Font-ils un tabac ? n°121

par Erwin Van Hove

04/10/2021

Paul Olsen, My Own Blend 43

Tobaccoreviews et plusieurs revendeurs danois s’accordent pour dire que le 43 est un pur VA. Le Danish Pipe Shop de son côté mentionne également la présence de 4% de perique.

Visuellement parlant, les flakes XXL (presque 20 cm de long), huileux et d’un brun très foncé me rappellent certains tabacs en provenance de Kendal. Et c’est pareil pour le nez : avec ses relents terreux d’humus et de champignons séchés, il est à mille lieues des typiques arômes danois. Ce sont là de sombres odeurs de virginias longuement maturés et traités selon des méthodes qui semblent sorties d’un autre âge. Bref, ça fait très Lakeland.

Après avoir déchiré un morceau de flake assez humide et collant, il faut le triturer vigoureusement pour obtenir des brins qui permettent un bourrage homogène. L’allumage terminé, je découvre immédiatement des saveurs qui correspondent au nez : des champignons et du terreau. Mais aussi du boisé, de l’épicé et un goût prononcé de réglisse salée et de cassonade. Côté structure, on est sur l’aigre-doux : je décèle une bonne dose de sucres mais qui ne deviennent jamais pesants vu que la fumée véhicule également pas mal d’acidité poivrée qui titille les muqueuses. Quoique je ne sois pas grand fan de tabacs aigres ou piquants, je dois dire qu’ici l’acidité pimentée ne me gêne pas vraiment parce qu’elle ne devient pas réellement caustique. Ceci dit, tout dépend de votre chimie corporelle personnelle. Pour preuve ce commentaire d’un dégustateur sur Tobaccoreviews : Je n’ai jamais éprouvé un déséquilibre acido-basique aussi brutal. Ce tabac mord comme un alligator. En tout cas, moi-même j’étais soulagé de constater que le 43 n’est pas un mélange évolutif qui gagne en intensité dans le dernier tiers du bol. Ce serait trop.

Le 43 tient donc les promesses du nez : ses saveurs s’approchent de celles de certains Gawith. La puissance aussi d’ailleurs : ce n’est pas un poids lourd, mas il ne s’adresse pas non plus aux nicotinophobes. Par contre, contrairement aux blenders kendaliens, le Scandinavian Tobacco Group ne dispose pas de virginias de qualité exceptionnelle et ça se ressent : la fumée n’a ni l’opulence ni le velouté qui caractérisent les meilleurs blends du Lakeland.

Reste à savoir si le 43 contient oui ou non du perique. Franchement, je n’en sais rien. Certes, le côté poivré rappelle certains VA/perique, mais je me demande si une micro dose de 4% de l’herbe louisianaise suffit pour causer un piquant aussi marqué.

Ni frivole ni fruité ni flatteur, le 43 ne respire pas exactement la joie de vivre. Il peut rebuter plus d’un par son caractère acide, par son côté tabasco et par ses saveurs sombres. Ce n’est donc sûrement pas un tabac pour grand public. Personnellement, je suis content de l’avoir essayé et d’avoir découvert un mélange danois à ce point atypique. Cela ne veut pas dire pour autant que je ressente l’urgence d’en commander un stock.

Paul Olsen, My Own Blend 5610

Du virginia, du black cavendish non aromatisé et 40% de latakia pressés en crumble cakes. Visiblement le virginia est minoritaire parce qu’après avoir trituré un morceau de cake, je vois surtout des brins noirs. On pourrait s’attendre à une forte odeur de latakia, mais ce n’est pas le cas. Je décèle bel et bien les senteurs de feu de camp et de cuir, mais plutôt que d’affirmer leur présence de vive voix, elles chuchotent. Une semaine plus tard, le nez finit par s’ouvrir.

Le degré d’humidité des brins permet un bourrage immédiat. Les premières bouffées confirment que le mélange carbure davantage au black cavendish qu’au virginia : elles sont nettement plus sucrées que ce qu’on attend d’habitude d’un latakia blend. Cette entrée en matière me fait conclure que le 5610 peut servir au latakiophile qui a envie d’une friandise. Mais voilà que très rapidement on change de registre : le tabac se met à développer une forte dose d’acidité. On est maintenant sur une structure aigre-douce piquante trop marquée à mon goût. Je sais d’emblée que je vais finir par être écœuré vu que les classiques saveurs de latakia sont écrasées sous le poids de cette structure despotique.

Je ne me suis pas trompé : la première moitié du bol terminé, je me sens gavé. J’ai du mal à supporter à la fois l’intensité des acides pimentés et la pataude lourdeur des sucres surdosés. Je n’aime donc pas du tout la continuelle sensation de chaleur piquante qui ronge ma bouche. Pour moi, ce mélange a la subtilité d’un marteau piqueur. C’est donc à contrecœur que je continue le fumage et c’est peine perdue parce que je ne découvre rien de nouveau.

