Des virginias bruns et blonds. A la bonne heure. Des orientaux. Bien. Du latakia. Ce n’est plus vraiment ma tasse de thé, mais passe encore. De la vanille. Hein, pardon ?
Sur papier, l’échantillon de Perfection qu’Esterval a glissé dans mon colis, me hérisse le poil. De la fucking vanille ! Et en plus en combinaison avec du latakia et des tabacs turcs. C’est du n’importe quoi.
Et pourtant.
Quand j’ouvre le sachet pour humer les ribbons plus bruns que noirs, je suis surpris : je ne sens pas de vanille. Je sens du latakia chypriote et des orientaux qui forment le cœur d’un ensemble harmonieux dans lequel je décèle un indéfinissable soupçon d’aromatisation qui confère au nez une chaleureuse rondeur qui me charme. Ça alors.
Ce n’est donc pas à contrecœur que j’allume. Rebelote : d’emblée je suis frappé par l’équilibre remarquable du mélange : des virginias bien doux et gentiment épicés et du latakia qui s’exprime plus sur le cuir que sur le feu de camp, forment une fertile litière sur laquelle s’épanouissent de fragrants orientaux aigres-doux et légèrement floraux. Et ce tout est arrondi par une note agréablement douce que je n’arrive pas à circonscrire, mais qui ne me rappelle pas la vanille ou alors très vaguement. Il en résulte une fumée opulente et crémeuse qui cajole les papilles gustatives.
Remarquez qu’incontestable harmonie n’est pas synonyme de complexité. Perfection n’est pas un blend dont les saveurs évoluent dans une série de variations et de permutations intéressantes. Au contraire, les goûts restent constants du début à la fin. Mais faut-il s’en plaindre ? Pas de plaintes non plus côté vitamine N : c’est un mélange qui n’a pas besoin de nicotine pour s’imposer, tant il est bourré de goût.
Mes réticences n’étaient pas justifiées. Malgré mon aversion pour les aros et mon divorce avec le latakia, force m’est d’admettre que j’ai fumé avec plaisir les trois bols que l’échantillon m’a permis de bourrer. Manifestement, cette mixture composée de tabacs de grande qualité témoigne de l’exceptionnel savoir-faire des blenders du Lakeland.
Je ne me vois pas fumer ce mélange à longueur de journée, mais de temps à autre et surtout par temps froid, pourquoi pas ?
Back to basics. 50% de virginias, 50% de latakia. Un mélange pour latakiaccros.
Les ribbons mi bruns mi noirs sont humides et collants malgré une dizaine d’années d’encavement. Première impression à l’ouverture de la boîte : ce n’est pas une bombe à latakia parce que je sens clairement les sublimes virginias dont disposent les blenders du Lakeland. Quant au latakia, évidemment qu’il dégage des relents empyreumatiques, mais je sens avant tout du vieux cuir, de l’humus, de la tourbe, une note moisie. C’est nettement plus subtil que ce à quoi je m’étais attendu.
Premières pipées sans séchage. Une entrée en matière sous forme de feu d’artifice : des saveurs intenses dans lesquelles on reconnaît les apports de virginias plantureusement mûrs et de latakia chypriote à son apogée. C’est crémeux et suave, c’est tourbé et goudronneux, c’est aigre-doux et joliment épicé, c’est équilibré et ça forme un tout. Bien sûr, le temps a permis aux tabacs de mûrir et de fusionner leurs saveurs, mais il ne faut pas perdre de vue non plus que pour atteindre une telle harmonie, il faut un blender compétent et d’excellents ingrédients. Le Commonwealth confirme d’ailleurs ma conviction que le secret d’un anglais réussi, c’est la qualité des virginias employés. Ceci dit, même à son apogée, il ne faut pas attendre du Commonwealth nuances, complexité ou évolutivité. C’est là qu’on voit les limitations d’une composition aussi basique.
Le Commonwealth se consume sans accrocs et sans rouler des mécaniques. On tend à l’oublier : ce n’est pas parce que le latakia produit des goûts forts que c’est pour autant un tabac puissant.
