Font-ils un tabac ? n°130

par Erwin Van Hove

12/09/22

HU-Tobacco, Aus dem Krater Nr. 5

Rappelez-vous : les cinq mélanges de la gamme Aus dem Krater ne sont pas composés par Hans Wiedemann. Il s’agit au contraire de tabacs que le blender a sélectionnés dans le catalogue de Kohlhase & Kopp. D’ailleurs l’étiquette affiche clairement la mention Selected by HU-Tobacco.

Il va de soi que tout blender artisanal ambitieux a besoin d’un partenariat avec une manufacture qui dispose d’un stock important de tabacs et de l’outillage nécessaire pour produire et conditionner les mélanges qu’il crée. Ainsi Greg Pease fait faire ses blends chez Cornell & Diehl. Hans Wiedemann de son côté fait appel à DTM et à Kohlase & Kopp. Par contre, je ne vois absolument pas pourquoi un blender qui a concocté avec succès des dizaines de recettes, ressentirait le besoin d’élargir son catalogue avec des mélanges qui ne sont pas de sa main. Il semblerait d’ailleurs que Wiedemann s’en est lui-même rendu compte puisqu’il a supprimé la série Aus dem Krater de son site. Ceci dit, j’ai constaté que les commerçants qui commercialisent les tabacs HU, continuent à la vendre.

Quand j’ouvre la boîte, je reconnais immédiatement le tabac puisqu’il s’agit de zebra flakes, c’est-à-dire de petits flakes composés d’une bande fauve et brun clair au milieu et de deux bandes presque noires aux extrémités. Manifestement il s’agit d’une copie du légendaire Orlik Dark Strong Kentucky. Il faut savoir que ce flake à succès n’est pas distribué en Allemagne, mais que la plupart des commerces spécialisés de Peter Heinrichs à Achim Frank et de Diehl à Schneiderwind en proposent des copies produites chez K&K.

Les zebra flakes sont composés de virginia, de burley et bien évidemment de kentucky. Au nez, c’est le couple burley/kentucky qui domine. Le fond terreux est accentué de notes de viande fumée, de réglisse, de mélasse et peut-être de pruneau. Souples mais pas humides, les flakes sont prêts au bourrage. Plutôt que de les plier, je transforme les petites tranches en brins afin de bien mélanger les trois ingrédients.

Les premières minutes du fumage sont assez surprenantes : on s’attendrait à une vague de saveurs de l’herbe torréfiée, mais ce sont les virginias doux et cajoleurs qui captent l’attention. Certes, le terreux du burley et la note empyreumatique du kentucky sont présents mais en sourdine. Le tout n’a rien de spectaculaire, mais brille au contraire par un équilibre subtil et vraiment plaisant.

Petit à petit, le kentucky fait davantage sentir sa présence, notamment au niveau de la structure : une acidité et une amertume policées contrebalancent désormais les sucres. Par contre, niveau goût il se montre toujours aussi discret. La combinaison des trois ingrédients produit des saveurs terreuses, torréfiées, boisées et épicées accentuées d’un goût de mélasse qui perdurent jusqu’à la fin.

Tout comme le Golden Sliced, le Dark Strong Kentucky s’est posé comme objectif de plaire au plus grand nombre. C’est donc un mélange bien fait qui ne peut déranger personne. C’est incontestablement un atout. Seulement voilà, de la part d’un blend baptisé Dark Strong Kentucky> je m’attends non pas à un produit passe-partout, mais à un tabac au caractère bien affirmé, c’est-à-dire impétueux, rustre et entêté. Finalement, la neutre et insignifiante dénomination Nr. 5 sied mieux à ce flake sans histoires.

Cornell & Diehl, Oriental Silk

Nomen est omen. En ouvrant le bocal Le Parfait rempli en septembre 2014, je m’attends donc à une fumée soyeuse aux saveurs de tabacs d’Orient et je m’en réjouis d’avance.

Bizarre : la couleur brun foncé du contenu de mon bocal ne correspond pas du tout aux tons fauves et orangés que révèlent les photos sur divers sites. Et quand je hume le mélange de brins et de broken flakes, je suis consterné. Elles sont où ces fameuses herbes d’Orient ? Je sens un fond terreux, une chaleur de fruits à l’alcool, une vague odeur d’acétone et surtout, avant tout, de mornes et sombres relents de renfermé et de moisi caractéristiques de perique. Dans une dégustation à l’aveugle, je n’hésiterais pas : voilà du VA/perique. Ca alors.

Je consulte le site web de C&D : du perique, du virginia blond en ribbons et en flakes, et des flakes turcs. Je ne sais pas si c’est significatif, mais je note tout de même que le perique est mentionné en premier.