Ceci dit, une semaine après les premiers essais, je constate que le 5610 se montre plus équilibré. Je ne décèle plus la lourdeur sucrée et l’overdose d’acidité piquante. Est-ce l’effet de l’oxydation ou serait-ce dû au fait que j’ai choisi deux pipes fort petites ? Je sors une bouffarde plus volumineuse pour en avoir le cœur net. Immédiatement tous les défauts du mélange réapparaissent.

J’estime que lorsqu’on se sert du black cavendish dans un mélange naturel, son rôle doit se borner à celui de condiment. Ici, en revanche, il laisse une empreinte trop marquée sur le blend. Le 5610 pèche donc contre une règle fondamentale : un latakia blend réussi se fonde nécessairement sur une bonne dose de virginias de qualité.

McClelland, Tudor Castle

Même à l’époque où les blends de McClelland étaient encore largement distribués, le Tudor Castle était un tabac rare. Il s’agissait en effet d’une édition limitée dont la production annuelle se limitait à quelques centaines de boîtes. Aux dires de Mike McNiel, c’était un flake very special fait avec des ingrédients onéreux et destiné à être encavé. Et il est vrai que le Tudor Castle ne contient que des tabacs nobles : du virginia blond avec un taux en sucre très élevé, les fameux red et dark stoved virginias de la maison, une bonne portion de yenidje le mieux gradé et de l’authentique St. James perique âgé en barrique.

Nous sommes le 20 février, c’est-à-dire que c’est l’International Pipe Smoking Day. C’est l’occasion de me faire plaisir avec un tabac que j’espère exceptionnel. La boîte que je m’apprête à ouvrir, date de 2012.

Un formidable nez de ketchup Heinz. Explosif. Ces premiers arômes dissipés, on reste sur l’aigre-doux épicé : sucre candi, pâte de tamarin, vinaigre de pomme, tomate caramélisée, fruits étuvés. En vérité, je n’arrive pas à capter en mots ce que je sens parce qu’à chaque fois que je hume, les odeurs ont évolué pour devenir de plus en plus subtiles. Quand il se stabilise, le nez forme un tout fondu, fascinant, appétissant à souhait. Bref, niveau olfactif, le Tudor Castle est grandiose.

Si les flakes sont épais, ils ne sont que légèrement pressés, ce qui permet de les transformer assez facilement en brins larges, d’autant plus qu’ils ne collent pas. A peine le tabac allumé, je goûte d’emblée la différence entre les mélanges dont la liste d’ingrédients se borne à mentionner des tabacs orientaux génériques et anonymes et le Tudor Castle qui contient du yenidje grand cru. Dans la première pipe, le yenidje occupe vraiment le devant de la scène et s’exprime majestueusement sur la myrrhe, l’encens et la cannelle. Que c’est bon ! Je suis donc fort contrarié quand le lendemain tout change : le tabac d’Orient ne cherche plus à se démarquer, mais s’intègre au contraire dans un ensemble que je qualifierais de plantureux. Les virginias sont somptueusement doux mais en même temps le mélange développe une présence acide marquée mais noble, des saveurs salines et une note amère. C’est de l’aigre-doux à la fois vivifiant et réconfortant qui sert de support à des saveurs de poivre, de fruits secs, d’huile d’olive, de citron, de boisé. Il n’est alors plus question de myrrhe, d’encens et de cannelle. Et je dois dire que je le regrette. Parce que la première pipée dévoilait la puissance aromatique du légendaire yenidje qui, je vous le rappelle, était l’un des ingrédients clé du Balkan Sobranie d’origine.

Ce n’est pas fini. A chaque essai le mélange se comporte différemment. Parfois il se présente comme un typique mélange de chez McClelland qui met en exergue les extraordinaires virginias blonds, rouges et étuvés qui ont toujours fait la fierté de la maison, alors que le St. James perique relève le fruité des virginias et poivre le tout. A d’autres moments le Tudor Castle devient méconnaissable en accentuant outre mesure le goût boisé et une amertume peu plaisante. Mais voilà qu’au cours d’autres essais, le yenidje revient en force et ça change immédiatement la donne. Dans ces instants-là le Tudor Castle devient un mélange vraiment complexe, presque envoûtant. Suave et tonique à la fois, c’est alors un tabac remarquablement complet, autant par sa structure sucrée, acide et amère que par sa richesse aromatique.

Le Tudor Castle est sans conteste un très bon mélange qui se consume très lentement et qui véhicule une puissance certaine sans vous étourdir pour autant. Toutefois et en dépit des ingrédients grand luxe, j’avoue être un tantinet déçu. Pour mériter le titre de tabac exceptionnel, Il ne suffit pas de dévoiler toute sa grandeur dans quelques rares pipes. Je ne déborde donc pas d’indulgence devant le caractère difficile et tatillon du Tudor Castle. Je préférerai toujours une amie fiable à une diva capricieuse et exagérément exigeante.