Font-ils un tabac ? n°129

par Erwin Van Hove

27/06/22

Pfeifen Huber, Finest Virginia

Commençons par une excellente nouvelle : le commerce munichois a supprimé le Finest Virginia de son catalogue. Je ne peux qu’applaudir cette mesure sanitaire prise dans l’intérêt de la santé publique.

Pourtant, quand j’ouvre la boîte, rien n’annonce la débâcle. Voilà un VA pur en coupe toute classique composé de blond, de fauve et de brun clair, et qui sent bon le virginia du genre estival et guilleret. J’allume donc avec plaisir et je retrouve aussitôt des saveurs qui reprennent le thème du nez. De l’herbe, du citron, du poivre, des viennoiseries, du caramel. Ce n’est certes ni extraordinaire ni mémorable, mais, ma foi, c’est franchement plaisant. Le parfait all day smoke pour amateurs de VA légers.

Bref, tout baigne. Pendant une minute. Après, tout bascule. Voilà que tout d’un coup le chaton ronronnant paisiblement au soleil se transforme en pitbull enragé qui mord, lacère, charcute et déchiquette sans lâcher prise. D’emblée ma langue crie au secours sans savoir exactement ce qui lui arrive. Est-elle déchirée ? Mise à feu ? Transpercée d’épingles ? Imprégnée d’acide sulfurique ? Il va de soi qu’à partir de l’instant où un tabac agresse à ce point la langue, tout plaisir est exclu. Plus question de déguster, de percevoir des saveurs. Ne reste qu’une incisive et envahissante sensation de tongue bite qui continue à me torturer longtemps après que la pipe s’est éteinte.

Il m’arrive d’être courageux. Ou un tantinet con sur les bords. Plutôt que de déclarer forfait, j’ai continué à tester le Finest Virginia dans une dizaine de pipes diverses. Peine perdue. Si dans certaines pipes la brûlure est moins violente, en général le fumage est un véritable supplice. Sur Tobaccoreviews un seul dégustateur a évalué le tabac. Il lui a décerné le score minimal d’une seule étoile. Son laconique commentaire est on ne peut plus clair : Est passé illico à la poubelle. Voilà quelqu’un qui est clairement plus sain d’esprit que moi.

Finest Virginia ! What’s in a name ? Un comble d’ironie. Mettons Fieriest Virginia.

Orlik, Bull’s Eye

J’ai la flemme. Le Bull’s Eye me laisse de marbre. Il ne reste plus que deux médaillons dans ma boîte et je n’ai toujours rien écrit. Ce n’est pas grave, remarquez. Parce qu’il s’avère qu’en 2011 j’ai déjà dédié un article à ce tabac : Font-ils un tabac ? n°4.

En effet, le Bullseye Flake de Peter Stokkebye et le Bull’s Eye d’Orlik, c’est kif-kif. Les rondelles sont produites de façon parfaitement identique par le Scandinavian Tobacco Group. Celles qui sont commercialisées sous le nom d’Orlik sont conditionnées en boîtes et distribuées en Europe, alors que Peter Stokkebye importe les siennes en vrac pour le marché américain.

Si vous vous demandez comment est fait ce genre de tabac en rouleau, vous pouvez le découvrir ici : Orlik Factory, Denmark: Making Luxury Bullseye Flake.

Je n’ai rien à ajouter à mon texte de 2011 si ce n’est que si vous êtes fan de tabacs sous forme de médaillons ou de curlies, vous pouvez trouver tellement mieux, à commencer par les grands classiques comme l’Escudo d’A&C Petersen (disponible uniquement outre-Atlantique), le Three Nuns (même les nouvelles versions de Mac Baren), les diverses copies des Deluxe Navy Rolls de Dunhill ou les divers roll cakes de chez Mac Baren (Club Blend, Dark Twist, Roll Cake, Stockton). Et n’oubliez surtout pas ce que les blenders allemands vous proposent en la matière : le Roper’s Roundels de DTM/Dan Tobacco, le Curly Strang de Motzek/TAK et le Director’s Cut de HU-Tobacco valent largement le détour.