Je ne vois pas comment un mélange qui sent tellement le perique, pourrait mettre en exergue le tabac turc, mais je me dis que les bonnes gens de C&D doivent quand même avoir eu de bonnes raisons pour le baptiser Oriental Silk. Que nenni. Déjà au cours de l’allumage, la fumée est totalement dominée par le tabac louisianais. Et il n’est ni du genre fruité et opulent comme l’Escudo, ni du genre vivace et piquant comme le Three Nuns d’antan. Il correspond parfaitement au nez et s’exprime donc sur des saveurs poussiéreuses et caverneuses. Les virginias de leur côté font des efforts pour corriger le tir avec un fond d’une certaine douceur, mais n’y parviennent que partiellement. Quant aux orientaux, ils brillent par leur absence.

Ce n’est que le premier tiers passé que je commence à les déceler : je perçois désormais une acidité et une amertume discrètes, un goût de noisette et, de temps à autre, de petites touches de saveurs épicées qui rappellent vaguement les série de tabacs d’Orient de feu McClelland. La fumée devient un peu moins maussade et davantage équilibrée, mais ce n’est pas pour autant qu’elle m’apporte satisfaction. Alors que j’associe les tabacs turcs au raffinement et à une espiègle vivacité, l’Oriental Silk reste bourru et lourdaud, d’autant plus que la vitamine N fait bien sentir sa présence.

Comme il ne se passe plus rien et que les tabacs turcs n’arrivent pas à percer pour de bon, je commence à m’ennuyer. A chaque fumage, je prends même des pauses afin de pouvoir supporter tant de morosité.

Quand je consulte les avis sur Tobaccoreviews, je suis interloqué. D’une part, le tabac obtient un excellent score de 3,5 et d’autre part toute une série de dégustateurs affirment que le perique est quasi imperceptible. Force m’est de m’interroger. Y aurait-il des divergences d’un lot à l’autre ? Mon tabac livré en vrac se serait-il moins bien conservé que celui conditionné en boîte ? Les orientaux n’auraient-ils pas survécu à huit ans de conservation dans un bocal ? Quoi qu’il en soit, tel que je l’ai dégusté, l’Oriental Silk m’a terriblement déçu. Plutôt que de la soie orientale, c’est de la jute louisianaise.

Pfeifendepot, Quittje

En hommage à son prédécesseur qui faisait figure de légende parmi les pipophiles allemands, Franz Fleischmann, le propriétaire actuel, a conservé le nom du magasin hambourgeois qu’il a repris en 2014 : Gerd Jansen’s Pfeifendepot & Werkstatt. Décédé en 2016, Jansen a géré pendant plus de quarante ans sa civette et son atelier. Bizarrement, ce non-fumeur s’était pris de passion pour l’univers de la pipe et du cigare et a développé une gamme de plusieurs dizaines de tabacs maison qui jusqu’à ce jour attirent une clientèle internationale.

Quittje ?? Google aidant, j’apprends qu’en dialecte hambourgeois ce terme désigne toute personne qui vit dans la ville hanséatique sans y être née. Quittje est un ready rubbed burley blend composé de dark fired burley et de virginia pressés à chaud pour en intensifier le goût. Selon le descriptif, il s’agirait d’un tabac robuste aux saveurs terreuses et cacaotées.

Le ready rubbed se présente sous forme de broken flakes assez fins. Je découvre un amalgame de tons bruns qui révèle que c’est bel et bien le burley qui est majoritaire. Le nez le confirme immédiatement avec une odeur peu complexe mais typique de burley rustique : poudre de cacao et biscuits sortant du four sur fond de terre qui chauffe. Passablement sec mais néanmoins suffisamment souple, le tabac est prêt au bourrage.

Les premières bouffées véhiculent des saveurs qui correspondent parfaitement à ce que le nez faisait présager. Voilà un burley blend à l’ancienne dans la tradition américaine d’antan : simple, sans-façon, campagnard. Le virginia ne servant qu’à édulcorer timidement son austère partenaire, il n’apporte quasiment rien niveau goût. Bref, s’il vous êtes à la recherche d’un savant mélange, passez votre chemin.

Gerd Jansen n’a pas menti : il est en effet robuste, le Quittje. La fumée manque de velouté, la vitamine N ne brille pas par sa légèreté et le goût sec et amer s’exprime avec franchise. De la part de ce tabac simple, il ne faut évidemment pas s’attendre à une évolutivité notable. Ajoutez à cela qu’il se consume fort lentement et vous comprendrez qu’il risque d’ennuyer à la longue.

Bref, le Quittje n’est pas exactement un tabac de haut niveau. HU-Tobacco par exemple nous propose des burley blends autrement plus travaillés. D’un autre côté, il a le mérite d’offrir au fan pur et dur de burley brut de décoffrage une alternative aux rustiques drugstore blends disponibles exclusivement outre-Atlantique.