Conservé dans sa boîte qui n’est pas hermétique, après une semaine le tabac s’est asséché et sous l’effet de l’oxygène, les goûts ont changé. Ils ont perdu en intensité et le côté tourbé et goudronneux du latakia s’est estompé. Désormais il s’exprime davantage sur le cuir et le terreau. Simultanément, la fumée est devenue plus acide et plus épicée mais sans pour autant devenir caustique. N’empêche que l’acidité accrue m’empêche d’apprécier à sa juste valeur la suavité des virginias, ce qui est dommage. C’est pour cette raison que les premiers fumages m’ont satisfait davantage.
J’imagine que fumé jeune, le Commonwealth peut être simple, voire lourd, mais après dix ans d’encavement, ses saveurs se sont fondues et policées. Je vous conseille donc de l’encaver pendant des années, mais également de le fumer sans tarder une fois la boîte ouverte. A son apogée le Commonwealth se montre agréablement équilibré. C’est pour cette raison que je l’apprécie. Ceci dit, dans le genre VA/latakia et rien de plus, je préfère le Lancer’s Slices de Charles Fairmorn.
Le mélange de long brins fins fauves et bruns est vraiment humide, ce qui fait qu’en s’imprégnant, le papier gras qui protège le tabac est devenu tout ocre. La première fois que j’approche mon nez de la boîte, je décèle de plaisants arômes de foin, de pâtisserie, de fruits secs et une touche moisie. Voilà un bon VA/perique. Le lendemain, je sursaute : pendant un instant ce que je sens me rappelle le vomi. Ensuite, les arômes de la veille reviennent, mais en sourdine. Le jour d’après, je perçois une odeur qui me rappelle l’engrais chimique. Plus tard encore il ne reste plus qu’un nez chétif qui n’a plus grand-chose en commun avec celui du premier jour. Une bête bizarre, ce Royal Jersey Perique.
Une partie des virginias employés a été transformée en golden cavendish pour les adoucir. Ajoutez à cela que le perique sert strictement de condiment discret et vous comprendrez que le Royal Jersey Perique n’est ni un VA/perique virilement poivré ni un mélange clairement marqué par des saveurs de fruits secs. En vérité, le blend se cantonne dès les premières bouffées dans un registre qui m’étonne : son goût est tellement délicat qu’il en devient pour ainsi dire insipide. D’aucuns y verront de la finesse, mais personnellement, je me sens immédiatement déçu.
Du perique à peine perceptible. Des virginias doux, mais qui à mon sens manquent de caractère. Une note assez amère qui me déplaît. Et puis un petit goût dû au processus de cavendishation que je n’arrive pas à définir mais qui ne me semble pas naturel. Bref, je ne peux pas dire que le Royal Jersey Perique m’enthousiasme. En continuant le fumage, je me sens de plus en plus frustré. Je m’ennuie ferme et en plus je n’arrive pas à détourner mon attention de ce petit goût qui me gêne.
Petit à petit, les saveurs s’intensifient. Je goûte davantage d’épices et d’acides. N’empêche que je reste de marbre. Manquant de pureté et de précision, le goût n’arrive pas à me convaincre et je ne retrouve toujours pas ce que j’attends d’un bon VA/perique. Je ne prétends pas pour autant que ce soit un mélange raté et je peux comprendre que le Royal Jersey Perique puisse plaire à certains. Mais ce n’est clairement pas ma tasse de thé.
J’ai fini par expérimenter avec l’ajout de perique pur. Evidemment le goût s’en voit relevé, mais je ne peux pas dire que le résultat ait été probant. Même avec une dose plus élevée de l’herbe louisianaise, le mélange reste à mes yeux médiocre et pas particulièrement agréable.
Ce n’est pas la première fois que je constate cet incompréhensible paradoxe : plusieurs mélanges de la gamme Esoterica Tobacciana produits par la manufacture jersiaise sont incontestablement des monuments de l’art du blending, alors qu’une bonne partie des tabacs qui portent le nom de Germain’s me semblent anodins, voire insipides. Allez comprendre.