G.L. Pease, JackKnife Plug

La boîte datant de 2013 a le fond tout bombé, ce qui fait que son ouverture sera mémorable : l’explosif pschitt projette un nuage intensément parfumé de red virginia bien né arrivé à maturité. Pruneaux, vinaigre de tomate, tamarin. On n’est pas loin de l’univers de McClelland.

Le plug est composé de dark fired kentucky et de virginias rouges et blonds, ce qui fait qu’il est fort sombre avec des accents roux. Luisant et souple, il se découpe sans problèmes en fines tranches. Les arômes puissants du virginia continuent à dominer, mais quand on hume les effluves de près, on découvre dans le fond le kentucky qui s’exprime sur un fumé discret et sur des notes de champignons des bois. Un nez impressionnant qui promet.

Dans le texte sur la boîte Greg Pease nous laisse le choix : soit triturer des tranches assez épaisses pour obtenir un ribbon cut, soit trancher très finement pour en faire un shag, soit découper les flakes en cube cut. Cependant, dans son blog le blender recommande de transformer le plug en shag et de bourrer la pipe sans trop tasser. Selon lui, cette méthode permettrait d’accentuer la douceur naturelle du virginia et de faire ressortir les saveurs subtiles du dark fired kentucky. Pourtant, j’hésite à adopter cette méthode vu que je ne suis pas vraiment fan des coupes en shag. J’opte alors pour un compromis en transformant le plug en ribbons fins.

L’allumage me réserve une surprise. En bouche, le red virginia ne domine aucunement et, dès lors, les premières saveurs ne correspondent pas du tout au nez. Elle sont nettement moins intenses, voire assez feutrées et c’est indéniablement le kentucky qui semble mener le jeu avec un goût fondamentalement terreux et boisé pointé d’accents de noisette et d’un fumé à peine perceptible. Si le virginia n’occupe pas le devant de la scène, il joue tout de même un rôle important en gommant l’acidité naturelle du kentucky sans pour autant sucrer le tout. Le résultat est une assise harmonieuse et discrète qui permet au dark fired de briller. Et il faut dire que Greg Pease n’a pas menti en nous promettant des saveurs subtiles : si généralement les mélanges qui mettent en exergue le tabac dark fired, ne versent pas exactement dans le raffinement, ici il s’exprime avec délicatesse.

Remarquez que délicat n’est pas synonyme de nuancé. Le JackKnife Plug est donc plutôt un mélange rectiligne qui évolue à peine. Au cours des premiers fumages, il m’est même arrivé de finir par m’ennuyer. Cependant, en me familiarisant avec le tabac, j’ai appris à me contenter de son manque d’évolutivité et à me focaliser sur son goût équilibré.

Les fumages ne se sont pas toujours déroulés sans encombres. Les pipes se sont éteintes plus que de raison. Il a fallu manier le tasse-braises avec la plus grande précaution, sinon le tabac formait une masse compacte quasiment incombustible. Je comprends donc mieux pourquoi Pease conseille de le couper en shag et de bourrer avec circonspection.

Ceux qui craignent la vitamine N devront s’abstenir. Ce n’est pas que le petit Jack joue dans la cour des plugs et de ropes du Lakeland, mais il contient tout de même une dose virile de nicotine. Par contre, ceux qui sont sensibles au tongue bite n’ont absolument rien à craindre.

Le JackKnife Plug m’inspire des sentiments mixtes. D’une part, je m’incline devant le savoir-faire du blender qui a réussi à dompter le caractère impérieux et rustre du kentucky et à nous en livrer une version aimable et élégante. D’autre part, j’aurais souhaité davantage de variation dans les saveurs. Mais surtout je regrette que les alléchantes promesses du nez ne sont pas tenues par le goût.