cuir, tout en déployant une puissance considérable. Ce serait d’ailleurs un tabac qui s’adresse avant tout aux fumeurs chevronnés.

Trois rangées de flakes étroits et minces affichent une couleur très foncée avec ici et là de discrets fragments clairs. Quand j’inhale les odeurs, je détecte effectivement un soupçon de pâte de tomate, mais c’est avant tout une odeur à laquelle je ne m’étais pas attendu, qui me frappe. Ces effluves me rappellent immédiatement le HH Bold Kentucky et le HH Old Dark Fired de chez MacBaren. Bref, le burley (si ce n’est en vérité du kentucky) domine clairement : plutôt que de la tomate ou des fleurs, je sens de la terre, du bois, du cuir, de la viande fumée.

Humide au toucher, le tabac résiste à la flamme, mais une fois que la combustion est partie pour de bon, je découvre une fumée qui, quoique peu volumineuse, est bourrée d’un goût qui me régale et qui correspond parfaitement au nez. Il confirme par conséquent ma première impression : on est là dans l’univers des MacBaren susmentionnés, voire dans celui du HH Rustica. La fumée est donc puissante et virile, mais en même temps ronde et harmonieuse avec un bel équilibre entre épices, amertume, acides, salinité et une fine douceur sous-jacente. A part cette douceur, je ne décèle pas vraiment de traces des virginias et c’est donc sans conteste le burley aux accents de kentucky qui mène le jeu.

Pfeifendepot, Buttje

Côté évolutivité, il n’y a pas grand-chose à mentionner : du début à la fin les saveurs restent constantes. Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. En cours de route je comprends pourquoi le producteur a mis en garde les fumeurs manquant d’expérience : le Halunder contient une bonne dose de vitamine N. C’est du lourd qu’on ne fume pas l’estomac vide. En même temps, je remarque qu’en maniant le tasse-braises, il faut y aller mollo, sinon on risque une combustion difficile. Ceci dit, c’est le seul reproche que je pourrais faire au Halunder. C’est sans conteste un mélange ample et rassasiant qui à coup sûr doit convenir aux amateurs de burley et de kentucky robustes et rustiques. Voilà une alternative intéressante aux MacBaren qui, même en Allemagne, sont à moitié plus chers.

Vauen, N° 14 Virginia Flake

Le texte sur la boîte est clair et net : für Liebhaber natürlicher Tabake. Pour amateurs de tabacs naturels. Pourtant Tobaccoreviews et Smokingpipes mentionnent une aromatisation à la vanille et à la noisette. À l’amande aussi, à en croire certains vendeurs allemands. Or, si je lis sur le site web du ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture que le N° 14 est bel et bien aromatisé, je ne trouve nulle mention d’amandes, de noisettes ou de vanille. Par contre, à part la présence de propylène glycol, de glycérol, de sucre inverti et de gomme arabique, le site rapporte l’emploi de jus de prune, de concentré de jus de figue et d’aromatisants non spécifiés. Le tout représente 15,2% de la composition du mélange, ce qui est énorme, vu qu’un typique aro comme le Clan ne contient que 11,6% d’adjuvants, que le Hamborger Veermaster, un virginia flake de chez Dan Pipe, se situe en dessous de 5% ou que le Three Nuns se contente d’un taux de 2,4%.

Vauen N° 14 Virginia Flake
Vauen N° 14 Virginia Flake

Ça m’irrite ferme. Pourquoi insister que le N° 14 s’adresse aux amateurs de tabacs dits naturels, alors que manifestement il est bourré d’additifs ? Et pourquoi le législateur européen, pourtant à cheval sur l’information correcte du consommateur, continue-t-il à accepter ce genre de pratique mensongère ?

Passons à la dégustation.

Aujourd’hui le N° 14 se vend en boîtes rondes, alors que c’est une boîte rectangulaire qui abrite mon tabac stocké depuis des années. S’y trouvent deux rangées de flakes larges et finement coupés qui présentent une myriade de teintes : du blond, du doré, de l’orangé, divers bruns et de l’anthracite. Franchement, je ne m’étais pas attendu à pareille complexité. Et mon étonnement ne s’arrête pas là : je n’ai pas l’impression de humer un tabac aromatisé. Si je découvre une vague odeur de pruneau probablement due au jus de prune, les arômes sont classiques avec à la fois de la terre, du foin, du bois, du pain, une goutte de miel ou de sirop d’érable. Tiens, se pourrait-il qu’après tout ce petit Vauen ne soit pas si mauvais que ça ?

Les flakes ne collent pas et s’effritent sans effort. Après un allumage facile, je note avec soulagement que l’aromatisation est fort discrète. Il est vrai que la fumée est assez sucrée parce que mielleuse, mais elle ne devient jamais sirupeuse vu qu’il y a suffisamment d’acidité et d’amertume pour garder l’équilibre. Fondamentalement ce que je goûte correspond au nez : terre et foin, croûte de pain et boisé, avec en plus un léger piquant et une goutte de citron. Par contre, les saveurs de noisette et de vanille que mentionnent plusieurs dégustateurs sur Tobaccoreviews, m’échappent complètement.

Pour le reste, il n’y a pas grand-chose à rapporter. Ni léger ni puissant, ni insipide ni haut en goût, ni frivole ni profond, c’est un tabac qui n’enthousiasme pas et qui ne hérisse pas le poil. Un VA parfaitement anodin. Cela étant, pourquoi acheter un tel virginia s’il y en a tant d’autres nettement meilleurs et autrement plus naturels ?